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Les écotartuffes de Nouvelle Écologie par Guillaume LE CARBONEL

Le 10 décembre dernier avait lieu la conférence de lancement du collectif Nouvelle Écologie par le Front national. Troisième du genre (1), celui-ci est entièrement dédié, comme son nom l’indique, à l’écologie et à la fameuse « transition énergétique ». C’est Philippe Murer, proche de l’économiste Jacques Sapir et membre du groupe d’économistes franco-allemands signataires de l’appel de Düsseldorf, qui est chargé d’animer cette nouvelle organisation, en partenariat avec Éric Richermoz, jeune figure montante du F.N., étudiant en master de finance dans une école de commerce de Lille.

 

Rappelons que Philippe Murer a rejoint officiellement le R.B.M. en mai 2014 en qualité de conseiller économique, notamment disait-il, « parce que la crise économique s’approfondit sans cesse (2) ». Rappelons également les termes du communiqué de presse du F.N. publié à cette occasion : « Ancien sympathisant du Parti socialiste, Philippe Murer relève l’incapacité des formations politiques traditionnelles, P.S. et U.M.P., à concevoir et proposer des solutions pour relancer la croissance, redresser les comptes du pays, faire baisser un chômage massif qui devient un cancer pour notre société (3). » Et plus loin : « En tant que conseiller économique de Marine Le Pen, il sera chargé de travailler sur le projet économique duFront national ainsi que sur les problématiques liées à l’écologie et au développement durable. À la demande de Marine Le Pen, ses premiers travaux seront d’ailleurs orientés vers les moyens de relancer la croissance en France, tout en réalisant la transition énergétique nécessaire au pays ».

 

Rappelons également ce qu’écrivait Philippe Murer en 2013 sur le site d’information Atlantico : « Il faudrait pourtant un taux de croissance de plus de 1,5 % pour que le chômage n’augmente plus. […] Une croissance de 2,5 % sur un an permettrait en revanche de donner du travail à 300 000 chômeurs. Un taux de croissance inaccessible avec la politique économique en place en France et en Europe malheureusement (4). »

 

Ainsi donc, avons-nous à la tête d’un organisme « dédié à l’écologie », un conseiller économique dont la tâche première est ouvertement de relancer la croissance. Il faut bien admettre que ce n’est guère banal.

 

La contestation de la croissance économique est un fondement de l’écologie politique. Sans doute n’a-t-on pas compris au Front national que l’écologie est incompatible avec le système productiviste et l’accumulation illimitée. Sans doute ses dirigeants n’ont-ils pas compris non plus qu’une croissance infinie est incompatible avec un monde fini. Sans doute ne savent-ils pas qu’aujourd’hui 86 % de la population mondiale vit dans des pays qui demandent plus à la nature que ce que leurs propres écosystèmes peuvent renouveler. Sans doute ne savent-ils pas que la déforestation en Amazonie s’est accrue de 30 % en 2013, que la terre a perdue la moitié de ses populations d’espèces sauvages en 40 ans, que l’empreinte écologique mondiale excède de 50 % la biocapacité de la planète, que l’année 2014 est jusqu’à présent la plus chaude jamais enregistrée et que les îles de déchets plastiques tuent 1,5 millions d’animaux par an. Bienvenu dans le monde merveilleux du capitalisme mortifère. Nous leur conseillons dans ce cas les excellentes lectures de Jacques Ellul, Bernard Charbonneau, Serge Latouche, Cornélius Castoriadis, Ivan Illitch et autre André Gorz.

