Au lendemain des grands rassemblements d'opposition au projet d'aéroport de Notre-Dame-des-Landes, il convient de s'interroger sur l'absence totale sur ce terrain de radicaux identitaires. Pour les uns comme pour les autres, il apparaît clairement que nous n'avons pas su prendre la mesure de ce qui est en train de se passer là bas.
Et pourtant, au risque de heurter quelques sensibilités, il nous faut comprendre que ce combat est aussi et avant tout le notre.
Certes, de vieilles barbes nationales-réactionnaires n'hésiteront pas à taper du point sur la table en dénonçant cet engagement « écolo-gauchiste ». Ces gens ont tort. Ils se trompent à la foi de combat et d'époque. Nous l'avons déjà écrit et nous le répétons : la lutte identitaire ne peut s'inscrire que dans un projet de sortie du capitalisme qui est intrinsèquement ethnocidaire. Un projet cohérent de contre-société ne peut faire l'impasse sur le mouvement décroissant et sa proposition de rompre avec la société de croissance illimitée.
Qu'avons-nous vu et entendu autour des stands installés près de la ferme de Bellevue ? Quelques pancartes intitulées « Des légumes pas du bitume », « Aéroport = capitalisme. Arrêt immédiat », « Quelle terre vont-ils nous laisser ? », « T'es rien sans terre ! » ou encore « Changeons de voix, changeons de voie ! ». Autant de slogans que nous pourrions reprendre à notre compte. Dominique Fresneau, l'un des co-présidents de l'Acipa (Association Citoyenne Intercommunale des Populations concernées par le projet d’Aéroport de Notre Dame des Landes) clame à qui veut l'entendre : « Cet endroit, ces champs, ces fermes, on considère que c'est chez nous !».
Les militants qui occupent depuis novembre 2012 la fameuse ZAD (zone à défendre) parlent de « vivre plus en osmose avec la nature, de moins consommer et gaspiller ». Au sein des campements autogérés, existe une bibliothèque installée dans un vieux bus qui regroupe tout un tas d'ouvrages traitant de l'histoire de la paysannerie, des luttes sociales ainsi que des manuels pratiques de jardinage et d'habitat. Une cantine collective offre des repas gratuits. On y parle d'autonomie, de défense de territoire et de nouvelles manières d'organiser les rapports humains. On cherche à « profiter d’espaces laissés à l’abandon pour apprendre à vivre ensemble, à cultiver la terre, à être plus autonomes vis à vis du système capitaliste ». « Nous ne sommes pas à vendre, nous ne laisserons pas détruire le fruit du travail de cinq générations de paysans. La lutte continue » écrit Sylvain Fresneau de l'Acipa. Au nouvel ordre mondial ils opposent le nouvel ordre local.
Si le projet initial d'aéroport semble aujourd'hui remis en cause, ce qui se passe au cœur de la ZAD ne doit pas nous laisser indifférents. Lancé dans les années 60, le projet d'aéroport à Notre-Dame-des-Landes est symptomatique de l'accumulation sans limite et du développement effréné. Il s'agit de cette tentation prométhéenne de dominer et de soumettre la Nature dans le but de servir la métaphysique du progrès au détriment de la biosphère et des liens sociaux. Nous sommes précisément dans un cas de croissance pour la croissance, d'artificialisation d'un besoin qu'on nous présente comme indispensable. Le projet pharaonique de créer un aéroport gigantesque en pleine zone de biodiversité foisonnante (amphibiens, complexe bocager, mares et zones humides avec batraciens , avifaune etc...) est tout simplement fou et criminel. Ce n'est pas un hasard si dans cette affaire le MEDEF se trouve en première ligne dans les soutiens à la construction. Le Président de la Chambre de Commerce et de l'Industrie 44, Jean-François Gendron, Richard Thieret, président du Centre national des jeunes dirigeants (CJD), ou encore Grégoire Gonnord, un des dirigeants du Club des Trente (réseau qui regroupe tous les grands patrons du grand ouest) et PDG du groupe Fleury-Michon, tous militent en faveur du démarrage des travaux. Certains n'hésitant pas à recourir au chantage à l'emploi.
S'opposer à cette construction c'est s'opposer au développement illimité du capital qui nous tue. Il faut le répéter : Le capitalisme s'est mué en système global et c'est sur tous les fronts que nous devons l'attaquer. A Notre-Dame-des-Landes, c'est une lutte contre le capitalisme et sa société de croissance fondée sur la démesure qui s'engage.
On objectera que parmi les occupants de la ZAD, figurent les ineffables porteurs de dreadlocks plus soucieux de solidarité avec les sans-papiers et de débats autour du monde carcéral que d'autonomie identitaire. On objectera aussi qu'on y trouve des casseurs décérébrés de la mouvance Black Bloc qui n'ont pour horizon politique que de « casser du flic et des vitrines ».Il n'est pas question ici de le nier. Mais parmi tous les autres, il se trouve également des militants pour qui le capitalisme mondialisé est l'ennemi numéro un et avec qui nous pourrions sans aucun doute définir des convergences de luttes. Il y a là bas de véritables travailleurs qui cherchent une alternative viable à la société de consommation et tentent une nouvelle expérience du « vivre ensemble ». Il y a également de jeunes agriculteurs qui ont fait le choix de rester sur les terres de leurs parents. La récupération des terres arrachées aux promoteurs par ces autonomistes est probablement le début d'une nouvelle forme de militantisme dont il faudra suivre les évolutions.
