Le jour où Piaf a tué Cocteau
Le 11 octobre 1963, la France apprend à quelques heures d’intervalle la mort de la Môme et celle du poète. La première a-t-elle entraîné la seconde ?
Édith Piaf et Jean Cocteau travaillent "Le bel indifférent", en 1940. © Sipa
Difficile d’imaginer deux artistes plus opposés. La Môme contre le Prince des poètes. La fille de saltimbanques, amie des putes et des maquereaux, contre l’académicien compagnon de Picasso ou de Stravinsky. L’alcool contre l’opium. Édith Piaf et Jean Cocteau étaient pourtant devenus très amis après leur rencontre en février 1940 et la mise en scène, quelques mois plus tard, du Bel indifférent, écrit par le poète pour la chanteuse. Ils l’étaient restés pendant près de vingt-cinq ans.
Lorsque, le 11 octobre 1963, ils apprennent à quelques heures d’intervalle la disparition de l’un et l’autre, les journaux établissent immédiatement entre elles un lien de cause à effet : Cocteau, âgé de 74 ans, aurait été terrassé en apprenant le décès de la Môme. Celle-ci est morte la veille, dans le mas provençal proche de Grasse où elle a passé ses dernières semaines, mais son corps a été transporté en grand secret à Paris, où ses proches font établir un certificat de décès postdaté. Alors que, boulevard Lannes, des milliers d’admirateurs viennent se recueillir devant le cercueil de la chanteuse (certains de ses familiers fouillent, pendant ce temps, les tiroirs et les armoires), on apprend la mort du poète. Le 12 octobre, Le Parisien assure en une : "La mort d’Édith Piaf a tué Jean Cocteau." Jean Marais a beau corriger, assurer que son ancien compagnon a succombé à un "oedème du poumon", la légende est née.
"Tiré de la mort (c’est notre truc)"
Rien qu’une légende ? L’amitié des deux artistes se renforce encore à la fin de leur vie, au point qu’un curieux parallélisme s’établit, au fil des mois, entre leurs maladies respectives. Jean Cocteau a été victime dans ses derniers mois de deux crises cardiaques ; Édith Piaf, à 48 ans, n’est guère en meilleure santé et a subi de multiples opérations du foie et des intestins. "Dans un mot, écrit le 31 août à son domicile de Milly-la-Forêt, note le biographe de Piaf Robert Belleret, Jean Cocteau [écrit ainsi] : Mon Édith. On nous a coupés pendant que je te disais ma tendresse fidèle. Je sors assez mal de mes disputes avec la mort, mais le coeur reste solide et t’aime. Quelques jours plus tard, il lui écrit encore : Tiré de la mort je ne sais comment (c’est notre truc), je t’embrasse parce que tu es une des sept ou huit personnes auxquelles je pense avec tendresse chaque jour." Théo Sarapo, le dernier compagnon de Piaf, témoigne, lui, des appels quotidiens qu’elle échangeait avec l’écrivain.
Plus troublant : selon Claude Arnaud, qui a écrit sa biographie, Jean Cocteau aurait dit, après avoir appris de sa cuisinière Juliette que son amie était morte : "C’est ma dernière journée en ce monde." D’autres témoignages, cités par Violette Morin, professeur à l’École pratique des hautes études, dans un essai écrit en 1964 sur la mort des deux artistes, assurent en outre que Cocteau aurait dit : "La mort de Piaf a augmenté mes étouffements..., je sens que c’est fini." "C’est le bateau qui achève de sombrer." Il accepte pourtant une proposition d’interview de Paris Match, qui souhaite recueillir sa réaction à la mort de Piaf. Il n’aura pas le temps de la livrer.
Ultime pirouette de l’histoire : il existe pourtant un hommage funèbre de Cocteau à Piaf, écrit "préventivement" et que cite Robert Belleret : "Édith Piaf s’éteint, consumée par un feu qui lui hausse sa gloire. Je n’ai jamais connu d’être moins économe de son âme. [...] Comme tous ceux qui vivent de courage, elle n’envisageait pas la mort et il lui arrivait même de la vaincre. Seulement, sa voix nous reste. Cette grande voix de velours noir, magnifiant ce qu’elle chante."
REGARDEZ ICI les images de l’enterrement d’Édith Piaf, le 14 octobre 1963 :
Obsèques de Jean Cocteau à Milly-la-Forêt, le 16 octobre 1963. © AFP
http://www.actionfrancaise.net/craf/?Video-11-octobre-1963-il-y-a-50