Si le chômage monte, c’est qu’il ne baisse pas. Sur la forme, François Hollande a donc perdu son premier pari sur l’emploi. La courbe du chômage ne s’est pas retournée en 2013, en dépit de l’engagement présidentiel proclamé en septembre 2012 et réitéré avec force lors de ses vœux aux Français. Le nombre de demandeurs d’emploi n’aura pas reculé deux ou trois mois d’affilée cette année, condition nécessaire pour parler sérieusement d’inversion.
Sur le fond, la réalité est plus nuancée. Ministres et partisans de François Hollande soulignent que la montée des bataillons de sans-emploi ralentit de trimestre en trimestre, et ils n’ont pas tort. La fameuse inversion, qui a commencé pour les moins de 25 ans au printemps dernier, pourrait se généraliser début 2014, même si elle sera difficile à distinguer avec certitude dans le brouillard statistique tombé sur les chiffres du chômage, en effectifs comme en taux.
Mais l’essentiel est ailleurs. Si l’inversion se confirme dans les mois à venir, elle viendra d’abord des dizaines de milliers d’emplois aidés. Des CDD créés dans le public remplacent des CDI qui disparaissent dans le privé : ce n’est pas exactement l’idéal dans un pays où les dépenses publiques sont parmi les plus élevées au monde avec une efficacité trop faible, même si ces créations peuvent se justifier ponctuellement. Le gouvernement ne compte d’ailleurs pas aller beaucoup plus loin dans cette direction. A l’été prochain, l’effet positif de ces créations de postes se stabilisera. Puis il cédera la place à un effet négatif au cours de l’année 2015, quand ces CDD viendront à terme.
C’est ici que François Hollande a pris son second pari sur l’emploi, plus discret mais plus important. Le président est convaincu que la reprise économique deviendra assez puissante d’ici là pour relancer la création d’emplois dans les entreprises et faire reculer durablement le chômage. Or ce pari est osé, pour trois raisons. D’abord, la croissance prévue pour 2014, proche de 1 %, ne sera pas assez forte pour déclencher l’embauche. Ensuite, les entreprises ont encore beaucoup de salariés en sureffectifs : plus de 200.000 selon l’institut OFCE, qui n’est pas réputé pour exiger des licenciements. Elles emploieront mieux leurs employés avant de recruter.
Enfin, la crise longue et profonde de l’activité, sans équivalent depuis les années 1930, a détruit du capital humain autant que physique. Parmi les quelque 2 millions de chômeurs qui n’ont pas eu d’emploi à temps plein depuis plus d’un an, beaucoup auront du mal à retrouver un vrai poste, sauf à envisager un effort de formation colossal. Une remontée du chômage risque donc de se produire après une inversion artificielle. De quoi alimenter tous les extrémismes.
C’est « l’objectif premier » de François Hollande. Et il n’est pas atteint. L’inversion de la courbe du chômage, promesse emblématique du chef de l’Etat, attendra encore. Le ministère du Travail a indiqué, hier, que le nombre de demandeurs d’emploi de catégorie A, c’est-à-dire n’ayant exercé aucune activité, avait augmenté de 17.800 en novembre. Une très nette hausse. Et une déception après un recul de 20.500 en octobre, le premier depuis avril 2011, hormis celui intervenu en août mais qui avait été affecté par le « bug SFR ».
Cette contre-performance est d’autant plus problématique que le chômage des jeunes a remonté en novembre, alors qu’il était orienté à la baisse depuis six mois. Le mois dernier, la métropole comptait 3,293 millions de demandeurs d’emploi (catégorie A), dont 537.400 jeunes de moins de 25 ans.
Au gouvernement, c’est un peu la méthode Coué qui domine. Le ministre du Travail, Michel Sapin – fidèle du chef de l’Etat –, a préféré hier mettre en avant le fait que le nombre de demandeurs d’emploi en incluant les catégories B et C (ceux qui ont un peu travaillé) a reculé de 6.900 en novembre. Et il a surtout beaucoup insisté sur le fait qu’il fallait mieux s’intéresser aux variations trimestrielles du chômage plutôt qu’aux chiffres mensuels, « plus volatils ». Ainsi, « alors que le chômage progressait d’environ 30.000 par mois en moyenne au premier trimestre 2013, il progressait de 18.000 par mois en moyenne au deuxième trimestre, puis de 5.500 au troisième trimestre. Sur les deux premiers mois du quatrième trimestre, l’évolution est à la baisse de 1.350 en moyenne par mois », avance le ministère. « Il est clair et net que l’inversion de la courbe du chômage est engagée au quatrième trimestre », a martelé Michel Sapin, même s’il avoue qu’elle demande « à être confirmée dans la durée ».
