Vincent Trémolet de Villers plaide pour le droit d'informer et le devoir de se taire, et explique dans le Figarovox comment l'information en temps réel peut nuire à une enquête, notamment du type de celle concernant les tueurs de Charlie hebdo :
[...] "Le massacre de Charlie Hebdo depuis mercredi 11 h 30 est devenu une gigantesque édition spéciale. Cet effet médiatique, les terroristes et les criminels sont les premiers à l'avoir intégré. [...] Les barbares 2.0 sont les héros d'une série qu'ils ont eux-mêmes écrite. Ainsi nous vîmes mercredi matin, dans une vidéo insoutenable, l'un des terroristes achever un policier à terre comme dans un geste «appris» à la télévision. [...]
L'art de l'enquête comme celui de la guerre exige, en effet, de connaître, sans qu'il le sache, les intentions et la stratégie de l'adversaire. Avant l'information continue et les réseaux sociaux, les journalistes suivaient minute par minute le travail de la police, mais les éléments qui filtraient étaient le plus souvent «sous contrôle». C'était il y a un siècle. Aujourd'hui, le criminel traqué ajoute au GPS de sa voiture la géolocalisation permanente de ses poursuivants à laquelle il a accès en temps réel.[...]
C'est qu'au cœur de cette course-poursuite les journalistes sont lancés, eux aussi, dans une épreuve de rapidité et d'endurance.Cette frénésie contrarie le plus souvent le travail de la police.[...]
Hugues Moutouh, l'ancien conseiller spécial de Claude Guéant et auteur de 168 heures chrono, la traque de Mohamed Merah, le confirme. «Lors d'une enquête judiciaire sensible, affirme-t-il, le plus souvent les médias sont un boulet.» Lui reviennent les erreurs des chaînes d'informations continues qui semaient la confusion au plus haut niveau de l'État. Ainsi, le directeur de cabinet de François Fillon ne savait plus que croire entre les rumeurs de fuite, de mort ou de reddition. Le télescopage entre l'enquête policière et l'enquête journalistique qui a fait perdre quelques précieuses heures aux services d'enquête. La crainte enfin d'une fuite médiatique au moment de la tentative d'interpellation. [...]
Instaurer des règles? Une seule est fiable: la responsabilité personnelle. Ce que Pierre Péan, l'un des plus chevronnés de la prestigieuse confrérie des enquêteurs, exprime en ces termes: «Ma règle essentielle n'est pas propre au journalisme: je tiens à me regarder dans la glace le matin sans dégoût. J'estime que j'ai le droit, voire le devoir, de ne pas tout dire ce que je sais. Le journalisme, ça n'est pas seulement trouver, mais c'est choisir.»"