Au grand dam de Bruxelles, l'Ukraine a décidé de tourner le dos à l'Union européenne pour lui préférer une proposition d'alliance avec la Russie. La décision fait scandale en Europe où l'on imagine mal qu'on puisse refuser une proposition aussi alléchante. Mais les motivations de Kiev sont loin d'être uniquement politiques. Elles s'adossent aussi fortement à des considérations économiques.
Le président ukrainien Viktor Lanoukovitch a renoncé, fin novembre, à signer un accord, qui était pourtant presque acquis, aux termes duquel il aurait renforcé les liens unissant son pays à l'Union européenne, pour lui préférer l'union douanière par laquelle la Russie tente d'organiser les relations économiques dans la région. Et renforcer sa place sur les marchés. La frustration de l'Union européenne à cette annonce s'est traduite dans les média par des moqueries longuement renouvelées à l'égard de l'Ukraine, par des articles dithyrambiques sur les manifestations populaires contre le pouvoir, et par l'exhibition du spectre, maintes fois agité, de l'URSS. Tout cela pourrait se résumer par ce slogan d'Ukrainiens mécontents : « Nous ne sommes pas l'URSS, nous sommes l'Union européenne ! »
Bref ! Washington craint « l'escalade », et Bruxelles le « déraillement » d'une situation qui ne leur convient pas.
Comme souvent, ces images d'Epinal prennent quelques libertés avec la réalité - mais quand c'est pour la bonne cause, n'est-ce pas ? Car les manifestations - et les violences qui les ont accompagnées de part et d'autre - n'ont pas eu, si l'on regarde images et chiffres, une ampleur telle que le torrent populaire en ait bousculé le pouvoir. Celui-ci d'ailleurs, devant la fureur que manifeste l'Occident à son encontre, ne doit guère être poussé à réviser sa position...
Accord politique ?
On peut sans doute s'inquiéter, plus ou moins objectivement, de ce que Moscou tente de reconstituer une puissance politique, qui viendrait faire pièce à l'Union européenne. Mais de là à le reprocher à Vladimir Poutine comme le font les Européens, ou à lui demander de se retirer pour favoriser la paix comme le font les Américains, il y a une marge, qui est d'abord celle du ridicule.
D'abord, parce qu'il faudrait trouver un argument convaincant, à défaut d'être diplomatique, pour convaincre Moscou de favoriser le jeu de son voisin plutôt que le sien. Surtout à un moment où Bruxelles risque de fragiliser l'équilibre de la région en attirant (ou en tentant d'attirer) à elle d'autres pays voisins.
Ensuite, parce que la position ukrainienne est avant tout économique. Le premier ministre Mykola Azarov l'a dit diplomatiquement, mais simplement : « La décision de suspendre le processus de signature de l'Accord d'association avec l'UE a été difficile, mais c'était le seul choix étant donné la situation économique de l'Ukraine. »
Pourquoi ? Tout simplement parce qu'un quart des exportations ukrainiennes se font vers la Russie.
On comprend qu'il soit donc assez délicat pour Kiev de se placer en porte-à-faux par rapport à un tel voisin, sous peine d'en subir des conséquences économiques qu'elle n'a manifestement pas les moyens de supporter.
Difficile...
Mykola Azarov a d'ailleurs justifié cette décision en mettant en cause ceux qui, aujourd'hui, reprochent à son pays de l'avoir prise. Ainsi a-t-il dénoncé les conditions « extrêmement difficiles » posées par le FMI en vue d'un refinancement demandé par son pays, à savoir, entre autres, l'augmentation des prix intérieurs du gaz de 40 %.
Comme il a reproché à l'Union européenne de n'avoir pas répondu à leur appel à l'aide, lancé afin de surmonter le processus d'intégration économique difficile - parce qu'en plus ce processus est difficile...
Et on hésite ensuite à comprendre la réaction des autorités ukrainiennes ? Et on veut nous faire croire que le peuple ukrainien, dans sa majorité, préférerait une situation qui multiplierait, pour chaque Ukrainien, les difficultés économiques ?
À Washington, on prétend ainsi que les Ukrainiens voient leur avenir dans l'Europe. Et qu'il convient donc de leur laisser « la possibilité de choisir ». Comme il faut laisser la possibilité aux peuples qui votent « mal » de revoter, sans doute ?
Le sommet européen de Vilnius, fin novembre, n'a pas arrangé la situation, qui a prétendu placer l'Ukraine devant un choix impératif : l'Europe ou la Russie. Comme le faisait remarquer quelques temps auparavant l'ancien directeur général de l'OMC, Pascal Lamy, « c'est un peu comme si on demandait au Mexique si le Mexique, c'est l'Amérique du Nord ou l'Amérique du Sud ».
Mais c'est sans doute cela qu'on appelle l'idéologie...
Olivier Figueras monde & vie 27 décembre 2013