 

Dans le texte fondateur de Nouvelle Écologie, il est très souvent fait référence à la fameuse « transition énergétique », marotte de Philippe Murer : « Avec une monnaie nationale, une banque centrale au service du pays et pas uniquement des banques privées, nous aurons des possibilités de financement à long terme et à taux bas d’un grand programme de transition énergétique. […] La mainmise de la finance sur l’économie rend aussi impossible le financement sur le long terme et donc la faisabilité de grands projets utiles comme la transition énergétique (5). » Serge Latouche a montré depuis longtemps toute la fumisterie de ce capitalisme vert qu’est aussi le « développement durable », oxymores qui n’ont pour fonction que de maintenir les profits et d’éviter le changement des habitudes en modifiant à peine le cap (Hervé Kempf). « Ce n’est pas l’environnement qu’il s’agit de préserver pour les décideurs – certains entrepreneurs écologistes parlent même de “ capital soutenable ”, le comble de l’oxymore – mais avant tout le développement ! Là réside le piège. Le problème avec le développement soutenable n’est pas tant avec le mot soutenable qui est plutôt une belle expression qu’avec le concept de développement qui est carrément un mot toxique. […] La signification historique et pratique du développement, lié au programme de la modernité, est fondamentalement contraire à la durabilité ainsi conçue (6). »

 

Comme l’écrit Alain Gras, « la transition énergétique est en réalité une transition à l’électricité (7) » qui ne remet nullement en cause les éléments structurants du développement. Pas plus qu’elle ne remet en cause le système technicien et l’idée d’envisager les technologies les plus récentes, coûteuses en énergies, pour aider à gérer les multiples problèmes générés par notre civilisation. C’est s’attaquer à la forme sans s’attaquer au fond. C’est changer de carburant sans abandonner la machine. La transition énergétique ne s’attaque pas au productivisme ni à la société de consommation. Elle ne s’attaque pas à cette accumulation illimitée du capital qui nous tue. D’ailleurs, Philippe Murer ne s’y trompe pas : « Le cœur du débat est bien le tarif de rachat de l’électricité solaire et l’organisation du marché (8) » écrit-il, avant d’ajouter que l’enjeu concerne « la possibilité réelle de créer des centaines de milliers d’emplois pour produire de l’énergie sur notre sol au lieu d’acheter et de régler une facture de 65 milliards d’euros de pétrole, de gaz et de charbon à l’étranger chaque année (9) ». Produisons, consommons, mais surtout produisons et consommons patriote !

 

Nul besoin de sortir de la logique de la société de croissance et du toujours plus. Nul remise en question de l’homme transformé en consommateur illimité. Le libéralisme comme phénomène anthropologique connaît pas ! L’anthropocène, c’est-à-dire l’influence des activités anthropiques sur le système terrestre, encore moins ! « Revenu, achat de prestige et surtravail forment un cercle vicieux et affolé, la ronde infernale de la consommation, fondée sur l’exaltation de besoins dits “ psychologiques ”, qui se différencient des besoins “ physiologiques ” en ce qu’ils se fondent apparemment sur le “ revenu discrétionnaire ” et la liberté de choix, et deviennent ainsi manipulables à merci » avertissait pourtant Jean Beaudrillard dans son essai majeur, avant d’ajouter « la comptabilisation de la croissance [est le] plus extraordinaire bluff collectif des sociétés modernes. Une opération de “ magie blanche ” sur les chiffres, qui cache en réalité une magie noire d’envoûtement collectif ».

 

Dans cette optique, il est illusoire de vouloir « lutter contre l’obsolescence programmée », « garantir au peuple une meilleure diversité alimentaire » et « repenser l’intégration de l’architecture comme de l’urbanisme dans l’environnement naturel » comme le proclame le collectif dirigé par Murer. Il n’existe pas de « nouvelle économie ». Le développement n’est pas corrigible quoi qu’en pensent Nouvelle Écologie et ses économistes/financiers. La société de croissance est un système intrinsèquement fondé sur la démesure qui ne connaît plus aucune limite dans aucun domaine. La métaphysique du progrès, dont l’idée maîtresse était que le développement devait apporter le bonheur à l’humanité, a failli, ce que ne semble décidément pas avoir compris le collectif mal nommé. « Le taux de croissance de la frustration excède largement celui de la production » synthétisait Ivan Illitch.

