Lu dans L'Action Française 2000 :
"Le grand mouvement social de 2013 a fait naître beaucoup d'espoirs. Beaucoup d'espoirs car il s'agit du premier mouvement de masse de droite depuis la défense de l'école libre en 1984 ; beaucoup d'espoirs car ce mouvement s'est inscrit dans la durée ; beaucoup d'espoirs, surtout, car il a vu l'émergence d'une génération de militants, inexpérimentés, certes, mais qui ne demandent qu'à apprendre.
D'aucuns ont cru voir dans cette émergence d'un militantisme de droite un renouveau du catholicisme politique. Il convient de distinguer deux démarches bien différentes : d'un côté, celle tendant à créer un véritable groupe de pression de défense de la famille, toujours plus professionnel, sur un modèle américain ; de l'autre, l'activisme militant visant à développer l'esprit de dissidence et de contestation globale du régime. La première est menée avec efficacité, en effet, par des catholiques pratiquants. Par son aspect universel, inhérent à sa finalité, cette lutte n'est pas politique, au sens où elle ne prétend pas proposer un système alternatif. Il ne s'agit d'ailleurs pas de lui en faire grief puisque tel n'a jamais été son objectif. Pour ces catholiques, la défense du bien commun s'accommode des formes actuelles du pouvoir. Depuis la funeste politique du Ralliement, le catholicisme romain français a, en effet, quitté la sphère du politique pour se réfugier dans celle, ô combien plus simple, de la morale. Cette évolution n'est peut-être que la traduction d'un autre aggiornamento, où la foi elle-même ne serait plus que spiritualité consensuelle et morale sociale.
Les nouveaux apôtres de la dissidence tentent, au contraire, de cultiver l'idée qu'une alternative à l'oligarchie mondialiste en place est possible et nécessaire. En cela, ils mènent bien une lutte politique. Il faut comprendre alors que leur foi n'est pas le moteur de leur engagement dans la sphère publique, mais plutôt une armature, simultanément soutien et fardeau.
Y a-t-il alors un véritable réveil ? Le catholicisme français fut souvent en proie aux luttes politiques : défense des États pontificaux, estocades de Guillaume de Nogaret, critiques des idéologies néfastes au XIXe siècle ; mais il s'est depuis lors départi de cette fonction pour se ranger dans l'analyse morale. N'est-ce pas d'ailleurs une des leçons à retirer des propos du pape François, quand il est obligé de rappeler que l'Église est bien une institution universelle plutôt qu'une belle ONG ? Et que toute prétention au beau et au sublime n'est pas incompatible avec la foi ? Privé de capacité à se sublimer, ramené sans cesse à la grisaille bourgeoise, y compris par l'Église elle-même, comment le catholique français pourrait-il développer une conscience politique qui lui est intrinsèquement étrangère ? Le développement d'un projet politique implique nécessairement une part de rêve et une recherche du beau qui sont à l'exact opposé du catholicisme occidental, étriqué dans son moralisme et sa pauvreté geignarde. Tout engagement demande un dessein, toute passion politique un destin, bien étrangers à la nature même de l'Église occidentale telle qu'elle s'est développée depuis le XIXe siècle.
Il ne s'agit pas alors de demander à l'Église de sombrer dans une utopie bien éloignée des problématiques réelles de ses fidèles, mais davantage de recentrer son discours pour redécouvrir la clef d'une saine politique. L'engagement des jeunes catholiques est admirable puisqu'il s'accomplit dans une atmosphère peu propice à l'action concrète : charge alors à l'Église institutionnelle de quitter le champ du moralisme pour donner la substance dont ces jeunes coeurs ont besoin – quoique Shakespeare nous dise que le jeune sang n'a que faire des vieux décrets. Nous comprenons donc que les catholiques sont à l'orée d'un choix : prendre le parti d'un repli communautaire, essentiellement non politique, de défense des valeurs pour préserver un monde qui leur conviendrait – mission noble, mais tendant à oublier l'universalisme catholique ; ou alors sortir de cette logique pour remettre en cause fondamentalement l'ordre politique contemporain et faire leur la refondation d'un monde. De leur réponse dépendra sans doute la nature du réveil catholique et certainement sa valeur pour l'Histoire."