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La révolution contre la famille

Le bouleversement du droit de la famille depuis un demi-siècle n'est pas le fruit d'une évolution naturelle, mais d'une volonté révolutionnaire.

« La famille a changé. Ce qui pouvait passer il y a trente ans pour une péripétie est désormais reconnu comme une véritable mutation. » Cette citation est tirée d'un rapport intitulé Couple, filiation et parenté aujourd'hui, rédigé en 1998, à la demande de Martine Aubry et d'Elisabeth Guigou, par la sociologue Irène Théry.

Cette dernière, aujourd'hui membre du Haut Conseil de la famille, a remis en 2014 au gouvernement un autre rapport intitulé Filiation, origines, parentalité, dont le contenu sulfureux a été rendu public en avril - après les municipales... La seule comparaison entre la situation qui existait en 1998 et celle que nous connaissons permet de constater à quel point et avec quelle rapidité, " en effet, le droit de la famille - sinon la famille elle-même -, a changé. Voilà seize ans seulement, le PACS n'existait pas encore et Irène Théry, en proposant d'élaborer un « statut du concubinage » devant permettre de reconnaître légalement l'existence d'un « couple homosexuel » concubin, paraissait audacieuse...

Un constat universel

Le bâtonnier François Bedel Girou de Buzareingues, qui ne partage pas les positions idéologiques d'Irène Théry, constatait lui aussi la rapidité et l'importance de ces changements, lors d'une conférence donnée à l'Académie des sciences et lettres de Montpellier, en janvier 2006 : « Il faudrait des heures et même des journées entières pour reprendre ce que, ces dernières années, le législateur, avant ou après toute jurisprudence, a transformé et modifié du livre I du code civil consacré au droit des personnes, tant en ce qui concerne la nationalité et le nom, les actes de l'état civil, la filiation, les mineurs, l'autorité parentale, le mariage, le divorce, les successions, les libéralités pendant le mariage, le concubinage... »

À propos du droit de la famille, il estimait qu' « il ne reste plus grand-chose de cette législation, tirée en partie du droit romain et aussi du vieux droit français et qui a été une des pierres angulaires de notre société pendant deux siècles ».

Mais, comme le demandait le bâtonnier, s'agit-il d'« une simple évolution ou d'une véritable révolution » ?

L'individu contre la famille

Dans son rapport de 1998, Irène Théry apportait un début de réponse à cette question en insistant sur le « caractère fortement idéologique de la question familiale » : depuis deux siècles, écrit-elle, « le débat social sur la famille demeure marqué par l'opposition entre "familialistes" et "individualistes" (...) entre la famille et l'individu, deux valeurs entre lesquelles il faudrait choisir ».

C'est dans cette alternative que s'inscrivent les bouleversements qui se sont produits et continuent de se produire. Selon la sociologue, la famille fut d'abord « affirmée comme une exception justifiée aux valeurs de la démocratie », ce qui s'exprimait par la promotion d'un seul modèle familial, « patriarcal, hiérarchique et autoritaire » ; mais après un siècle et demi de débat, la référence à « l'individu » a conduit à remettre progressivement en cause ce modèle, « au nom des valeurs de liberté et d'égalité ».

En dépit de cette progressivité, il s'agit donc bien d'une révolution, par laquelle l'individualisme démocratique aurait triomphé de la communauté familiale en brisant sa structure traditionnelle - la liberté individuelle étant utilisée comme pied de biche pour desceller et disjoindre les pierres vivantes de la famille, cimentées par l'amour, mais aussi par l'usage et le temps.

Un « nouveau régime » du couple

En cassant la norme - but réel des réformes entreprises - au nom de la liberté individuelle et de l'égalité, le législateur et le gouvernement, auteur des projets de loi, veulent-ils se mettre au service des personnes, ou de l'idéologie révolutionnaire qui prétend invariablement recréer l'homme sur de nouvelles bases ? L'un des arguments qu'ils resservent le plus volontiers porte sur la nécessité d'adapter la loi aux faits et aux changements qui marquent la société ; mais on se trouve devant le dilemme de la poule et de l'œuf : le politique suit-il ou précède-t-il le changement ?

Se contente-t-il d'en constater les effets ou lui donne-t-il son impulsion ?

Dans le rapport publié en avril dernier, Irène Théry apporte partiellement la réponse : « La famille, en effet, n 'est jamais un simple réseau de relations interpersonnelles, qu'elles soient faites de liens charnels et/ou de liens affectifs, écrit-elle. Elle est toujours aussi, d'abord, une institution inscrite au sein d'un système symbolique de parenté. » C'est pourquoi il est si important de présenter le modèle familial traditionnel non plus comme la norme, mais comme un choix parmi d'autres, alors qu'il continue à concerner la grande majorité des couples.

Dans le rapport publié en 2014, la sociologue triomphe : « Une véritable métamorphose de la conjugalité a été mise en œuvre. Notre société a substitué au modèle du mariage traditionnel (par hypothèse hétérosexuel et procréatif, fondé sur la hiérarchie entre hommes et femmes et idéalement indissoluble) un nouveau droit du couple : égalitaire, commun et pluraliste. Mariés, pacsés et concubins, de sexe différent et de même sexe, cohabitent désormais au sein du droit civil de la famille. L'institution en 2013 du mariage des couples de personnes de même sexe a parachevé cette grande mutation. Même si une société évolue toujours et qu'une transformation n'est jamais achevée, il est clair que les bases d'un "nouveau régime " du couple au XXIe siècle sont désormais posées. Les questions encore suspens en matière de conjugalité consistent principalement à en tirer toutes les conséquences. »

Le gouvernement est pour l'instant trop faible pour imposer ces « conséquences » à la société française, après le grand mouvement deprotestation contre la loi de dénaturation du mariage ; mais ses opposants auraient tort de baisser la garde.

Eric Letty monde & vie 11 juin 2014

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