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Tératogenèses européennes

 

Les mesures imposées à la Grèce par l’Europe ont eu comme première conséquence la genèse d’une force politique néo-nazie.

Il faudrait être aveugle et stupide à la fois pour ne pas faire le rapprochement entre les mesures d’austérité, l’image d’un monde politique dévalorisé à force d’accepter l’inacceptable, la dégradation politique sociale et économique, la destruction du tissu social d’une part, et la floraison de ce parti d’extrême droite.

Entre le début de la « crise » et aujourd’hui, ce groupuscule est passé de moins de deux pour cent à (selon les sondages) plus de douze. Aux élections de l’année dernière il a fait élire dix-huit députés et il serait devenu, si les élections avaient eu lieu il y a dix jours, le quatrième parti de Grèce, bien devant le PASOK, qui fait désormais figure de groupuscule. Ce dernier, qui joue le rôle de canne au parti d’une droite désormais amputée de la moitié de ses électeurs traditionnels, n’était même pas certain d’être représenté au prochain parlement

En fait, le clivage stratégique, celui qui partage l’opinion citoyenne se situe entre ceux – minoritaires – qui font confiance, ou perçoivent comme une fatalité les réformes imposées par l’Europe et ceux qui les contestent radicalement.

L’Aube dorée, comme la plupart des partis d’extrême droite contemporains, surfent sur cette vague anti-européenne, version « moderne » de l’antiparlementarisme de l’entre deux guerres, et qui, très concrètement, déplace la cible des causes aux conséquences, des riches aux pauvres, de la finance aux émigrés, de la mondialisation aux frontières. Le vocabulaire de l’Aube dorée, plus radical – et perspicace – qu’ailleurs, avait fini par pénétrer l’opinion grecque. Pour eux, la Troïka c’était « les usuriers internationaux », et les partis au gouvernement « les laquais de Merkel ».

Même si ces dénominations paraissent pour aucuns excessives, elles font écho à des réactions émises par des personnalités éminemment respectées, dont celle du constitutionnaliste M. Kassimatis qui considère que les mesures imposées à la Grèce sont synonymes d’un coup d’Etat, n’est pas la moindre.

L’Aube dorée composée – du moins à sa direction -, de nostalgiques de colonels grecs et de leur dictature, avait le désavantage pour le gouvernement grec de fixer au sein de l’arc politique anti-européen une population aux opinions archaïques viscéralement anticommuniste qui votait, selon des vieux schémas désormais éclatés, à droite.

Mettre en prison ou inculper les dirigeants de ce parti fait partie, bien entendu, d’un plan destiné à ramener au bercail ces brebis égarées d’une droite vieille comme la guerre civile et la collaboration.

Cependant le calcul ne peut s’avérer que chimérique. En effet (et les premiers sondages non farfelus l’indiquent), la ligne de rupture entre ceux qui gèrent la déchéance de la Grèce et de son peuple et ceux qui les contestent est tellement profonde, que toute redistribution politique se fait et se fera au sein de la vaste palette de partis qui refusent l’inféodation et la décrépitude de leur pays.

Car si la direction de l’Aube dorée est franchement nazie, son électorat est constitué des premières victimes des « plans de redressement » imposées : boutiquiers, ouvriers, employés, paysans, ayant perdu leur travail ou l’outil de leur travail. Ces lumpenprolétariats des temps modernes, certes peuvent être abusés par une propagande qui n’a rien à [envier à] celle des régimes fascistes, mais continue à considérer les partis du gouvernement comme étant partie du problème et en aucun cas de sa solution.

La tératogénèse mise en place dès les premiers mois de la « crise de la dette » par l’Europe et le FMI consiste à imposer des gouvernements hybrides, mi-légaux, c’est-à-dire se situant sur la ligne de démarcation séparant un formel ayant l’apparence du légal.

En fait, cette matrice de monstres impose soit des « techniciens » issus de la technostructure financière (ayant elle même généré la crise financière de 2008), soit des majorités électorales contre nature, elles-mêmes toujours socialement minoritaires. Elle peut se définir comme un coup d’Etat permanent visant la démocratie réelle au nom d’une « solution à venir », et qui permettrait à fermer cette parenthèse anti-démocratique.

Comme le soulignait un ministre de l’économie allemand : les grecs doivent choisir entre emprunts et démocratie, ce qui indique clairement que les responsables de cette dérive sont pleinement conscients des monstres qu’ils font naître.

Cependant, la « solution à venir » rassemblant de plus en plus à Godot, le sentiment d’injustice démocratique au nom de solutions qui le sont encore moins est désormais hégémonique partout en Europe. Une large majorité de citoyens, écrasante au sein des pays du sud, non seulement ne croit plus que les mesures imposées sont une chimère supplémentaire, mais elle reste convaincue que les processus mis en place sont une offense criarde à la démocratie.

Au lieu de chercher des fantasmatiques coups d’Etat et à vilipender des groupuscules néo-nazis qu’ils ont eux mêmes créés, les dirigeants européens devraient enfin comprendre que désormais leurs peuples les considèrent comme des vulgaires dictateurs.

Cent Papiers

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