L'islamisme en sa branche la plus radicale n'a jamais cessé depuis 20 ans de vouloir la guerre. La France en a mesuré les signes avant coureurs dès 1995 avec les attentats du RER. Le monde occidental en a pris conscience avec les attentats du 11 septembre 2001 aux États-Unis, puis ceux du 11 mars 2004 à Madrid, etc. La liste des actes terroristes est longue, elle passe aussi bien par l'Angleterre que par l'Inde, par la Russie et le Proche-Orient.
Depuis juin 2014, avec la prise de Mossoul, cet affrontement prend une dimension militaire désormais presque classique.
Or, la stratégie des occidentaux a été rappelée ce 5 octobre par Jean-Yves Le Drian. Le ministre de la Défense s'exprimait à l'usage des médias. (1)⇓ Il rappelait que "la France fournit des armes aux Kurdes, avec l'accord du gouvernement irakien, et participera à la formation des peshmergas."
Ses remarques sur le thème "la lutte contre Daech prendra du temps… cela sera long", pour judicieuses et prudentes, n'en prennent pas moins une résonance amère. Car, 48 heures plus tard, le 7 octobre où ces lignes sont écrites, on reçoit les nouvelles, parfaitement attendues, de la bataille de Kobané. Depuis des semaines les islamistes, – que l'on désigne pudiquement du sigle d'EI, en français : "l'État islamique", ou de Da-esh, le même en arabe, – progressaient vers cette ville clef naguère peuplée de 70 000 Kurdes en Syrie.
Soulignons à cet égard que les Américains, après des semaines d'hésitation, ont commencé leurs bombardements aériens en août, à un moment où l'on pouvait craindre pour Erbil siège du gouvernement régional du Kurdistan irakien. Depuis deux mois de cette intervention aérienne de la plus grande puissance militaire du monde, constatons que le combat terrestre reste incertain, malgré l'héroïsme des combattants kurdes irakiens "peshmergas" et en dépit du renfort du PKK kurde de Turquie et de leurs camarades du PYD de Syrie. Les livraisons d'armes européennes arrivent lentement alors que leurs adversaires islamistes disposent d'un équipement lourd et sont assurés de ressources financières considérables.
Cela veut bien dire que l'appui aérien ne suffira pas à donner la victoire à ces Kurdes en lutte pour leur liberté et leur survie sur leurs terres millénaires, et auxquels on avait promis l'indépendance depuis les 14 points de Wilson de janvier 1918. On l'avait même inscrite dans le traité de Sèvres de 1920.
La France prend, plus que d'autres, sa part des combats, à la mesure de moyens que la Ve république n'a cessé de rogner, d'année en année, depuis plus de 50 ans. Notons ainsi que 3 avions Rafale viennent de s'ajouter aux 6 basés près d'Abou Dhabi. Ils pourront désormais opérer deux fois par jour au-dessus de l'Irak. Cet effort est évidemment dénigré par ceux qui ne mesurent pas ce qui se passe au Mali, ou qui veulent ignorer la gravité du fait que 350 à 370 djihadistes porteurs de passeports français combattent en Syrie.
Or, il est un point important, et même gravissime de la situation auquel Jean-Yves Le Drian n'a malheureusement fait qu'une brève allusion se contentant de dire qu'au sein de la coalition internationale, le "partage des tâches n'est pas encore abouti."
Que font en effet, actuellement, les forces militaires de la Turquie ?
Dans la bataille de Kobané, leur rôle semble très proche de celui des Soviétiques lors de l'insurrection et de siège de Varsovie en 1944. Staline, après avoir appelé les Polonais de l'armée secrète au soulèvement, attendit tranquillement que son ex-allié Hitler (2)⇓écrase la ville martyre. Puis l'Armée rouge entra en "libératrice" d'un tas de cendres. Le moment venu les dirigeants turcs espèrent sans doute passer pour des "libérateurs" aux yeux des naïfs occidentaux. Leur projet a même été clairement énoncé : établir, par la suite et sous leur contrôle, un corridor de cantonnement des réfugiés dont ils se trouveraient ainsi débarrassés. À Saleh Muslim représentant politique des Kurdes de Syrie, appelé "secrètement" en Turquie le 5 octobre, et qui leur demandait de sauver Kobané, ils n'ont proposé que de se rallier à leurs satellites de l'Armée syrienne libre.
