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Quand les royalistes parlaient d'écologisme intégral... (partie 2)

Est-il si étonnant que ce soit dans un journal royaliste que la formule « écologisme intégral » ait été, en fait, définie dans les années 1980 ? Evidemment, il s’agissait aussi de faire écho au « nationalisme intégral » de Charles Maurras qui signifiait que tout nationalisme, s’il voulait fonder et non seulement dénoncer, se devait de conclure à la monarchie, d’être monarchique (plus encore que monarchiste, ce qui en aurait fait une simple opinion et non un régime instauré), ce qui aboutissait à rendre le nationalisme lui-même inutile en tant qu’idéologie. Nous étions dans les années de l’après-Mai 68 et du mitterrandisme institutionnel, et l’écologisme commençait à poindre politiquement, principalement à travers les mouvements de contestation du nucléaire et des camps militaires du Larzac et d’ailleurs, mouvements dans lesquels on pouvait croiser, à Plogoff ou à Chinon, de vieux (et de moins vieux, mais plus rares en fait…) militants royalistes ou traditionalistes, chouans technophobes ou protecteurs des bois, des marais et des paysages. Ceux-ci ne se disaient pas écologistes mais ils l’étaient, naturellement, et ils se méfiaient d’une modernité que Jacques Tati moquait dans ses films souvent incompris : je les croisais parfois au marché des Lices, qui allaient acheter leurs pommes ou leurs gâteaux à la cannelle chez les petits commerçants et producteurs qui arboraient l’autocollant du « Paysan biologiste », association et revue dans laquelle écrivait l’actuel président du Groupe d’Action Royaliste, Frédéric Winkler… Un de ses monarchistes, qui avait fait le coup de poing contre les marxistes dans les années 50-60 sur le parvis des églises, et était devenu ensuite membre d’une communauté monastique locale, vendait son fromage qui ne devait rien à la chimie ou à la pasteurisation !

Pourtant, la théorisation de l’écologie par les royalistes n’était pas alors vraiment développée. Bien sûr, dans les cercles d’études de l’Action Française, on reprenait en chœur la fameuse citation « On ne commande à la nature qu’en lui obéissant », mais la protection de l’environnement n’était qu’un combat annexe pour la plupart des militants d’AF, plus occupés à répondre aux arguments d’une Gauche alors conquérante, à brandir les thèmes de l’anticommunisme ou à combattre la loi Savary sur l’enseignement supérieur en 1983, par exemple. Si Paul Serry (pseudonyme de Jean-Clair Davesne, journaliste agricole réputé) puis Guillaume Chatizel dans les années 1990-2000, évoquaient régulièrement cette question écologique dans les colonnes d’Aspects de la France puis de l’Action française, c’est, en fait, dans celles de Je suis français, publication de l’Union Royaliste Provençale, que Jean-Charles Masson titra une courte série d’articles « Jalons pour un écologisme intégral » à la fin de l’année 1984, série qui faisait suite à une plus vaste réflexion sur « L’enracinement et la dignité », et qui montrait que l’écologie n’était pas qu’une simple question environnementale ou économique mais un véritable souci politique et, au-delà de la question institutionnelle, de civilisation.

