Ancien élève de l’ENA, haut-fonctionnaire, Yvan Blot fut l’un des fondateurs du Club de l’Horloge, aux côtés d’Henry de Lesquen et de Jean-Yves Le Gallou. Il développa pendant plusieurs décennies des positions iconoclastes (immigration, démocratie directe …) et poursuivit ses travaux de philosophie politique à travers de nombreux ouvrages. Ses derniers titres publiés sont L’Europe colonisée et Nous les descendants d’Athéna (2 tomes, ici et là). Très fin connaisseur des réalités russes, il est consultant pour le groupe de médias La Voix de la Russie.
Propos recueillis par Romain Vincent
Vous venez de publier L’Europe colonisée aux éditons Apopsix. Qu’est-ce qui vous a poussé à rédiger cet ouvrage ?
J’ai pu voir que l’Europe était colonisée notamment lorsque j’étais député au parlement européen. Plusieurs députés votaient alors toujours contre les intérêts européens et pour les intérêts américains. C’est un exemple parmi d’autres. Plus récemment, j’ai vu la diplomatie américaine essayer de creuser un fossé entre l’Europe occidentale et la Russie. En relisant Le grand échiquier de Zbignew Brzezinski, le conseiller des présidents américains, j’ai bien vu que ceux-ci voulaient faire de l’Europe une colonie et qu’ils visaient l’hégémonie mondiale. L’actualité en Ukraine m’a aussi poussé à faire cet ouvrage sur l’Europe.
Cela m’a permis de définir quatre formes de colonisation : l’exploitation (économique), la satellisation (politique), l’immigration de masse (les hommes) et l’aliénation intellectuelle et morale (la cause finale d’Aristote).
Dans votre livre, vous prenez en référence Aristote et Heidegger pour décrire une situation très actuelle, la colonisation du continent européen. Quels ont été leurs apports à votre réflexion ?
Aristote a défini les quatre causes de chaque phénomène humain dans sa Métaphysique : la cause matérielle ( la technique, l’économie), la cause formelle (les normes), la cause motrice (les hommes) et la cause finale (la religion, la culture, les valeurs). Heidegger a repris cet outil intellectuel avec d’autres noms (terre ciel, mortels, Divinité).
Cela m’a permis de définir quatre formes de colonisation : l’exploitation (économique), la satellisation (politique), l’immigration de masse (les hommes) et l’aliénation intellectuelle et morale (la cause finale d’Aristote). Ainsi, on n’oublie rien : on ne voit pas qu’un seul aspect de la colonisation, l’immigration par exemple.
Jusqu’à une époque récente, l’Amérique incarnait aux yeux du Vieux-Continent des principes et des valeurs plutôt traditionnels, notamment dans la défense des notions de liberté, de famille ou de patrie. Elle a pourtant radicalement changé au cours des années 1960. Quelles sont selon vous les causes profondes de cette mutation ? Un retour de balancier n’est-il pas envisageable à long terme ?
C’est ce que j’appelle dans mon livre « l’inversion des pôles » : vers 1950, l’Amérique représentait alors la liberté, les valeurs conservatrices. Aujourd’hui, elle incarne aux niveaux de se élites mai 68 ( voir le dernier livre d’Hillary Clinton où elle consacre son chapitre le plus important à la lutte mondiale de libération des LGBT !) et l’autoritarisme idéologique. A l’inverse, la Russie défend aujourd’hui les valeurs traditionnelles, la famille, le patriotisme, les valeurs religieuses. Pourquoi cette inversion ? En Russie, c’est une réaction contre le communisme totalitaire de l’URSS car cela a échoué. Aux Etats-Unis, un mélange de freudisme et de marxisme venu d’Europe dès les années trente a dominé progressivement les milieux intellectuels. Mais c’est vers 1960-1970 que s’accomplit une sorte de révolution culturelle, comme au Canada d’ailleurs. Y aura-il un retour du balancier ? Je n’en sais rien mais pas à très court terme en tous cas.
Les jeunes générations à l’UMP (Guillaume Peltier par exemple), comme au FN sont beaucoup moins atlantistes.
La France qui avait su conserver son indépendance et son outil militaire a décidé de rejoindre l’Otan, d’abord le comité militaire en 1996 sous la responsabilité de Jacques Chirac puis la structure intégrée en 2007 sous la conduite de Nicolas Sarkozy. Les deux présidents en exercice lors de ce ralliement se déclaraient pourtant gaullistes. Comment expliquez-vous un tel reniement ?
Les deux présidents ont estimé que dans les faits le retour était accompli par la coopération militaire quotidienne et qu’il fallait aligner le droit sur le fait. Plus en profondeur, l’américanisme a envahi plus que jamais la classe politique avec le renouvellement des générations. A l’origine, l’alignement sur les Etats-Unis était surtout grand chez les socialistes (par haine des communistes) et chez certains libéraux anti-patriotiques. Aujourd’hui, le chef des atlantistes à droite semble être Alain Juppé, autrefois « gaulliste » par son étiquette ! Mais les jeunes générations à l’UMP (Guillaume Peltier par exemple), comme au FN sont beaucoup moins atlantistes.
L’Union européenne est souvent décrite comme un moyen permettant de faire face aux grands blocs que sont la Russie, la Chine et bien évidemment l’Amérique, pourtant vous nous rappelez à travers votre livre que non seulement il n’en est rien mais que l’UE est un outil de domination au service des intérêts américains. Pourriez-vous nous décrire cela plus en détail ?
Le fondateur de cette Europe-là fut Jean Monnet, qui a fait sa fortune dans le commerce d’alcool pendant la prohibition aux Etats-Unis, et qui n’a jamais fait la guerre, vous voyez la moralité ! L’Union européenne actuelle est un relais des Etats-Unis. C’est un fait.
Seconde et dernière partie de l’entretien, demain samedi 20 septembre à 16h30