Février 1916. Au front, nos soldats se préparent à recevoir l’assaut allemand sur Verdun. Depuis la fin janvier, le Grand Quartier général s’attend à une attaque d’envergure. Les "déserteurs alsaciens et lorrains" sont formels. Les observateurs aussi, qui voient passer, au fond de l’horizon de la Woëvre, des trains en files ininterrompues. On ignore encore le lieu où la chose se passera mais l’opinion domine que ce sera le chef-lieu de la Meuse. Où l’on s’avise soudain qu’endormis par une année tranquille nos chefs ont laissé à peine entretenues les défenses existantes sans en créer de nouvelles.
Le 9 février, les permissions sont suspendues. Le 10, raconte Yves Buffeteau dans Les Batailles de Verdun, un renseignement provenant d’une source très sérieuse arrive au GQG. D’une rare précision, il indique même que le Kronprinz s’est installé depuis quelques jours dans la maison de la veuve Henri Daverdier à Spincourt. Ce rapport commence par cette phrase sans ambiguïté : "Les Allemands vont tenter une grande offensive dans la région de Verdun".
Onze jours plus tard, en effet, Le 21 février à 7h30, les mille canons de l’artillerie allemande commencent leur pilonnage des lignes françaises. La tuerie durera dix mois et fera près de cinq cent mille morts.
Et à l’arrière ?
Eh bien, à l’arrière, pendant que les poilus s’enterrent dans la boue glacée, on discutaille, on magouille et on grenouille.
Le parlement, les ministères, le gouvernement donnent le spectacle abject de la canaillerie, de la discorde et de la combine.
Les profiteurs de guerre s’enrichissent, les traîtres s’en donnent à coeur joie et les planqués se gobergent.
On voit un Malvy devenir ministre de l’Intérieur alors qu’il s’était opposé à la loi de Trois ans, lors du congrès socialiste d’Agen, et profiter de ce poste pour encourager la presse défaitiste en lui versant l’argent des fonds secrets. On voit un Marcel Sembat, vieille crapule maçonnique et socialiste, devenir ministre deux ans après avoir lancé à ses futurs collègues : "Retirez-vous, vous puez la défaite".
On voit "le cortège des personnes qui ont obtenu les fournitures de guerre, spectacle lamentable et attristant qui montre, à côté de filles galantes, des repris de justice", ainsi que le dénoncera à la Chambre l’ancien secrétaire d’Etat aux Colonies de Clemenceau, Milles-Lacroix, un brave négociant en tissus entiché de rigueur et d’honnêteté au point d’avoir visité à ses frais l’immense empire dont il avait la charge.
On remarque à la Chambre des jeunes hommes vigoureux et pétants de santé qui paradent, ayant échappé au front parce qu’ils sont députés et qu’ils se sont dispensés tout seuls d’aller aux tranchées en votant une loi d’exemption présentée par Dalbiez, un parlementaire qui, lui-même, redoutait d’être mandé au Feu.
On assiste, un soir de débat, à l’invraisemblable hourvari de ce que l’on n’appelle pas encore le "lobby" des marchands de vin et qui, par ses vociférations, parvient à chasser de la tribune le ministre de la Guerre Gallieni qui prononçait un discours contre l’abrutissement des soldats par l’alcool.
Le scandale est si omniprésent que la presse commence à s’émouvoir.
Alors, le plus simplement du monde, dans la nuit du 19 au 20 février est pris un décret interdisant de "laisser passer dans les journaux toute attaque contre le parlement, ou ayant pour objet de tourner en ridicule les députés ou de porter atteinte à la dignité du régime parlementaire".
"La censure, écrit Jean Bernard, chroniqueur du Temps, est devenue plus tracassière que jamais, impérieuse et hautaine, irritante, presque illogique."
Un exemple extrême de cet illogisme : au début de la première bataille de Verdun, les journaux annoncent la mort de Prosper Josse, député de l’Eure, qui, lui, ne s’est pas planqué et qui sert aux tranchées comme capitaine. La nouvelle est fausse. Sur la demande de sa femme, Madame Josse, l’Agence Presse Associée publie un rectificatif démentant le premier communiqué et rassurant les parents, proches et amis du député.
La censure supprime l’information.
L’informateur parlementaire de l’Agence Presse Associée fait alors remarquer aux censeurs que, la nouvelle donnée la veille par les journaux étant fausse, il est normal et justifié de le faire savoir et de démentir.
Il reçoit par téléphone cette stupéfiante réponse : "Nous vous envoyons des ordres et nous n’avons pas d’observations à recevoir de vous."
Serge de Beketch http://www.france-courtoise.info