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« Quand nous serons tous des cyborgs, il sera trop tard »

On corrige la myopie au laser, pourquoi ne pas obtenir une vision de 16/10 ? Militaires et navigateurs peuvent ne pas dormir pendant des jours et des jours grâce au Modafinil. Les étudiants débrouillards aussi. On fabrique des exosquelettes pour permettre aux handicapés de marcher... et aux soldats américains de concurrencer Hulk !

Après l’homme réparé, voici l’homme augmenté et bientôt le transhumain (hybride homme-machine). Cet homme 2.0 n’est pas sans poser toutes sortes de questions d’ordre éthique et philosophique. Auxquelles tente de répondre depuis des années l’anthropologue suisse Daniela Cerqui.

Rue89 : « Transhumanisme », « post-humanisme »... Ces mots ne font pas encore partie du vocabulaire courant. De quoi s’agit-il ?

Daniela Cerqui : Il n’y a pas de définition universellement admise ni solidement établie. Mais je dirais que le transhumanisme est une idéologie portée par différents courants des sociétés occidentales affirmant qu’il est du devoir de l’homme d’utiliser toutes les avancées possibles des sciences et des technologies pour augmenter ses performances. 

Autrement dit, multiplier prothèses, implants, transgénèses et autres produits stimulants, non seulement pour réparer l’individu si besoin, mais aussi pour l’améliorer. 

L’objectif ? Qu’il reste jeune et en bonne santé ; qu’il soit hyper relié aux autres et au monde ; qu’il devienne plus intelligent, plus rapide, plus empathique. Et qu’il soit même doté de capacités inédites comme la télépathie ou la vision à 360° par exemple.

L’idée est donc de perfectionner l’homme. Quitte à parvenir à un point de rupture évolutif au-delà duquel nous ne pourrons plus parler d’humain mais de post-humain : un être inédit. Par exemple un cyborg, de l’anglais « cybernetic organism », être vivant amélioré par des implants électroniques.

Ou peut-être même une pure machine, puisque certains rêvent d’uploader leur cerveau dans un ordinateur, c’est-à-dire faire migrer toutes les données de leur système nerveux dans des circuits électroniques.

Mais l’uploading, la migration du cerveau vers l’ordinateur, n’est-il pas un fantasme navrant d’informaticiens qui trouvent leurs ordinateurs plus intelligents qu’eux ?

C’est en tout cas l’idée de personnes qui soutiennent que le propre de l’homme est son esprit rationnel. Seul cet esprit serait digne d’être conservé et développé. D’ailleurs, pensent-elles souvent, on se portera probablement beaucoup mieux lorsqu’on se sera débarrassé de scories comme le corps (putréfiable) et les émotions (perturbantes). 

Je vous accorde qu’implanter son esprit dans un disque dur est aujourd’hui de la science-fiction. Pour autant, je ne pense pas que cela doive nous rassurer à bon compte et nous dispenser de réfléchir à ce qui se passe aujourd’hui.

Le transhumanisme est le miroir des valeurs que nous accordons à l’humain ici et maintenant. Il est très révélateur des tendances profondes de notre société. Cette propension par exemple à toujours plus rapprocher la machine de l’homme. 

C’est-à-dire ?

Je prends toujours l’exemple du téléphone. Nous sommes passés du gros téléphone collectif posé sur une table ou accroché à un mur au téléphone individuel toujours plus petit et mobile, toujours plus personnalisé et toujours plus près du corps. On n’a plus besoin de se lever pour aller le chercher, il est constamment dans notre poche !

De là à penser que la prochaine étape est l’implantation du téléphone portable, il n’y a qu’un pas. Dont on a déjà vu les prémices : en 2002 en Grande-Bretagne, deux chercheurs, Jimmy Loiseau et James Auger du Medialab de Londres, ont mis au point un prototype de mobile insérable dans une molaire et relié à l’oreille interne. Plus aucun risque de le perdre ou de déranger les autres par des sonneries intempestives.

Certes, cette invention ne s’est pas encore répandue. Mais je trouve ce mobile molaire symptomatique de ce qui se passe actuellement – sans même s’apesantir sur cette société qui tolère que je ne vous dise pas bonjour lorsque je suis assise en face de vous dans le train mais que je puisse continuer à répondre au téléphone !

En quoi ce rapprochement homme-machine est-il un problème ?

Disons, je le répète, que c’est une question qui doit faire réfléchir. Je suis une anthropologue spécialisée dans l’étude des relations entre l’homme, les techniques et la société. J’ai commencé par m’intéresser aux TIC (technologies de l’information et de la communication), donc au téléphone, à l’ordinateur. Et bien sûr j’ai constaté que ces objets se rapprochaient toujours plus près du corps. Cela m’a amenée à regarder toute une série d’autres technologies : les puces, les implants divers et variés. Mais je me suis vite aperçu que tout cela n’était que la pointe émergée de l’iceberg : la question sous-jacente mais absolument centrale était bien d’augmenter les performances de l’humain.

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