Seul point noir que le ministre accepte de mentionner, la situation des chômeurs de plus de 50 ans et celle des demandeurs d’emploi de longue durée. Le chômage des seniors a, il est vrai, grimpé à nouveau de 1,3 % en novembre. Et le nombre de Français au chômage depuis plus d’un an continue à augmenter : il atteint désormais 2,035 millions de personnes. « Il y a des efforts à faire sur le chômage des seniors et les demandeurs d’emploi de longue durée. Il va falloir polariser la politique de l’emploi sur ces catégories-là », a admis le ministre.
Sur le plan politique et économique, le gouvernement va toutefois avoir beaucoup de mal à convaincre, au moins à court terme, que le chômage va durablement baisser dans les prochains mois. La Commission européenne, l’OCDE et l’Insee doutent ouvertement que la courbe puisse s’inverser l’an prochain. Les dernières prévisions de l’Insee font d’ailleurs état d’un taux de chômage en légère hausse à la mi-2014, à 11 % de la population active, soit une hausse de 0,1 point par rapport à fin octobre 2013. « Sous l’effet du retour de la croissance et du crédit d’impôt compétitivité emploi, la baisse de l’emploi marchand s’atténuerait progressivement d’ici à mi-2014 », selon l’Insee. L’emploi du secteur non marchand continuerait d’augmenter d’ici à mi-2014, notamment du fait de la progression du nombre des bénéficiaires de contrats aidés. Entre octobre 2013 et juin 2014, « les créations nettes d’emplois (+ 76.000) ne seraient en effet pas suffisantes pour absorber la hausse anticipée de la population active (+ 113.000) », estime l’institut statistique.
Michel Sapin récuse cette analyse. Pour lui, « compte tenu de l’accélération de l’activité, les créations d’emplois dans le tissu économique prendront le relais des emplois aidés. A partir de mi-2014, la croissance suffira à soutenir l’emploi », veut-il croire. Lentement mais sûrement, le calendrier est en train de glisser.
Au total, 132.700 emplois n'ont pas été pourvus au troisième trimestre, selon une étude du Medef.
Former davantage de chômeurs, en ciblant notamment les moins qualifiés, pour les orienter vers les métiers les plus créateurs d'emplois : c'est l'un des objectifs de l'accord sur la formation professionnelle conclu voilà deux semaines par les partenaires sociaux et que le gouvernement doit encore transcrire dans la loi. Avec, pour point de départ, le constat d'un gâchis : alors que la France fait face à un chômage élevé, 132.700 postes sont restés non pourvus au troisième trimestre, selon une enquête du Medef. Soit pas loin de 1.500 par jour... Dit autrement, sur les quelque 835.000 procédures de recrutements lancées cet été, 16 % n'ont pas abouti. C'est plus qu'au printemps (104.000 emplois non pourvus).
Ces recrutements abandonnés s'expliquent pour partie par des raisons conjoncturelles (le PIB a reculé de 0,1 % au troisième trimestre, vient de confirmer l'Insee), mais « pas davantage que par absence de candidats répondant aux attentes », note le Medef. Lancé il y a un an auprès d'un panel de 44.000 établissements, l'observatoire du Medef vise précisément à déterminer quels sont les secteurs où le manque d'adéquation entre l'offre et la demande est le plus criant, et à en connaître les raisons. Employés et agents de maîtrise de l'hôtellerie et de la restauration, cuisiniers, assistantes maternelles, conducteurs de véhicules sont ainsi les principaux postes non pourvus. Des métiers qui, au-delà des questions de rémunération, présentent des contraintes propres.
Reste que le manque de compétences des candidats fait partie des principales raisons mises en avant par les entreprises ayant éprouvé des difficultés de recrutement (qu'il y ait eu embauche ou pas). Le manque de connaissance des techniques du métier est pointé du doigt, avant le manque d'expérience professionnelle ou l'absence du diplôme lié au métier. Des difficultés de « savoir être » (manque d'autonomie, de ponctualité et d'implication) sont également signalées, mais dans une moindre mesure.
« Les difficultés d'embauches confirment la nécessité d'associer les partenaires sociaux à la gouvernance des filières de formation des demandeurs d'emploi », estime Michel Guilbaud, directeur général du Medef. C'est précisément l'un des points de l'accord entre les partenaires sociaux.
A partir du 1 er janvier, la durée de travail hebdomadaire ne pourra être inférieure à 24 heures pour les nouveaux contrats, sauf exception.
C'est une disposition contenue dans l'accord sur la sécurisation de l'emploi signé il y a un an. A partir du 1er janvier 2014, tout nouveau contrat signé entre un salarié et son employeur devra avoir une durée hebdomadaire de travail de 24 heures minimum. Cette disposition a été prise pour lutter contre le travail à temps partiel subi. En France, plus de 4 millions de personnes travaillent à temps partiel (80 % sont des femmes), dont un tiers de manière « subie ». Sur ces 4 millions d'emplois, la moitié ont une durée inférieure à 24 heures par semaine.