Dans ces « Jalons », Jean-Charles Masson insiste sur le réenracinement nécessaire des Français pour faire face à ce nomadisme d’un genre nouveau qu’imposent la société de consommation et l’individualisme, et que l’on pourrait nommer aujourd’hui mondialisation : « Si l’on veut « dénomadiser » culturellement, il faut sédentariser économiquement. L’esprit révolutionnaire et l’individualisme égoïste se développent sur le déracinement économique. » Comme La Tour du Pin fut souvent présenté comme l’inspirateur de l’encyclique du pape Léon XIII sur la question sociale, on pourrait trouver quelques arguments pour voir dans les propos de Jean-Charles Masson quelques idées prémonitoires aux écrits du pape François, ne serait-ce que parce que l’auteur royaliste se place dans une optique résolument catholique sans, pour autant, en négliger le sens et la portée politiques : pour ce dernier, il s’agit de dénoncer et de combattre matérialisme et prométhéisme, et de ne négliger ni la société ni la part de divin qui fait de l’homme un être différent du reste du monde animal, ni leurs interrogations comme leurs mystères… Cela n’est donc pas un retour à une hypothétique nature « sans l’homme », ou préexistante à celui-ci, en négation de l’histoire et de la civilisation : « Notre écologisme n’est pas compris dans les limites d’une défense de la nature d’inspiration rousseauiste. Qu’on refleurisse demain toutes les cités dortoirs de France et de Navarre, on n’aura pas pour autant supprimé la pitoyable condition morale des familles qui s’y entassent. Il faut être naïf ou niais pour imaginer que le jour annuel de l’arbre (initiative bucolique de l’inimitable Giscard) redonnera aux Français leur âme. » On voit là l’idée fondamentale de ce que d’aucuns nomment aujourd’hui l’écologie humaine, et qui n’oublie pas l’homme dans la nature (ou au profit exclusif de celle-ci) mais en rappelle la dimension spirituelle au-delà de la simple enveloppe matérielle de chair et de désirs.

L’écologisme intégral est la réponse que le royaliste Masson apporte à une société oublieuse de ses devoirs et de ses limites, autant naturelles que matérielles, une société que l’on pourrait, en fait, qualifier (comme le faisait le philosophe belge Marcel de Corte) de « dissociété », et dans laquelle l’homme est arraché à son environnement et à sa « nature permanente » : « Notre écologisme est construit autour de la tragédie de l’homme déraciné, et l’inhumanité des villes, le sac de la nature ne sont que les effets visibles de ce déracinement. Car de l'homme animal, on ne peut attendre des marques de respect », ces dernières étant les formes d’un héritage civilisationnel que la société de consommation entend dépasser au nom d’un prométhéisme consommateur et non conservateur ou traditionaliste, de ce prométhéisme qui, en fait, limite (en le définissant mal) l’homme à ses seuls besoins « animaux », souvent créés de toutes pièces par une publicité visible ou insidieuse… Si l’homme n’est plus un héritier inscrit dans une longue suite de générations qui se doivent les unes aux autres, à quoi lui importe de transmettre encore quand il peut consommer et consumer pour son seul intérêt individuel, pour son seul plaisir revendiqué par la formule « On n’a qu’une vie », formule négatrice de la vie des autres, en particulier de ceux à venir ?

« L’écologisme intégral est la défense de l’homme total tel que le définit la tradition latino-chrétienne », et Aristote aussi : un homme qui « est société », selon la formule d’Henri Massis ; cet homme qui, s’il était livré à lui-même et à la nature brute quelques heures après sa naissance, ne survivrait pas, et qui doit apprendre à connaître le monde et à le respecter comme on respecte sa mère nourricière, à reconnaître les autres et leurs bienfaits (et leurs méfaits aussi, d’ailleurs), et à sauvegarder les conditions naturelles de sa survie sur terre tout en les apprivoisant parfois, sans pour autant vouloir, orgueil malsain, les soumettre toutes… Là encore, je cite cette formule évoquée plus haut qui est l’une des plus importantes de l’écologisme qui se veut intégral pour mieux être et durer, et faire durer les conditions de notre vie sur terre : « On ne commande à la nature qu’en lui obéissant »… Mais cette obéissance n’est pas la soumission aveugle de l’esclave au maître, elle est la fidélité à ce qui est (au sens fort et véritablement spirituel du verbe être) et doit donc durer et s’enraciner, encore et toujours, pour vivre soi-même et faire vivre les autres : qu’y a-t-il de plus royaliste que cette fidélité-là qui n’est pas servitude mais service ? Service des autres, présents et à venir, et qui se souvient de la vieille formule arthurienne, et la reconnaît librement, mais avec humilité : « Terre et Roi ne font qu’un »…

(à suivre)

http://nouvelle-chouannerie.com/index.php?option=com_content&view=article&id=1231:quand-les-royalistes-parlaient-decologisme-integral&catid=49:2015&Itemid=60

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