Par Xavier Raufer
Occultation, encore et toujours, de la corruption et de la criminalité dans les cités qui gangrène la vie politique française.
Toujours plus, le cancer aimablement nommé “politique de la ville” ronge la vie politique française, d’abord au niveau municipal, mais aussi désormais, à ceux du département et de la région.
Houla ! “cancer”… “crime organisé”… Serait-on ici dans la polémique, dans l’outrance ? Nullement – il suffit de lire Le Monde de ce 12 juin pour réaliser la virulence criminelle et criminogène d’une “politique de la ville” corrompant notre pays depuis trois décennies.
Nous voici à la cour d’appel de Marseille, où l’on juge une élue au conseil régional pour détournements de fonds publics. Citons Le Monde : “Entre 2005 et 2008, un total de 716.000 euros a ainsi été ‘flambé’ par les deux principaux bénéficiaires de la fraude”, notamment “un caïd plusieurs fois condamné”. Mme Zerbib, la présidente de la Cour, s’indigne – lisons-la bien : “C’est quoi la politique de la ville ? C’est des charrettes de billets qu’on déverse dans les quartiers et on se sert ?”
Médiapart – de gauche, lui aussi – parle, ce 7 juin, de “procès de voyous”. Il nous présente “le relais de Mme Andrieux, son fer de lance dans la campagne de 2007”, [Abderrezak Zeroual], “condamné à quatre ans de prison dans un dossier de trafic international de cannabis”. Un nervi multicarte ayant tout compris de la politique de la ville, car à la fois membre de l’UMP et du PS. Ce chef d’une bande de voyous “connus de la justice pour violences volontaires, tentatives de meurtres, séquestration ou escroquerie” (Libération, 11/03/2013) “assurait la sécurité des élections” – et comment. L’un de ses sbires, [Boumediene Benamar], menace ainsi un récalcitrant au racket politico-criminel : “Tu veux faire le mariolle, je vais m’occuper de ton cas, tu vas morfler.”
Après chaque homicide ou presque, un élu local bêle à la télévision que “Marseille n’est pas Chicago”, mais à entendre Abderrezak et Boumediene, on éprouve un sérieux doute…
Doute encore aggravé quand la Chambre régionale des comptes de Provence – Alpes – Côte d’Azur nous apprend que le conseil général des Bouches-du-Rhône avait attribué plusieurs marchés à des sociétés (comme Alba-Sécurité) proches du truand Bernard Barresi, fiché au grand banditisme.
Une nouveauté à Marseille, cette corruption criminelle de la politique de la ville ? Pas vraiment, car voici comment se défend M. Michel Vauzelle, président socialiste du conseil régional de Paca (Libération, 14/03/13) : “Les procédures viciées étaient déjà en place lorsqu’il est devenu président en 1998” – donc 15 ans minimum que ça dure…
Rappelons ici que, selon la Cour des comptes et de 2000 à 2005, cette politique de la ville a coûté, tous financements confondus, Union européenne, Etat, collectivités locales, la somme pharaonique de 34 milliards d’euros. Et sans doute autant depuis.
Mais dans les cités hors contrôle, sur les territoires [de] la “politique de la ville”, siphonner le pactole de la “politique de la ville” est-il la seule ressource illicite ? Non : publié en décembre 2013, un rapport sur l’ “Impact des nouveaux dispositifs sur la population des cités sensibles marseillaises” dépeint les trafics de stupéfiants dans les quartiers Nord de la ville. Il constate que “les centaines de milliers d’euros de bénéfices tirés [chaque mois] du trafic [de stupéfiants]prennent probablement une part dans l’économie locale”.
Voilà donc l’indéniable preuve que la politique de la ville, créée vers la fin de la décennie 1970 pour insérer les “quartiers chauds” dans le droit commun et y faire émerger des élites policées, a abouti à l’exact inverse : concentrer dans ces quartiers d’énormes trafics illicites, contrôlés par des gangs “tenant” par ailleurs des politiciens complices ou épouvantés.
Cela, même les actuels politiciens socialistes ne tentent plus de le nier : le précédent ministre de la Ville, M. Lamy, veut “rompre avec trente ans d’échecs de la politique de la Ville” et l’actuelle titulaire du poste, Mme Vallaud-Belkacem, parle des politiques de naguère comme d’un “empilement de dispositifs formant un millefeuille aussi illisible que souvent incohérent”.
Même désormais, de grands prêtres de la culture de l’excuse comme les sociologues Didier Lapeyronnie et Michel Kokoreff en viennent à dénoncer (Le Nouvel Observateur, 10/01/13) “la montée des violences des bandes en lien avec des trafics de drogue”.
Jusqu’au Monde, impavide soutien de la “politique de la ville” trente ans durant, contraint de lâcher (7/06/13), dans un article intitulé “Cités mortelles : la mort violente frappe plus en banlieue qu’ailleurs”. Et le 7 février 2014 encore, à propos du quartier hors contrôle du Mirail, à Toulouse : “Les voyous se sont structurés en équipes de malfaiteurs… Le trafic de drogue s’est aggravé de manière quasi exponentielle ces dernières années… la présence des trafiquants pèse de plus en plus.”
Tout cela, notons-le, prévu, décrit et publié par les criminologues sérieux depuis à peu près vingt ans.
Avouer tardivement ne suffit cependant pas. Il faut autopsier cette “politique de la ville” car la corruption criminelle des cités et quartiers “sensibles” n’est ni récente, ni bien sûr cantonnée à la seule ville de Marseille.
Dès 1999, un rapport de l’instance régionale (Ile-de-France) d’évaluation de la politique de la ville s’alarme de “l’apparition des vols à main armée” et de la “présence de bandes bien visibles dans les espaces collectifs privés”.
Mais en la matière, l’omerta joue vite et ce rapport est enterré. Le lobby pro-politique de la ville fait tout aussi vite disparaître le rapport (2005) d’un “Observatoire national des faits d’insécurité dans l’habitat social”, suscité par la puissante Union sociale pour l’habitat, qui regroupe quelque 800 organismes HLM (4 millions de logements, 76.000 salariés). Occultation encore et toujours (2007) du rapport de “l’Observatoire de l’activité commerciale dans les quartiers sensibles”.
Quels drames provoqueront cette occultation ? Tel sera le thème de la seconde partie de cette étude.
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