Gaël Brustier, docteur en Sciences Politiques, s’intéresse de près à la mutation de la vie politique française. Après avoir écrit le très pertinent Voyage au bout de la droite qui explique la droitisation de la vie politique française, et La guerre culturelle aura bien lieu, sa dernière publication porte sur l’analyse générale du mouvement LMPT qui s’est opposé au mariage entre personnes de même sexe : Le Mai 68 conservateur.
Vincent Tremolet de Villers et Raphaël Stainville ont écrit Et la France se réveilla, une analyse structurelle de la LMPT s’attachant aux organisateurs des manifestations, et une explication chronologique détaillant le déroulement des événements. Le livre de Gaël Brustier vient combler le vide de l’analyse politique globale qui entoure la contestation que peu de personnes, et notamment les politiques, avaient su prévoir.
Comme tout chercheur qui se penche sur la vie politique française, son ouvrage porte au début sur les sondages concernant les choix politiques des français catholiques pratiquants et non pratiquants. Si ces résultats sont révélateurs des courants de pensée liés à une pratique de la Foi et/ou à une conception traditionnelle française, ces chiffres pêchent par le fait qu’ils ne peuvent réduire le mouvement à des sondages liant politique et pratique religieuse car la forte mobilisation révèle bien la pensée conservatrice des français qui se sont exprimés en 2013. Cette pensée conservatrice n’est pas forcément transcrite politiquement par un vote qui lui serait lié : les Français peuvent tout à la fois défendre une valeur conservatrice concernant la famille ou les mœurs et s’orienter vers des hommes politiques libéraux.
Au-delà de l’écran de fumée des couleurs criantes et de la musique techno, l’auteur a fait une analyse binaire du mouvement : l’analyse qui touche au spirituel, celle qui tient à un mouvement mené par des personnes croyantes apparentées ou non à différentes paroisses ou associations religieuses, ayant permis une forte mobilisation à travers la France et la Navarre (père Daniel-Ange, Renouveau Charismatique, Veilleurs, paroisse Saint Léon etc.) ; et, l’analyse qui touche au temporel, c’est-à-dire aux divers mouvements et cercles politiques qui ont pu maintenir la contestation dans la rue et participer à la formation politique nécessaire à une contestation envahissant l’espace public (Dextra, Université d’été pour Tous, Printemps français, Antigones, Hommen etc.).
Ce que Gaël Brustier a bien réussi à mettre en exergue, c’est la prégnance d’une conscience politique commune qui s’incarne au-delà d’une contestation nimbée par la société du spectacle (qui, admettons-le, est peut-être aussi une des raisons de son succès dans un cadre d’engouement populaire vaste). Cette conscience politique commune, liée à la « common decency » chère à Orwell n’est donc pas le fait des organisateurs – qui ont certes su organiser des manifestations de très grande ampleur, mais avec l’assentiment des autorités, et non sans délation malheureusement –, mais le fait de divers groupes politiques périphériques à la structure même des organisateurs, totalement imbriqués dans la lame de fond qui a touché la France en 2013 et que l’auteur qualifie à raison de « Mai 68 conservateur ». Ce débat a été si fort qu’il a nettement touché les partis politiques, appelés à prendre une position claire sur le sujet, position qui n’est d’ailleurs toujours pas précisée à droite…
Gaël Brustier reconnaît objectivement que ce mouvement global est une synthèse de différents mouvements et cercles, aux premiers desquels il cite Dextra, qui avait déjà organisé une université l’été précédant la mobilisation avec la riche intervention de Gérard Leclerc à ce sujet, présupposant l’impact qu’aurait cette question sur les enjeux sociétaux français. Ce mouvement a été présent à chaque événement de cette période, a participé de concert avec les Hommen, Antigones, le Printemps français et les autres groupes ou mouvements conscients de cet important sujet de société. Cet « engagement 31 » était au départ un prétexte pour le président de la République, pour rallier ou conserver un électorat minoritaire, mais présent dans la vie publique du fait de lobbies puissants, mais s’est transformé du fait de la réaction en fracture de la société française.
Enfin, comme le constate l’auteur, cette conscience politique commune a été pérennisée, à travers l’organisation d’une Université d’été pour Tous, mais aussi à travers un engagement continu des militants, ou un nouvel engagement pour toute une génération alerte à propos de la déliquescence de la société française, surtout sur les points concernant la famille, l’écologie intégrale et les questions sociales délaissées par la gauche au profit du sociétal (position d’ailleurs clairement et très bien développée par Jean-Claude Michéa).
Cette conscience politique, comme ce livre le démontre, est un nouvel enjeu des partis politiques, aujourd’hui en manque de militants mais surtout de cadres et, ayant besoin de conforter leur électorat. A ce propos, l’auteur prend pour exemple l’UMP faisant de nombreux clins d’œil aux militants de la LMPT, avec le rapprochement de ce parti – qui ne l’oublions pas, avait dans ses cartons le contrat d’union civil – avec Madeleine de Jessey, cofondatrice des Veilleurs, puis cofondatrice de Sens commun, et aujourd’hui secrétaire national de l’UMP. Celle-ci espère naïvement influer sur l’UMP concernant le mariage pour tous mais même l’auteur n’est pas dupe de l’entrisme « trotskyste » de ce genre de profils, l’histoire vouant habituellement ces militants peu chevronnés à un conformisme futur au sein des bureaux politiques.
Pour conclure, malgré quelques coquilles et des points qui méritent quelques précisions ou un approfondissement, le livre de Gaël Brustier est une analyse politique globale très intéressante de ce que les Français ont pu apercevoir, ressentir, vivre en 2013 ; il faut saluer à cet égard l’honnêteté intellectuelle ainsi que l’objectivité dont a fait preuve l’auteur qui, malheureusement, font défaut aujourd’hui à tant d’écrivains ou journalistes, pensant réfléchir, mais n’apportant que leur opinion dans un débat stérile parce qu’ils glosent sans jamais s’être posés les bonnes questions.