Certaines caractéristiques géographiques qui ont été propices au développement économique lors de l’étape agricole se sont révélées être des obstacles à la transition vers l’étape industrielle du développement. Pourtant, selon la croyance conventionnelle partagée par de nombreux économistes, la prospérité a persisté dans les économies qui ont connu une industrialisation précoce.
Répartition de la puissance totale des machines à vapeur entre 1960 et 1965
En l’occurrence, le développement industriel est un catalyseur pour la croissance économique, dans la mesure où il aurait un effet persistant sur la prospérité économique. Pourtant, les régions industrielles qui étaient prospères en Europe occidentale et aux États-Unis au dix-neuvième siècle ont connu un déclin relatif par rapport aux autres régions de leur pays respectif. C’est le cas des Midlands au Royaume-Uni, de la Ruhr en Allemagne ou encore de la Rust Belt aux États-Unis.
De leur côté, Raphaël Franck et Oded Galor (2015) suggèrent que l’adoption de technologie industrielle est certes initialement favorable au développement économique, mais qu’elle exerce par contre un effet nuisible sur les niveaux de vie à long terme.
Après avoir recueilli des données allant du dix-neuvième siècle jusqu’au début du vingt-et-unième, les auteurs observent les différences régionales dans l’adoption des machines à vapeur durant la Révolution industrielle en France, avant d’observer les différences régionales dans les performances macroéconomiques, avec en tête l’idée de rechercher comment l’écart de revenu entre les départements qui se sont le plus rapidement industrialisés et les autres départements a évolué au cours du temps.
Le degré d’avancement dans le processus d’industrialisation atteint par chaque département est déterminé à partir de la prévalence de machines à vapeur sur la période 1860-1865 (cf. graphique ci-dessous). C’est à Fresnes-sur-Escaut, en 1732, qu’une machine à vapeur fut pour la première utilisée à des fins commerciales.
L’analyse prend en compte l’impact potentiel des caractéristiques géographiques de chaque département sur la relation entre l’industrialisation et le développement économique, notamment le climat, la pluviosité, la latitude, etc. En l’occurrence, elle prend en compte l’impact de ces facteurs spatiaux sur la profitabilité de l’adoption de la machine à vapeur, sur le rythme de sa diffusion d’une région à l’autre, etc.
Elle prend également en compte l’emplacement de chaque département, en l’occurrence son éloignement par rapport à la bordure maritime, son éloignement par rapport à Paris, les départements et pays qui le côtoient, etc. Enfin, l’analyse prend en compte les différences de développement initiales durant l’ère préindustrielle qui sont susceptibles d’affecter le processus d’industrialisation et le développement économique.
Franck et Galor constatent que les régions qui se sont industrialisées le plus tôt ont connu une hausse des taux d’alphabétisation plus rapidement que les autres régions et qu’elles générèrent des revenus par tête plus élevés que ces dernières aux cours des décennies suivantes.
En effet, l’analyse établit que la puissance des machines à vapeur de chaque département sur la période 1860-1865 a un impact positif et significatif sur son revenu par tête en 1872, en 1901 et en 1930. Par contre, l’industrialisation précoce exerce un impact négatif sur le revenu par tête, l’emploi et l’égalité dans la période consécutive à 2000.
Les deux auteurs poursuivent leur analyse en explorant les possibles canaux à travers lesquels le développement industriel précoce peut avoir un impact négatif sur le niveau actuel de développement. Ils estiment que le déclin actuel des zones industrielles ne s’explique ni par une plus forte syndicalisation, ni par des salaires plus élevés, ni même par des restrictions aux échanges.
Selon Franck et Galor, l’effet négatif de l’industrialisation précoce sur l’accumulation du capital humain est la principale force à l’origine du déclin relatif des régions industrielles. En l’occurrence, les zones qui ont connu une industrialisation précoce ont peut-être connu les plus gros progrès en termes d’alphabétisation et de scolarité au cours de celle-ci, mais ces zones ont par la suite été dépassées en termes de niveau scolaire par le reste du territoire.
Une interprétation pourrait être que la prime industrialisation nécessitait à l’époque des travailleurs plus qualifiés que ceux employés dans les autres secteurs de l’économie, notamment l’agriculture. Savoir lire et compter reflétait peut-être alors un capital humain plutôt élevé. Mais aujourd’hui, non seulement ce savoir de base est peut-être considéré comme un faible capital humain, mais les autres secteurs de l’économie (en particulier le tertiaire) exigent peut-être davantage de qualifications que l’industrie.
Ces constats amènent au final Franck et Galor à conclure que ce n’est pas l’adoption de technologies industrielles en tant que telle, mais les forces qui amorcèrent l’industrialisation qui ont été la source de prospérité parmi les économies que l’on considère aujourd’hui comme développées.
Notes :