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Pierre-Guillaume de Roux : « Le conservateur se défie de l'homme livré à lui-même »

Editeur, Pierre Guillaume de Roux a créé sa propre maison d'édition. Il a bien voulu répondre à notre enquête sur la droite.

Pierre-Guillaume de Roux, pensez-vous qu'en politique, la distinction entre gauche et droite ait encore une signification ?

Il me semble qu'à l'heure actuelle, républicains libéraux et sociaux-démocrates communient dans la même croyance au grand schéma progressiste de la modernité. De là vient la difficulté, pour la droite politique, de se dissocier véritablement de la gauche dans sa surenchère anti-conservatrice. Cette droite politique, qu'incarne l'UMP, n'a plus de vraie proposition à faire, et finalement la frontière qui la sépare des sociaux-démocrates est très poreuse, puisqu'elle a fini par s'aligner sur la plupart des dogmes imposés par la gauche.

J'opérerai donc plutôt une distinction entre conservateurs et progressistes. Il existe entre eux une différence capitale : le conservateur, dans la grande tradition qui va de Joseph de Maistre à Donoso Cortes, se défie de l'homme livré à lui-même; alors que les progressistes, que l'on retrouve à gauche comme à droite, sont fondamentalement rattachés à l'idée, issue des Lumières, que l'on peut faire émerger une humanité perfectible, et prônent en même temps un individualisme radical: d'où la culture du narcissisme, dénoncée par Michéa. La vision conservatrice suggère que l'homme est d'abord une créature avant d'être un sujet et qu'il ne peut accéder par ses seules forces à sa propre dignité. Nous sommes tous marqués par le péché originel.

Dans quelle mesure le « politiquement correct » règne-t-il au sein de l'édition? Est-il imputable à une hégémonie culturelle de la gauche ?

Nous subissons cette hégémonie culturelle de la gauche depuis le lendemain de la Deuxième Guerre mondiale. La gauche s'est affirmée sur les ruines d'une droite qui ne s'est pas remise de 1945 et qu'elle est parvenue à culpabiliser. Par ailleurs, la droite est obsédée par l'économique et commet la faute de mépriser la culture, tandis que la gauche, au contraire, a compris depuis longtemps que la dimension culturelle était un élément capital de sa conquête du pouvoir et son hégémonie s'est ancrée depuis la guerre. Aujourd'hui, nous assistons, dans l'édition, à une formidable uniformisation qui se réalise par le biais de grands groupes qui ont avalé au cours des vingt ou trente dernières années les maisons de taille moyenne. C'est le cas de la Table ronde, fondée en 1945 par Roland Laudenbach, qui fut longtemps une maison de droite affichée comme telle, ouverte et libre, parfaitement intégrée au paysage éditorial. Rachetée par Gallimard, elle a été standardisée et uniformisée. On assiste ainsi à une homogénéisation du politiquement correct : la plupart des éditeurs offrent le même type de livres, proposent le même type d'essais, défendent le même type de valeurs et l'on a fait en sorte que, progressivement, tout ce qui pouvait apparaître comme différent s'efface. Il subsiste quelques petites maisons d'édition indépendantes, comme la mienne. Je tente d'en faire un lieu de débat, où des courants auxquels on ne donne plus la possibilité de s'exprimer puissent de nouveau le faire.

Vous avez édité Richard Millet, qui a été mis au pilori. Comment se crée le consensus qui aboutit à la condamnation des auteurs «incorrects »?

Il existe dans ce pays des sujets tabous, sur lesquels on n'a pas le droit de réfléchir, ni de s'interroger. On l'a encore vérifié lorsqu'Alain Finkielkraut a publié l'Identité malheureuse : ses réflexions n'étaient pas très éloignées de celles de Millet ou de Renaud Camus. Son essai a provoqué une levée de boucliers, comme en avaient suscité la parution du livre de Richard Millet Langue fantôme, suivi de Eloge littéraire d'Anders Breivik, ou les réflexions de Renaud Camus. Dès que l'on aborde les questions de l'immigration, du communautarisme, ou que l'on réfléchit en termes de nation, on n'a plus le droit de s'exprimer et l'on est marginalisé. Ces sujets sont tabous parce qu'ils remettent en cause l'unique principe du grand marché. Pour que celui-ci puisse se développer, il faut faire en sorte de réduire la nation à néant, mettre dans la tête des gens que les frontières n'ont plus d'importance et que toutes les notions de tradition, de coutumes, d'héritage, de religion, d'ordre social, qui, liées à une histoire commune, fondent notre identité à chacun au sein d'un peuple, doivent être rejetées. C'est l'ennemi absolu de la modernité telle qu'elle se définit et veut promouvoir sa vision du monde, celle que prône la gauche, avec la complicité de la droite politique. S'y ajoute la volonté de faire advenir l'Individu intégral, car nous sommes dans l'ère de l'individualisme qui doit déboucher sur une sorte d'homme universel, c'est-à-dire sur le règne de la « mêmeté » : tout ce qui est différent est banni.

Entre culture du marché et renouveau

Dans le cas de Richard Millet, l'objectif était de le contraindre à quitter un heu de pouvoir, à savoir le comité de lecture de la maison Gallimard, le saint des saints de l'édition française. D n'était même pas besoin de lire le livre, il a suffi de s'arrêter sur une partie du titre : Eloge littéraire d'Anders Breivik. On a eu vite fait d'oublier « littéraire » pour ne retenir qu' « Eloge d'Anders Breivik », alors que les crimes de celui-ci y étaient condamnés dès les premières lignes et à quatre reprises dans un texte de 17 pages !

Malgré ce climat délétère, il existe quand même un renouveau. Je pense que si l'affaire Millet a été si violente, c'est parce que les gens qui tiennent le pouvoir culturel savent qu'ils sont en train de le perdre et deviennent minoritaires, ce qui les rend d'autant plus méchants. C'est pourquoi il importe de casser cette ligne d'uniformisation où l'on ne nous propose que les mêmes livres, la même manière de penser, les mêmes dogmes, et que, chacun à notre place, par les livres que nous publions ou par les articles qui paraissent dans des journaux où l'on peut réfléchir et s'exprimer en toute tranquillité, nous puissions montrer à une nouvelle génération qu'il existe une autre manière de penser le monde, de réfléchir et surtout de débattre. Nous arrivons peut-être à un tournant, un moment complexe où la situation peut s'inverser.   

Propos recueillis par Eric Letty monde&vie mai 2014

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