Autre zone de combat : Sivens. La mobilisation ne faiblit pas dans le Tarn, où des opposants à la construction du barrage occupent le terrain depuis plusieurs semaines. De nombreux heurts ont opposé des militants aux forces de l'ordre. Les opposants veulent empêcher l'accès au site aux engins de chantier destinés à« décaper » le sol, c'est-à-dire l'enlèvement des souches et la mise à nu du terrain. "Le barrage n'est pas encore construit, on peut encore faire des choses, clame un opposant. De toute façon, ce que nous faisons ici est important car cela nous permet de sensibiliser les gens. D'autres projets comme celui-ci seront sans doute développés plus tard."
Nous sommes entrer dans une nouvelle ère du combat politique qui va nécessiter de nouveaux rapprochements. La révolution de la décroissance est une révolution par le bas, à l'échelon local, au sein de communautés autonomes pour qui il existe des convergences d'intérêts et de luttes.
Se déroule devant nos yeux une période intense de recomposition idéologique, un carrefour où se rencontrent et s'entrechoquent toutes les positions intellectuelles et politiques confrontées au turbo capitalisme que nous subissons aujourd'hui de plein fouet. Alors que « gauche » et droite » apparaissent plus que jamais comme sœurs siamoises du monstre libéral, on nous annonce des lois sur la croissance comme autant de danses de la pluie pour invoquer le dieu développement. L'écotartuffe Noël Mamère en appelle à Jacques Ellul et Bernard Charbonneau, et l'oligarchie ploutocratique, déjà gangrenée par le luxe et l'oisiveté pour reprendre les termes d'Emile Massard, nous assure que l'Afrique est le marché du futur pour l'Europe. Le capital ayant pressé le citron européen à son paroxysme se tourne aujourd'hui vers les derniers dissidents de la société de consommation.
Parallèlement, une « gauche » critique, qui se veut de plus en plus radicale, commence à émerger et lance d'intéressantes pistes de contre-société dans les domaines sociaux, politiques et culturelles.
L'excellent mensuel Politis a récemment consacré un dossier sur le thème travail / temps libre empruntant certaines analyses d'André Gorz.
Les expériences menées au cœur de la ZAD de Notre-Dame-des-Landes sont d'un intérêt majeur pour qui s'intéresse aux contre-sociétés et aux projets d'après développement. De nombreuses tentatives d'autogestion et de vie en autonomie sont mises en place au sein de communautés spontanées. Il existe au sein de cette mouvante radicale tout un tas de collectifs, groupes associatifs ou réseaux d'entraides et d'échanges qui pensent et organisent leur sortie du capitalisme. La nébuleuse de la décroissance est sans aucun doute le phénomène le plus prolifique en la matière.
Il faut le reconnaître. C'est au cœur de « la gauche radicale » et des organisations libertaires que la critique capitaliste et celle de la société de croissance sont les plus fécondes. C'est au sein de ces groupes en marge que se forge la nouvelle utopie et les contre-projets les plus novateurs.
Nous sommes nombreux chez les radicaux identitaires à trouver insuffisant et réducteur le projet de société proposé par la mouvance nationale. L'avenir n'est plus au productivisme effréné ni à l'homo consumance.
Nous pensons au contraire qu'une sortie du capitalisme est nécessaire et qu'une révolution culturelle est inévitable. Il nous faut revoir nos rapports à la consommation, à la production, au travail. Nous devons impérativement nous recentrer sur une démocratie écologique et une autonomie économique locales.
Il existe indéniablement une convergence de luttes entre ces groupes de la gauche radicale et nos propres positions à l'égard du système capitaliste et de la croissance illimitée.
Nous sommes à un carrefour où tout devient possible. De nouvelles lignes de front se dessinent. Les propositions et les idées fusent de toutes parts. Pensons librement ! Ne refusons pas le débat, entrons y ! Discutons, rencontrons. Lisons Jean-Claude Michéa, Serge Latouche, Dominique Méda, Michel Onfray et tous ceux qui proposent une critique du « capitalisme mondialisé comme système d'emprise et de déshumanisation totale ».
Soyons des briseurs de formules ! Réapproprions-nous l'imaginaire ! Constituons le socle de ce nouveau bloc historique populaire destiné à inventer la société de demain.
Guillaume Le Carbonel
Note du C.N.C.: Toute reproduction éventuelle de ce contenu doit mentionner la source.
N.B. 1: Des militants de Midi-Pyrénées du M.A.S et de la revue Rébellion sont allés afficher leur soutien à la Z.A.D. de Sivens (photographie d'illustration) au grand dam de certains...
N.B. 2: Guillaume Le Carbonel nous propose ici une version remaniée d'un de ses textes parus sur Novopress