Pour autant, tous ces salariés ne seront pas concernés par la réforme. Jusqu'au 1er janvier 2016, la loi ne s'applique qu'aux nouveaux contrats signés et prévoit plusieurs exceptions. Les jeunes de moins de 26 ans ne sont pas concernés, de même que les particuliers employeurs et les intérimaires. Enfin, si le salarié en fait expressément la demande écrite auprès de son futur employeur, il peut demander à travailler moins de 24 heures.
Si un accord de branche est signé, l'entreprise peut également s'exonérer de cette obligation, y compris après la date du 1er janvier 2016. Mais, pour l'heure, les accords se comptent sur les doigts d'une main. L'enseignement privé en a signé un, de même que le secteur sanitaire et social et celui de la chaussure.
Les organisations patronales qui ont signé l'accord sur l'emploi, et donc cette disposition sur les temps partiels, comptaient beaucoup sur ces accords de branche pour pouvoir déroger à la règle. Mais c'était sans compter sur la résistance des syndicats, qui estiment que le recours au temps partiel de courte durée est souvent la solution de facilité pour les employeurs et qu'une réorganisation du travail pourrait permettre d'augmenter les heures travaillées par un même salarié.
« L'idée de faire travailler plus les salariés en poste lorsqu'ils sont à temps partiel est très bonne, mais c'est inapplicable dans certains métiers », juge Jean-Eudes du Mesnil du Buisson, secrétaire général de la CGPME. Dans la propreté, par exemple, 70 % des emplois sont aujourd'hui à temps partiel. Et les heures travaillées sont souvent morcelées (très tôt le matin ou très tard le soir lorsqu'il s'agit de ménage dans les bureaux par exemple). Idem dans l'hôtellerie et la restauration, ou encore la boulangerie. « Il va y avoir un manque à gagner en termes d'emplois, c'est certain, poursuit Jean-Eudes Du Mesnil. E t à partir de 2016, des licenciements pourraient aussi intervenir dans ces secteurs. »
Le recul de l'âge de la retraite, résultat des réformes de 2003 et 2010, a eu un effet spectaculaire sur l'emploi des seniors. Le taux d'emploi des 55-59 ans est passé de 55 % à 67 % entre 2007 et 2012, selon les statistiques de l'OCDE publiées le mois dernier. Beaucoup plus faible, celui des 60-64 ans a progressé lui aussi, passant de 16 % à 22 % en cinq ans. Longtemps lanterne rouge pour l'emploi des salariés âgés, la France se situe désormais au-dessus de la moyenne des pays développés. C'est un facteur favorable à la croissance et au pouvoir d'achat, et cela limite le coût des retraites.
Revers de la médaille, les seniors sont aussi plus souvent qu'avant frappés par le chômage, même s'ils le restent toujours moins que les autres catégories d'âge : 8 % des plus de 50 ans étaient inscrits à Pôle emploi au troisième trimestre 2013, contre moins de 7 % un an plus tôt. « Le nombre des demandeurs d'emploi de plus de 55 ans n'a cessé de s'accroître, dans des proportions plus importantes que pour les autres catégories d'âge, souligne l'Inspection des affaires sociales (Igas) dans un rapport publié en septembre, en particulier depuis le deuxième semestre 2011. » C'est-à-dire depuis l'entrée en vigueur de la réforme de Nicolas Sarkozy, qui relève progressivement l'âge légal de 60 à 62 ans.
Principale explication, les chômeurs âgés ont plus de mal à retrouver un emploi que les plus jeunes. La durée d'inscription moyenne à Pôle emploi dépasse 440 jours pour cette tranche d'âge, contre moins de 260 jours pour les moins de 50 ans. « Quelles que soient les études, le taux de retour à l‟'emploi des chômeurs seniors est deux fois moindre que celui des moins de 50 ans », poursuit l'Igas, et cet écart « croît depuis 2008 ».
L'une des raisons avancées par l'Inspection est la perception qu'ont les employeurs des salariés âgés : « Leur niveau de rémunération est considéré comme un frein à l‟'embauche. » Certes, l'âge auquel les entreprises considèrent qu'un salarié est âgé recule, mais il reste nettement inférieur à celui de la retraite. « 58 ans et demi, c'‟est l'‟âge moyen à partir duquel les employeurs considèrent les salariés comme âgés en 2008 », montre une étude de la Dares. Cette perception changera-t-elle avec l'augmentation de l'âge de la retraite ? Le gouvernement Fillon affirmait que ce serait le cas lorsqu'il a fait voter la réforme de 2010, mais rien ne permet de le confirmer pour l'instant.