En cela, ce grand pays, qui dispose pourtant d'une si longue tradition diplomatique, paraît aujourd'hui représenté par de petits bureaucrates, doctrinaires incompétents, roublards, certes, mais contre-productifs.
Il existe en effet un "processus de paix" au Kurdistan turc. Une loi a même été votée en juillet pour le relancer. Toujours emprisonné dans l'île-prison d'Imrali depuis 15 ans, le chef du PKK a fait clairement savoir qu'il sera définitivement suspendu si l'armée turque n'empêche pas les islamistes de s'emparer de Kobané et d'y massacrer les derniers habitants. Très platement le chef du gouvernement a déclaré : "Nous ne voulons pas que Kobané tombe. Nous ferons tout ce qui est en notre pouvoir pour empêcher que cela se produise. (…) Tout le monde doit savoir que nous allons poursuivre le processus de résolution. Si Kobané tombe, la responsabilité n'en incombe pas à la Turquie." Sur ce point nous ne le contredirons pas complètement : la responsabilité sera à partager entre son gouvernement et les dirigeants occidentaux qui ont fait confiance à l'intervention terrestre de leur alliée. Mais ceci serait alors un revers supplémentaire pour le "grand théoricien de la géopolitique" d'Ankara le professeur Ahmet Davutoglu.
Promu premier ministre le 29 août 2014, au lendemain de l'élection d'Erdogan à la présidence, il a occupé le poste de Ministre des Affaires étrangères à partir de 2009. Entrant en fonction il avait alors énoncé la doctrine du "no problem with our neighbours". Échec total, au point que les humoristes l'ont retournée en "no neighbours without problems". Mevlüt Çavasoglu, nouveau ministre des Affaires étrangères co-préside un groupe onusien des "amis de la médiation" (3)⇓ … mais il a trouvé, le 4 octobre, une nouvelle occasion de rupture avec la Grèce et Chypre, en prétendant interdire à cette dernière d'exploiter le gaz naturel de ses eaux territoriales. Quant aux relations avec Israël, elles avaient assuré pendant plus de 50 ans la position très forte des Turcs aux États-Unis. Or, elles n'ont cessé de se dégrader depuis janvier 2009, à la suite de l’explosion de colère d'Erdogan à Davos et, surtout, à partir de la manifestation des islamistes contre la venue d'Olmert le 4 janvier précédent.
La position dans l'OTAN de ce pilier proche-oriental se révèle de plus en plus incertaine. La politologue Nuray Mert avait été durement attaquée en 2012 par Erdogan, en raison de ses critiques contre le "néo-ottomanisme". Dans sa chronique de Hurriyet du 6 octobre, elle précise que le vote de la loi autorisant l'armée turque à intervenir (4)⇓n'a été acquis qu'à la faveur d'un soutien des 52 "loups gris" nationalistes du MHP. Sans leur vote, la défection d'une partie des députés de l'AKP gouvernementale – ceux qui n'étaient pas en pèlerinage à La Mecque – eût rendu impossible le soutien apparent des Turcs aux initiatives des Américains et des Français.
Pendant le même temps, le 4 octobre les Talibans du Pakistan se ralliaient au Califat islamiste et que le 6 octobre c'était le tour de mouvement islamiste d'Ouzbékistan. Le temps presse. On ne peut plus se bercer d'illusions ni nous prendre pour des imbéciles.
JG Malliarakis
Apostilles
- Il était l'invité de l'émission Grand Jury coproduite par RTL-Le Figaro-LCI. ⇑
- cf. "Staline assassine la Pologne" (1939-1947) par Alexandra Viatteau, Seuil, 1999, 342 pages.⇑
- cf. le site du ministère turc des Affaires étrangères. ⇑
- cf. L'Insolent du 3 octobre.
http://www.insolent.fr/2014/10/la-guerre-mondiale-islamiste-et-la-bataille-de-kobane.html