Si vous n’êtes pas chasseur, le nom de Bernard Baudin ne vous dira rien. Si vous l’êtes, vous pensez qu’il défend vos intérêts. Or la Cour des comptes a mis son nez dans le terrier de la Fédération nationale des chasseurs (FNC), qu’il préside. Elle envoie du gros plomb sur les rémunérations en or de la FNC… et sur ses pratiques.
Quand ça ne veut pas, ça ne veut pas, doit se dire… le maire de Nice, Christian Estrosi. Bernard Baudin n’a pas, en effet, que la chasse pour passion; la politique est son autre marotte et il siège comme conseiller municipal, de puis 2008, à la mairie de Nice. De 2004 à 2010, il a aussi été conseiller régional en Paca. Et en 2011, il s’est fait élire conseiller général des Alpes-Maritimes, sous les couleurs de l’UMP, dans le 7e canton de Nice, avec 55,90 % des voix (seulement) face à un candidat du Front national après quelques péripéties qui ont failli entraîner l’invalidation du scrutin; c’est passé.
Un directeur mieux payé qu’un premier ministre !
Le rapport que la Cour des comptes a consacré à la Fédération nationale des chasseurs, lui, risque de passer moins facilement. Le monde de la chasse bruissait, depuis plusieurs mois, de ce rapport confidentiel, remis à la FNC en juillet dernier, aux découvertes que l’on disait alarmistes, voire scandaleuses. Le numéro de novembre de « Plaisirs de la chasse » a dévoilé ses conclusions.
Elles sont en effet étonnantes et vont faire d’autant plus de bruit que le budget de la FNC, interlocuteur privilégié des pouvoirs publics, provient, pour l’essentiel, des « contributions obligatoires » des chasseurs qui, lorsqu’ils acquittent leur permis de chasse, versent 3,27 euros qui vont atterrir dans les caisses de la FNC. Au total, avec les diverses subventions qu’elle reçoit, la FNC affiche un budget annuel de 13 millions d’euros, soit 10 euros par tête de chasseur. Ce qui lui permet de mener grand train…
Son équipe dirigeante perçoit, comme l’écrit « Plaisir de la chasse », des « salaires de ministres ». Pour son directeur: 203.000 euros bruts annuels, « en progression de 36 % en six ans »! Pour la directrice adjointe: 118.000 euros bruts annuels, en progression de 35 % sur la même période! Et pour le directeur administratif et financier, 103.000 euros, en progression cette fois de 72 %!
« Le salaire du directeur de la FNC (16.290 euros mensuels sur la période 2010-2012), écrit notre confrère, est donc supérieur à celui du premier ministre »! Jean-Marc Ayrault ne perçoit en effet « que » 14.910 euros par mois. Et celui de la directrice adjointe est, à 100 euros près, celui d’un simple ministre (elle touche 9.833 euros). Et comme il n’y a pas de petites économies, le directeur de la FNC, un peu mesquin, bénéficiait également de la prise en charge, par la fédération, de son abonnement internet/ téléphone/télévision à hauteur de 45 euros par mois au douteux motif, a tenté d’expliquer la FNC à la Cour des comptes, que l’intéressé consultait ses mails professionnels depuis son domicile!
« Secret défense » dans les allées du pouvoir
Président de la FNC depuis 2010, Bernard Baudin va donc devoir expliquer à ses adhérents contraints et forcés pourquoi il a toléré de telles rémunérations, et pourquoi, aussi, il a accepté qu’un « lobbyiste » – le terme figure dans le rapport de la Cour – perçoive, chaque année, entre 180.000 et 200.000 euros de la FNC pour des missions qui n’ont pas laissé de traces écrites… Hormis bien sûr la présentation de notes de frais… Sa mission aurait consisté à « accompagner les négociations politiques et techniques en liaison avec les parlementaires, les cabinets ministériels… »
Cet homme, doté de beaucoup d’entregent et d’une santé de fer, aurait organisé, selon la FNC, « des dizaines de réunions par mois » Avec des conseillers du chef de l’Etat ou du premier ministre, avec les membres des groupes chasse de l’Assemblée nationale et du Sénat, etc., avec des membres de cabinets ministériels, etc. Mais la transparence de la FNC s’arrête là où commence le « secret défense »: à la porte des alcôves… « Beaucoup d’informations collectées et de rendez-vous organisés, a-t-il confié à la Cour des comptes, ont un caractère très confidentiel qui empêche toute diffusion hors d’un cercle restreint », ajoutant qu’« une part non négligeable des missions confiées ne peut faire l’objet d’aucune valorisation, même interne, afin de ne pas mettre en difficulté certains de nos informateurs et de nos partenaires ». On ne saurait mieux reconnaître que la démocratie parlementai re s’arrête, elle, là où débutent les petits arrangements avec les gros lobbies.
La Cour des comptes s’étonne d’autant plus des pratiques de ce lobbyiste que la FNC rémunère déjà un avocat pour des missions semblables ! Lui aussi rencontre les conseillers, lui aussi casse la graine avec des parlementaires. Pas les mêmes, alors? Et est-ce le même avocat que celui (Me Charles Lagier) qui a écrit un Code de la chasse, préfacé par Bernard Baudin et dont le même Bernard Baudin recommande vivement l’achat à ses adhérents?
En août dernier, alors que le rapport de la Cour des comptes lui était déjà connu mais n’avait pas été divulgué, Bernard Baudin avait été réélu haut la main à la présidence de la FNC avec 75 % des voix (ce qui n’est pas un prodige et est même surprenant: il n’avait pas de rival !). Il avait alors affirmé bénéficier d’une « légitimité renforcée ». L’état de grâce est terminé et, pour les chasseurs, cela va être la double peine puisque les écologistes ne vont pas manquer de s’engouffrer dans cette gabegie et ces mauvaises manières antidémocratiques. On ne peut même pas conseiller à Bernard Baudin de se faire recaser au Conseil économique, social et environnemental, il y siège déjà. Au titre des personnalités qualifiées.
Antoine Vouillazère
Article de l’hebdomadaire “Minute” du 6 novembre 2013, reproduit avec son aimable autorisation. Minute disponible en kiosque ou sur Internet.