Relativement passé sous silence par les médias, le procès des anciens dirigeants khmers rouges toujours vivants, qui doit normalement se tenir dans le courant de l’année 2007, n’en est pas moins important, dans la mesure où c’est la première fois depuis les procès de Nuremberg que sera donnée à juger une des “expériences” communistes les plus meurtrière de l’histoire du XXe siècle. En quatre ans, de 1975 à 1979, le Parti communiste du Cambodge ou Parti du Kampuchéa démocratique, appuyé sur sa terrible organisation, l’Angkar, assassina plus du quart de la population cambodgienne, soit près de deux millions de morts.
On se souviendra de ce qu’il advint, dans les années 1990, de la tentative de faire juger Alphonse Boudarel, ressortissant français exerçant les fonctions de commissaire politique et de commandant adjoint dans les rangs du Viêt-Minh, entre les mois d’octobre 1952 et août 1954, dans un camp d’internement du Nord-Vietnam au sein duquel il aurait persécuté des prisonniers politiques. La Cour de cassation, saisie à l’époque, avait jugé que les faits reprochés à l’ancien supplétif étaient amnistiés parce qu’ils étaient postérieurs à la Seconde Guerre mondiale et ne pouvaient donc recevoir la qualification de crimes contre l’humanité. Si la question des procès des crimes communistes s’était également posée suite à la publication, en 1997, du retentissant Livre noir du communisme par Stéphane Courtois, force est de constater qu’elle est restée depuis au stade de la pétition de principe ou du voeu pieux.
Deux régimes criminels
Établir le parallèle, pourtant saisissant, entre les crimes nazis et les crimes communistes a toujours relevé de l’hérésie, la singularité de la Shoah, génocide de race, ne pouvant être banalisée et mise sur un pied d’égalité avec un “simple” génocide de classes. L’historien américain Charles S. Maier explique ce phénomène par le fait que la terreur des régimes communistes, bien que plus meurtrière que la terreur nazie (près de cent millions de morts !), était beaucoup plus aléatoire et conjoncturelle que cette dernière, enfermée, quant à elle, dans une logique systématique et planifiée d’extermination. En ce sens, les crimes communistes s’inscriraient dans une “mémoire froide” éphémère alors que le souvenir des crimes nazis serait entretenu par une “mémoire chaude” plus persistante, parce que, précisément, ces crimes étaient plus ciblés.
Si l’explication peut sembler valable, il n’en reste pas moins, d’un point de vue plus prosaïque, que depuis les accords de Yalta de février 1945, jusqu’à la chute du Mur de Berlin et l’effondrement du régime soviétique de Russie qui s’ensuivit, la “guerre froide” autant que la “transition démocratique” des pays de l’Est ont toujours empêché de poser clairement le problème d’un “Nuremberg” des crimes communistes, l’Est et l’Ouest ayant toujours eu intérêt (pour des raisons de politique intérieure ou extérieure) à l’ignorer.
Un procès retardé
Fort de ces éléments, on comprend mieux pourquoi la mise en place du procès des anciens responsables du régime Khmer rouge qui doit se tenir à Phnom Penh rencontre des difficultés de tous ordres, juridiques comme politiques.
Tout d’abord, ce procès vise des personnes à la santé fragile dont la moyenne d’âge est de quatre-vingts ans. C’est dire que, depuis le renversement du régime de Pol Pot (décédé en 1998), la communauté internationale n’a pas fait montre d’un empressement forcené pour déférer les coupables devant un tribunal.
Ensuite, parce que ce procès concerne des crimes ayant été commis avant l’institution de la Cour pénale internationale en 2002, c’est à un tribunal spécial composé de juges étrangers et cambodgiens qu’il reviendra de connaître des crimes des anciens dignitaires Khmers. Il faut savoir que ce tribunal, instauré après moult tractations sous l’égide des Nations unies, est fortement contesté par le gouvernement cambodgien qui y voit une atteinte à sa souveraineté. Bien entendu, il s’agit d’un prétexte pour contenir la compétence d’un tribunal qui devra se garder d’aller trop loin dans ses investigations. Le Premier ministre en exercice, Hun Sen, ayant été chef de régiment dans le régime Khmer rouge, ainsi que bon nombre de responsables impliqués dans les crimes de ce régime et faisant partie de l’actuelle administration ne sont évidemment pas prêts à coopérer aussi facilement et sans conditions.
Des paramètres géopolitiques rendent également difficile la tenue du procès. Les États-Unis, certains pays occidentaux et la Chine, quelques années après la chute du régime, ont continué malgré tout à marquer leur soutien aux Khmers rouges, les uns pour résister à l’URSS (qui soutenait le Vietnam libérateur du Cambodge en 1979), la Chine parce qu’elle a toujours été présente aux côtés des Khmers rouges de Pol Pot ou de Khieu Samphan son successeur en 1987. Finalement, pas grand monde ne souhaite ce procès des anciens Khmers rouges et la discrétion qui entoure l’organisation de celui-ci démontre, s’il en est besoin, que les victimes des crimes communistes demeureront les oubliés éternels de la Justice universelle.
Aristide Leucate L’Action Française 2000 du 19 avril au 2 mai 2007
aleucate@yahoo.fr