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« la droite constitue sur un mode sécularisé la postérité légitime du christianisme »

Professeur d'histoire du droit et des Institutions à l'Université de Paris il, Jean-Louis Harouel a publié, entre autres ouvrages, La grande falsification - l'art contemporain (2009); Le vrai génie du Christianisme: Laïcité, Liberté, Développement (2012); et Revenir à la nation (2014), aux éditions Jean-Cyrille Godefroy. Il prépare actuellement un livre sur la droite.

Monde et Vie : Les notions de droite et de gauche vous semblent-elles avoir encore un sens aujourd'hui ? Si tel est le cas, dans quelle mesure ?

Jean-Louis Harouel : L'antithèse entre droite et gauche résulte d'une différence de nature qui repose sur de très anciennes racines religieuses.

On trouve de lointaines anticipations de la gauche dans de grandes falsifications du christianisme : la gnose, avec son affirmation que l’homme est Dieu, son rejet de la Bible et de sa morale, son exaltation du communisme des biens et des personnes ; et d'autre part le millénarisme qui prétendait réaliser le paradis sur la terre, généralement sous la forme d'une société communiste. Avec dans les deux cas l'affirmation que le mal est un problème extérieur à l'homme résultant d'un état de choses insatisfaisant. Une fois sécularisé, tout cela a produit les facettes innombrables et souvent contradictoires d'une religion de l'humanité dont l'actuel avatar le plus évident est le culte intolérant des droits de l'homme qui détruit les nations européennes au nom de l’amour de l'autre jusqu'au mépris de soi. Tout cela est nourri d'idées chrétiennes devenues folles, selon la formule de Chesterton, car détournées de leur sens originel, coupées de la religion, et appliquées aux choses terrestres. La gauche apparaît comme une descendance illégitime du christianisme.

Inversement, la droite constitue sur un mode sécularisé sa postérité légitime. Le christianisme, comme l'a souligné Paul Veyne, n'est pas un projet politique et social pour ce bas monde. Son exigence de perfection, son souffle d'égalité et de liberté sont orientés vers le salut dans l'Au-delà. Les préceptes évangéliques sont restés reliés à leur substrat biblique, porteur de précieuses valeurs de durée : valorisation de la patrie, de la famille, souci de l'ordre social, code moral strict, exigence d'une justice protégeant les innocents, caractère normal de l'inégalité corrigée par la charité, considération pour la richesse et le savoir. Tout cela était dominé par le Décalogue, avec son programme de discipline sociale et de justice destiné à contenir le mal qui est en l'homme. Les masses de granit de la Bible ont permis à l'Europe chrétienne de développer les virtualités égalitaires, libératrices et universalistes de l'Evangile tout en gardant les pieds sur la terre. Là sont les racines de la droite.

La gauche est-elle caractérisée par la foi dans le progrès ?

La gauche appartient à cette forme sécularisée du millénarisme qu'est l'historicisme, lequel transforme l'histoire en cheminement de l'humanité vers un salut collectif terrestre. Caractérisant une grande parue de la philosophie allemande du XIXe siècle, cette vision inspire également la plupart des courants socialistes et plus généralement la pensée de gauche. Le socialisme, observait Durkheim, « est tout entier orienté vers le futur ». Selon une formule déjà présente chez Zola, la gauche se considère comme « le parti de demain ». La gauche, souligne Jean-Claude Michéa, est animée par la croyance progressiste en l'existence d'un « mouvement historique providentiel - et irréversible - qui ouvrirait peu à peu au genre humain les portes de l'Avenir radieux ». Or si la gauche se croit le parti de l'avenir, en réalité elle compromet l'avenir du fait qu'elle rejette les valeurs de durée. La gauche n'est pas le parti de demain mais celui de l'utopie qui est un autre nom du millénarisme.

Peut-il exister une utopie de droite, ou l'homme de droite est-il fondamentalement réaliste ?

La droite, à l'instar du christianisme, refuse la tentation de chercher à instaurer sur la terre un monde voulu partait et de faire naître un homme nouveau. L'objectif de la droite se borne à rendre un monde imparfait le plus vivable possible malgré la présence du mal en l'homme.

D'aucuns objecteront que le nazisme, comme l’a montré Frédéric Rouvillois, avait une fort dimension utopique. Mais l'utopie nazie ne relevait pas de la droite. Ambassadeur à Berlin, André François-Poncet notait que le nazisme s'affirmait comme « d'extrême gauche » et « farouchement révolutionnaire ». Même si le nazisme n'a persécuté que la part juive de la bourgeoisie allemande, il était, comme le démontre George L. Mosse, porteur d'un projet de révolution antibourgeoise et anticapitaliste. François Furet a observé que communisme et nazisme prétendaient offrir « quelque chose comme un salut, en face des misères de l’égoïsme bourgeois ». Par-delà la profonde différence de contenu de ces deux utopies, il s'agissait dans les deux cas de réaliser le paradis sur la terre, et les mêmes mots furent employés pour décrire la société harmonieuse que Ton entendait fonder. Leur commune nature utopique - volonté d'instaurer une société réconciliée et de taire apparaître un homme nouveau - rapproche qu'on le veuille ou non le nazisme et la gauche.

La gauche tout entière est inspirée peu ou prou par l'utopie. Certes, par réalisme, une partie de la gauche peut choisir de rester à mi-chemin de son rêve utopique, mais celui-ci demeure la référence : société réconciliée et humanité changée. L'utopie est la toile de fond de la pensée de gauche. C'est pour cela qu'il n'y a pas de cloison étanche entre le communisme et la gauche dite modérée. Au sein de la gauche, il y a unicité de nature, avec seulement des différences de degré. D'où l'antithèse avec la droite qui est l'anti-utopie.

 

Propos recueillis par Eric Letty monde&vie Juin 2015

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