Gaël Brustier, qui n'est pas précisément un allié de la Manif pour tous, lui consacre tout un ouvrage aux éditions du Cerf : "Un Mai 68 conservateur". Quand d'autres ont dépensé leur énergie à minimiser, ridiculiser, insulter le mouvement, cet universitaire proche de la gauche observe la lame de fond et s'en inquiète. Extraits de l'interview qu'il a accordé à La Vie :
"(...) LMPT serait révélatrice de « paniques morales », dites-vous. De quoi voulez-vous parler ?
Je préfère utiliser l'expression anglaise moral panic, qui est un concept en sociologie forgé par Stanley Cohen. En français, il peut paraître péjoratif. Ce sont des réactions disproportionnées de la population à l'égard d'une attitude minoritaire jugée dangereuse pour l'ordre social. (...) Jusqu'à présent, elles concernaient surtout la présence de l'islam. Quant aux catholiques, ils ont réagi au mariage pour tous, qui bouleversait un ordre symbolique clairement établi. Leur réaction s'explique aussi par le fait que les milieux catholiques engagés avaient déjà été travaillés par une vraie réflexion sur le rapport de l'homme à son avenir, à la naissance, à l'euthanasie, à la GPA et aussi à l’emprise du marché sur la vie humaine.
Ce qui a donné la puissance à LMPT ?
Oui. C'est d'autant plus évident quand on se rend compte que ceux qui ont manifesté représentent surtout la France la plus catholique, la plus messalisante et la plus socialisée. Une de ses matrices fut la critique de ladite théorie du gender ainsi que la question de la filiation. Par ailleurs, ce monde catholique pratiquant a aussi eu besoin de faire entendre sa voix au sein du catholicisme.
Vous dites que LMPT carrément est « l'enfant paradoxal » de Vatican II et de Mai 68.
Oui, les deux sont liés. Certains pensaient que LMPT allait à l'encontre de Vatican II. Je pense au contraire que c'est Vatican II et même Mai 68, qui l'ont permise. Pourquoi ? Parce que les deux correspondent à une même logique : l'autonomisation de l'individu et la mutation de la pratique, y compris des chrétiens engagés. Le Concile non seulement permet à l'Eglise de s'adapter à la mutation, il répond aussi à une aspiration des individus à être plus libres, à aller plus à fond dans leur engagement, ce qui a été accentué par Mai 68.
Ainsi les communautés nouvelles, auxquelles vous accordez un rôle prépondérant au sein de LMPT.
(...) Dans LMPT, on retrouve leurs mécanismes, par exemple un fort investissement personnel, individualisé et démonstratif des militants. On y retrouve aussi le conservatisme philosophique sur les questions bioéthiques et la famille. Ces thématiques ont été brassées depuis très longtemps par les rencontres et les sessions du Renouveau charismatique. Concrètement, des milliers de personnes ont participé pendant des semaines à des sessions à Paray-le-Monial sous la houlette de la communauté de l'Emmanuel, qui est la plus importante dans son genre. Parmi ces catholiques, on retrouve surtout des jeunes. Ce ne sont pas des chrétiens passifs. Ils vivent l'évangélisation au quotidien et ils apprennent à s'exprimer en public. Toute cette matrice trouve sa concrétisation dans des diocèses comme ceux de Toulon et de Bayonne, où se trouvent respectivement Mgr Rey, issu de l'Emmanuel, et Mgr Aillet, de la communauté Saint-Martin. Les deux se sont impliqués dans le mouvement. Au total, on peut soutenir que LMPT illustre la mutation du catholicisme.
(...) « La gauche a beaucoup à apprendre du Mai 68 conservateur » estimez-vous dans la dernière phrase du livre. C'est-à-dire ?
La gauche a à apprendre ce qu’est le combat culturel. Elle me semble « faiblarde » par rapport aux nouveaux conservateurs qui se sont mobilisés parce qu’ils ont, eux, une vision du monde, qui va de la naissance – voire de la conception - à la mort de l'individu, voire au-delà. Ils expliquent que le social n’est pas fait que de marché, de discussions techniques sur l’économie et de politiques publiques.
Certains, à gauche, partagent cette vision du monde et militent au sein de LMPT. Et d'ailleurs, celle-ci ne se définit pas comme un mouvement de droite.
Bien sûr, mais la matrice idéologique de LMPT qui répond à la nouvelle configuration sociale aujourd’hui est inscrite dans une lignée de pensée conservatrice. Même si certains, à gauche, ont été influencés par ce mouvement. Par ailleurs, le propre d’un mouvement conservateur est de nier le clivage gauche-droite.
On a l'impression que l'UMP y est particulièrement représentée. Est- ce exact?
Oui, mais on y retrouve surtout ceux qui sont historiquement issus des familles UDF, plus que des familles RPR, qui s’est largement et très tôt déchristianisé. Beaucoup d'élus au sein du mouvement appartiennent à l'UDI. Certains militants sont frontistes. LMPT n'est pas un parti, mais un mouvement culturel, qui va essayer d'imposer ses thématiques, sa vision du monde et provoquer le consentement des gens. Dans l'immédiat, on peut constater que Sarkozy s'est inspiré dans ses discours des Veilleurs, un courant issu de LMPT. D’autre part, des cadres de l’UMP qui n’ont jamais été marqués par le catholicisme prennent soudainement la défense de ce mouvement. Ainsi Xavier Bertrand. Il dit maintenant qu’il reviendra sur le mariage pour tous. Même Alain Juppé fait des concessions. A travers Sens commun, associé à l'UMP, des jeunes issus de LMPT semblent vouloir faire de l'entrisme.
En résumé, que dit LMPT sur notre pays?
La France est plongée dans un état d’anxiété extrême. Dans le débat public, des solutions conservatrices sont avancées. Le pays est aujourd’hui plus enclin à écouter ce message qu’il y a quelques années. Ces conservateurs sont en position de domination culturelle. En ce qui concerne les catholiques français, on peut penser qu'il s'agit d'un paradoxe. On a l’impression que l’évolution prend une direction inverse au sein du Vatican, au vu du synode sur la famille, où les « progressistes » semblent avoir joué un rôle important. Mais la France a souvent cultivé sa particularité..."