Christophe Guilluy, géographe et auteur de « Fractures françaises », analyse le potentiel électoral du Front national.
Marine Le Pen vise à présent la Bretagne, où elle était en déplacement ce samedi. Vous pensez que son parti a une réelle possibilité de progression là-bas?
Le FN a globalement une marge de progression immense dans tout l'ouest. Et ce parti l'a bien compris. Les représentations de la France d'hier, tout comme la géographie électorale d'hier, sont en train de s'effacer. C'est la conséquence de la reconstruction sociale mais aussi économique des territoires. Aujourd'hui, il y a deux France, celle des métropoles, en phase avec la mondialisation, qui inclut les banlieues, et celle où se redéploient les nouvelles classes populaires. Des zones rurales, des petites villes, des petits villages, certaines zones périurbaines. Cela forme la France périphérique, où progresse le vote FN. Cette fracture touche à présent toutes les régions, y compris la Bretagne.
Sur notre carte, les villes prenables par le FN sont pourtant toutes situées dans l’Est de la France…
C’est parce qu’il faut avant tout regarder la dynamique électorale, la poussée très importante du vote FN dans l’Ouest aux dernières cantonales et évidemment à la présidentielle. Il augmente à l’extérieur des grandes métropoles, dans des territoires à l’écart de Rennes, Nantes, Brest ou Bordeaux.
C'est la crise qui accélère ce processus?
Ce qui vient de se produire en Bretagne est assez représentatif. Quand une entreprise du centre de la région vient à fermer, c'est le chômage total qui arrive. Dans cette France périphérique qui pèse 60% de la population, les mobilités sociale et résidentielle sont en train de s'effondrer. Compte tenu des logiques foncières et économiques, les gens sont coincés. Et c'est ce qui génère la radicalisation. Ce ne sont pas des territoires que la droite pourra conquérir. Ces populations ne sont pas pour le libre-échange, ne souscrive pas au programme économique de l’Ump. Depuis vingt ou trente ans, elles vivent l’échec des choix de gouvernements, qu’ils soient Ps ou Ump. Le FN parle maintenant à des actifs et à des jeunes qui ne sont plus du tout dans le clivage gauche-droite. Quand les champs du possible se restreignent, le vote FN augmente.
Il n’y a que le FN qui soit audible dans ces territoires ?
Le programme économique et social de Jean-Luc Melenchon est le même que celui de Marine Le Pen. Mais dans ces territoires, la question d’ordre culturel et identitaire est prégnante. Ce sont des personnes qui vivent à l’écart de la vie du monde, à l’écart de l’immigration. Quand Melenchon parle de l’ouverture des frontières, cela n’a pas d’impact. Il y a un discours à la fois social et culturel qu’a entièrement capté Marine Le Pen. Dire que c’est quelque chose de protestataire et de conjoncturel, c’est d’ailleurs se tromper sur l’analyse. Cela vient de très, très loin.
Vous avez rencontré le président il y a dix jours. Vous écoute t-il ?
Le gros problème de la classe politique dans son ensemble, c’est la représentation qu’elle se fait de la France. Elle est encore dans la France des trente glorieuses. L’enjeu est de prendre la mesure de cette nouvelle question sociale. Le vote FN n’est qu’un symptôme. En ce sens, il a un intérêt : il permet la prise de conscience des élus. Aujourd’hui, la France qui reste un pays très riche, tourne sans ses classes populaires. Tous ces gens, cela fait du monde. Et c’est le cœur du malaise français.