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Jean-Pierre Dickès : « Nous avons perdu beaucoup de richesses en tuant les provinces »

Jean-Pierre Dickès préside l'Association catholique des Infirmières et Médecins et dirige les cahiers Saint-Raphël.

Monde et Vie : A votre avis, les notions de droite et de gauche ont-elles encore un sens ?

Jean-Pierre Dickès : Non. On s'aperçoit, dans le domaine qui m'intéresse, celui de la bioéthique, la défense de la morale chrétienne, que la gauche et la droite sont aussi toxiques pour notre civilisation. Ces notions ne signifient donc rien. Même dans le programme du Front national, le côté « démocrate » et « républicain » ne me convient pas. Je me situe hors du système.

Historiquement, n'y a-t-il pas néanmoins une différence ? Des catholiques sociaux comme La Tour du Pin ou Albert de Mun se situaient à droite, même s'il ne s'agissait pas de la même «droite».

Historiquement, oui, mais aujourd'hui le système démocratique s'impose partout. Il peut convenir à l'Amérique, qui est un pays jeune, mais certainement pas à notre vieux pays de chrétienté, construit par une monarchie plus que millénaire.

Nous en sommes à la Ve République, or un philosophe de gauche, Michel Onfray, déclare qu'il faut encore en changer. Va-t-on en essayer une sixième ? J'en ai connu deux, qui ont été aussi mauvaises l'une que l'autre. La Ve République a correspondu au retour de De Gaulle, à l'abandon de l'Algérie, à celui des harkis livrés à la torture et à la mort par centaines de milliers - on n'a jamais su combien exactement - et des pieds-noirs. Puis, les idées socialistes ont abouti à l'augmentation de la puissance de l'Etat, qui se développe toujours davantage et appesantit le fonctionnement du pays. La pieuvre étatique se nourrit, sa tête grossit sans cesse, et plus on s'éloigne du centre, plus la richesse diminue, à tel point que l'on en arrive à une société très inégalitaire, au nom de la République, de la liberté, de l'égalité et de la fraternité ! Je partage l'analyse maurrassienne, selon laquelle la république oscille entre Démos et César - c'est-à-dire entre la démocratie et le totalitarisme - et nous sommes actuellement sur le versant totalitaire. Cela paraît indéniable quand on voit que les socialistes ont remplacé le tiers des magistrats, des préfets, des sous-préfets, ou quand on se rappelle de la répression de la Manif pour tous. Même si l'on n'arrête pas les gens dans la rue, c'est du totalitarisme ! Il faut changer de régime et en revenir à un régime monarchique, ce que l'omniprésence de l'Etat rendra très difficile.

Etes-vous favorable, comme l'était Maurras, à la décentralisation ?

Oui. Le pays doit être organisé à partir d'une décentralisation effective et l'Etat ne doit intervenir que dans les domaines qui lui sont propres, c'est-à-dire la sûreté extérieure, la sûreté intérieure et le respect de la justice. C'est à cela que devraient se limiter ses prérogatives, alors qu'aujourd'hui il intervient perpétuellement et partout. Maurras disait : « le roi en ses conseils, le peuple en ses Etats ». Nous avons perdu beaucoup de richesses en tuant les provinces : on a tué la joie de vivre, la joie de s'exprimer dans sa propre langue, d'avoir ses propres traditions, ses habitudes, ses proverbes... Je suis un défenseur effréné du régionalisme, j'ai écrit six livres, j'ai fait un dictionnaire du patois de ma région qui fait autorité, pendant des années j'ai rassemblé ses dictons et ses proverbes, qui sont en train de disparaître, comme les richesses culturelles, les costumes traditionnels, etc. Je suis en revanche favorable à la suppression des départements, qui sont une création artificielle. J'habite le Boulonnais, qui pendant des siècles avait dépendu de la Picardie, pour des raisons de langue, de richesse, ou même géologiques.

Aujourd'hui nous dépendons de l'Artois : ce sont des régions complètement différentes, c'est complètement idiot ! Il faut revenir aux provinces naturelles, qui continuent d'ailleurs à se revendiquer comme telles, comme la Bretagne, l'Alsace, etc... Nous sommes entrés dans le mondialisme : les provinces disparaissent au profit de la France, qui se dilue elle-même dans un gigantesque magma dominé par la finance. Le premier rôle de la monarchie consistait à défendre les frontières ; maintenant qu'elles ont disparu nous sommes devenus un aspirateur de toute la misère du monde et nous en venons à favoriser ceux que nous avons invités chez nous, qui nous imposent leurs idées et leurs religions !

La laïcité est-elle fatalement, à vos yeux, une notion antichrétienne ?

Absolument, car cette notion a été créée par des gens qui étaient antichrétiens, les socialistes du début du XXe siècle pour démolir le christianisme, avec la loi de 1905, l'expulsion des religieux, etc. C'est eux qui ont introduit cette notion de laïcité, en substituant une entité de type administratif ou légal aune entité ontologique : la religion donne un sens à la vie et la laïcité supprime, ce sens, ce qui est gravissime parce que cela provoque chez les personnes une insatisfaction par rapport à leur propre destinée. C'est générateur d'une grande partie des maladies contemporaines : quand les gens n'ont pas d'espoir après la mort, ils sont démunis face à la souffrance, à la maladie et à la mort Priver les gens du sens de la vie revient à les amputer. Mais les questions philosophiques continueront de se poser : c'est d'ailleurs pour cela que la philosophie que l'on enseigne aujourd'hui en faculté n'est plus de la philosophie, mais de la sociologie. Autrefois on y étudiait les grands courants de la philosophie : Kant, Descartes, saint Thomas ou la phénoménologie ; maintenant on résume la philosophie à des phénomènes de sociologie ou de psychanalyse. Et il n'est bien sûr plus question de métaphysique...

 

Propos recueillis par Eric Letty  monde&vie avril 2015

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