 

À l’heure où les multiples réunions du G20 affichent leur volonté d’obtenir une croissance forte, durable équilibrée et proposent des plan d’action qui passent par toujours plus de nouvelles réformes structurelles,Nouvelle Écologie estime qu’une « politique écologique est le pendant d’une politique économique structurée autour de la protection et le développement des richesses nationales ». Formule aussi creuse et vide de sens que lorsque Laurent Ozon veut croire que « la décroissance ne sera pas une anti-croissance (10) ».

 

Nouvelle Écologie se présente ainsi comme ce qu’elle est fondamentalement : une énième étape dans la stratégie de crédibilisation mise en place par la présidente du F.N. en vue de l’élection présidentielle de 2017. Rien qui ne remette en cause le système. Un vulgaire attrape mouches.

 

D’ailleurs, le programme politique du Front national annonce la couleur sans ambages : « L’écologie ne doit en aucun cas être synonyme de décroissance. Il convient au contraire de ne jamais négliger les implications des mesures écologiques sur la croissance économique, en visant systématiquement les décisions écologiques les plus favorables au développement de l’économie nationale. À cet égard, toute création d’impôt au nom de l’écologie doit être refusée (11). »

 

À l’inverse, nous pensons que l’écologie radicale et le mouvement de la décroissance s’intègrent parfaitement aux enjeux identitaires. Par son soucis de relocaliser, de redistribuer et de retrouver le sens des limites, l’écologie politique est d’essence profondément ethno-culturelle. Notre société postmoderne est minée de l’intérieur par une économie de croissance qui ne tourne plus que sur elle même. Il y a longtemps déjà que la valeur d’usage a laissé place à la valeur d’échange, que le système génère l’accumulation de marchandises non utiles et seulement destinées à être vendues. Des paramètres que Nouvelle Écologie ne semble pas avoir intégré. Elle n’est somme toute, que le reflet d’un capitalisme qui s’accommode des contraintes écologiques alors que nous croyons au contraire, que l’écologie radicale est inséparable de la lutte anticapitaliste.

 

« La transition énergétique rendra l’industrie française plus efficace par une réduction de la consommation d’énergie de 18 % à l’horizon de 2020 et de 42 % à l’horizon 2050 (avec des objectifs variables suivant les filières). Cela protégera notre industrie de l’augmentation des coûts de l’énergie et la rendra donc plus compétitive », dixit Europe – Écologie – Les Verts (12). Nouvelle Écologie dit-elle autre chose ?

 

Quant Éric Richermoz annonce « la fin du monopole insolent d’E.E.L.V. et de la gauche sur l’écologie », nous voulons bien le croire ! Ces deux organisations montrent à elles seules que la lutte droite/gauche est une mise en scène et que l’alternance est une légende électorale.

 

Un panneau dans lequel nous ne tomberons pas.

 

Guillaume Le Carbonel

 

Notes

 

1 : Après le collectif Marianne dédié au monde universitaire et le collectif Racines destiné aux entrepreneurs.

 

2 : dans Le Figaro, le 22 mai 2014.

 

3 : cf. le communiqué du F.N. en date du 22 mai 2014, www.frontnational.com

 

4 : cf. www.atlantico.fr, le 4 octobre 2013.

 

5 : cf. www.collectifnouvelleécologie.fr

 

6 : cf. la revue Silence, n° 280, février 2002.

 

7 : cf. La Décroissance, n°113, octobre 2014.

 

8 : cf.  La transition énergétique, Fayard, 2014.

 

9 : cf. l’entretien sur Atlantico.fr, le 4 mai 2014.

 

10 : cf. l’entretien sur le site www.lerougeetlenoir.org, le 5 décembre 2013.

 

11 : cf. le programme politique du F.N., Avenir de la Nation, « Écologie ».

 

12: cf.  le livret La transition énergétique.

 

• D’abord mis en ligne sur Cercle non conforme, le 1er avril 2015.

http://www.europemaxima.com/

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