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Tapie : faute d'arbitrage à 400 millions

Combat de requins en eau trouble, l'affaire de l'arbitrage rendu en faveur de Bernard Tapie dans sa querelle avec l'ex-Crédit Lyonnais ressemble à un théâtre d'ombres.

L'histoire commence en juillet 1990, lorsque Bernard Tapie achète la société Adidas, en finançant la totalité de cette acquisition (1,6 milliard de francs) par un emprunt réalisé auprès d'un pool bancaire piloté par la SDBO, filiale du Crédit Lyonnais. En avril 1992, cependant, Tapie intègre le gouvernement de Pierre Bérégovoy comme ministre de la Ville. François Mitterrand, pressentant les difficultés, lui aurait alors demandé de quitter les affaires pour se consacrer à la politique. En outre, les résultats d'Adidas ne sont pas à la hauteur de ce que l'affairiste escomptait : en 1992, la société perd 500 millions de francs. Dès lors, il cherche à la revendre. Une négociation avec le groupe britannique Pentland n'ayant pas débouché, il confie l'opération au Crédit Lyonnais.

Coup de pouce...

Cette banque, encore nationalisée, se trouve alors elle-même au bord de la faillite en raison d'investissements hasardeux. Pierre Bérégovoy intervient-il en faveur de son ministre ? En tout cas, le Lyonnais trouve un acheteur, Robert-Louis Dreyfus, et monte un financement auquel participent, entre autres, deux fonds d'investissement domiciliés dans des paradis fiscaux. Dreyfus gagne sur toute la ligne, puisque deux ans après avoir racheté Adidas à Tapie pour 2,1 milliards de francs, il la revend plus du double. Furieux, Tapie accuse alors la banque de l'avoir trompé en passant un accord secret avec Dreyfus et d'avoir elle-même eu part au rachat à travers les sociétés offshores.

Cependant la situation catastrophique du Crédit Lyonnais conduit à la création en 1995 d'un Consortium de réalisation (CDR), établissement public chargé de liquider les actifs pourris de la banque. C'est ce CDR qui se trouve en première ligne lorsque Tapie porte plainte, en octobre 1998. Ce dernier est débouté en première instance, mais en septembre 2005 la Cour d'appel condamne le CDR à lui verser 145 millions d'euros, arrêt annulé par la Cour de cassation en octobre 2006. Fin 2007, les deux parties s'entendent pour confier le litige à un tribunal arbitral, sur demande de Tapie - l’accord du CDR étant validé par le ministre de l'Economie, Christine Lagarde.

L'arbitrage, un remède douteux

Trois arbitres sont trouvés : Pierre Mazeaud, ancien député RPR et ex-président du Conseil constitutionnel ; Jean-Denis Bredin, académicien et ancien vice-président du Mouvement des radicaux de gauche (auquel Bernard Tapie adhéra en 1993) ; et Pierre Estoup, ancien président des cours d'appel de Nancy et Versailles. En juillet 2008, ils décident que le CDR devra verser la somme effarante de 403 millions d'euros à Bernard Tapie, dont 45 millions au titre du préjudice moral ! Les contribuables paieront...

L'affaire fait du bruit. Une enquête judiciaire est ouverte en juin 2011 et, en août de la même année, la Cour de Justice de la République lance une procédure visant Christine Lagarde. Ce nouveau développement aboutit, au terme d'une série de perquisitions et de gardes à vue, à la mise en examen de Pierre Estoup, suspecté d'impartialité dans son arbitrage ; de l'avocat de Tapie, Me Lantourne ; de Stéphane Richard, ancien chef de cabinet de Christine Lagarde ; de l'ex-président du CDR, Jean-François Rocchi ; et de Bernard Tapie lui-même pour « escroquerie en bande organisée ». Christine Lagarde elle-même est placée sous le statut de « témoin assisté », de même que Mazeaud et Bredin.

Un absent très particulier

Manque toutefois à cette histoire un personnage, que Jean Peyrelevade, président du Créditlyonnais de 1993 à 2003, a clairement désigné,le 1er juin 2013 sur France Inter : « L'arbitrage,qui était illégal en soi, puisque normalementl'Etat ne se prête jamais à arbitrage sauf àavoir une autorisation explicite du Parlement, anécessairement été décidé par une autoritépublique (...). Je ne conçois pas qu'une atteinte aussi grave aux principes du droit et l'attribution d'un avantage tellement exorbitant à uncitoyen particulier ait pu se faire sans le feu vertdu chef de l'Etat. » Autrement dit, NicolasSarkozy, dont Bernard Tapie avait bruyamment soutenu la candidature en 2007.Coïncidence ?

Jean-Pierre Nomen monde&vie 30 juillet 2014

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