La stratégie néo-souverainiste me fait penser aux films d'horreur où les protagonistes se séparent tous et sont tués les uns après les autres.
Ne pas confondre les causes et les conséquences
En visant l'UE et non pas le libéralisme, certains confondent les causes et les conséquences. Si le libéralisme a facilité la construction européenne par l’intégration économique et monétaire et l'effacement des frontières, il a aussi, dans le même temps, poursuivi sa logique propre et fragilisé l'UE sur le plan politique puisque pour de nombreux pays il ne s'agit plus depuis longtemps d'adhérer à un projet politique mais à un projet économique. L'UE a effacé – en partie - la souveraineté politique des Etats sans construire véritablement la sienne. Comme une révolution qui n'aurait pas aboutie. Après les phases d'effacement, de déconstruction, il faut toujours une phase de construction. Détruire l'UE permettrait peut-être de reconstituer des nations souveraines mais cela ne détruira en rien le libéralisme. Il s'agira simplement de re-basculer vers des rapports bilatéraux, ce qui aura pour résultat une Europe morcelée, terrain des appétits des grandes puissances impérialistes et des réseaux islamistes. C'est au moment où nous sommes face à des défis communs comme le TAFTA ou l'immigration que nous devrions nous unir. Or c'est tout le contraire qui se produit. Et cela en dit long sur la suite : qu'en sera-t-il d'une politique de « redressement national » qui se fera en concurrence avec nos voisins directs et promouvra la réindustrialisation, l'agriculture productiviste, les grands travaux, etc … ? Qu'adviendra-t-il de « l'écologie patriote » dans ce contexte. Sans oublier le nucléaire, les rapports franco-russe sur le gaz et le pétrole pour les seuls profits de Total et Gazprom ou encore l'exploitation du gaz de couche... Quel avenir radieux... Certains objecteront qu'un ordre national-libéral vaut mieux qu'un chaos libéral continental. Nous devons affirmer qu'ils ont tort. Ils oublient que nous avons affaire au même type de personnels politiques dont les paradigmes sont datés. De nos énarques aux commissaires européens, c'est le même mode de développement basé sur la sacro-sainte croissance infinie et le productivisme qui sont plébiscités.
La division de l'Europe
Jamais l'Europe n'a paru autant divisée que depuis ces dix dernières années. Sur l'€uro, la Russie, la Grèce ou l'immigration, les politiques européens sont incapables d'accorder leurs violons et les réflexes sont à la séparation et au chacun pour soi. En deux mots à « l'égoïsme territorial ». Si le régionalisme divise la nation au profit de l'Europe, alors il faut avoir l'honnêteté d'admettre que le souverainisme national divise l'Europe par rapport aux enjeux mondiaux. Ce n'est qu'un changement d'échelle. Le simple fait que la droite britannique connectée à la City soit hostile à l'Union Européenne devrait interpeller Français et Allemands, tant on sait que la vision géopolitique britannique a toujours été hostile à toute affirmation de puissance continentale.
Les Etats traditionnels ne semblent pas pouvoir apporter une réponse durable aux défis du siècle. Les enjeux civilisationnels sont du domaine des empires. La France ou le Royaume-Uni ont influencé le monde en devenant des empires (dans le mauvais sens du terme, j'en conviens). Ils n'étaient donc plus de simples Etats, mais des puissances impériales. C'est en revenant au stade de simples Etats-nations (Etat multinational limité pour le Royaume-Uni) entre les années 60 et 90, qu'ils ont progressivement perdu leur influence. Les Etats traditionnels sont trop petits pour résister aux logiques globales et trop gros pour s'adapter au réel de façon efficace.
Ce que nous craignons, c'est que les Etats traditionnels n'aient probablement comme vocation qu'à être les pions sur l'échiquier mondial des relations entre empires. On le voit déjà avec le FN qui entame très largement les principes d'indépendance nationale par son tropisme moscovite et démontre par anticipation la difficulté de ces Etats à agir de façon souveraine dans le contexte actuel sans devenir les satellites d’empires. L'Etat-nation, de Gaulle et la Russie comme horizon indépassable, voilà un programme un peu limité et peu en phase avec le contexte actuel. D'autres exemples sont parlant comme le Royaume-Uni ou des états moins forts comme la Grèce, la Syrie ou l'Ukraine dont la survie ne dépend que du bon vouloir de leurs partenaires.
Les deux voies de garage
Deux voies semblent donc se dessiner, un renforcement des liens entre l'UE et les Etats-Unis via les projets euro-atlantiques de type TAFTA ou le morcellement en plusieurs nations souveraines, souvent alliées à la Russie. C'est ce que l’on peut qualifier de « néo-souverainisme ». La troisième voie que nous avions définis au cours d'une émission de Méridien Zéro n'est donc pas tout à fait celle des années 70-80. Il s'agit plutôt pour nous de nous positionner comme une alternative d'un côté face aux alliés des Etats-Unis qui nous vendent pieds et poings liés au libre-échange transatlantique et de l'autre aux néo-souverainistes de « gauche » ou de « droite » qui n'envisagent que le retour à la souveraineté nationale avec le soutien de partenaires étrangers comme la City ou, surtout, le Kremlin. Le FN par exemple a vu dans la victoire de Syriza un signe encourageant quant à son propre avenir alors même que Syriza constitue, pour nous, un danger mortel*.
Ces deux voies sont totalement funestes.
Aux différentes époques correspondent des « tailles critiques ». La Cité-Etat était le modèle de l'antiquité jusqu'à l'époque hellénistique, l'Etat-nation fut un modèle plébiscité au XIXeme et au XXeme siècle, l'empire continental est adapté au XXIeme siècle. Si nous voulons de profonds changements économiques sociaux, écologiques et identitaires, ils ne pourront se faire qu'à l'échelle continentale. Il faut donc faire émerger la troisième voie et mobiliser nos forces non pas pour saborder l'UE mais pour au contraire proposer une alternative. Napoléon a achevé la Révolution française, il est donc dans le sens de l'histoire de réaliser cet imperium sans lequel nous demeurerons au mieux des nains géopolitiques. Sans cet imperium nous serons en incapacité d'effectuer la révolution anthropologique qui doit venir et de l'insuffler au reste du monde.
Jean / C.N.C.
*: je ne résume pas Syriza à Tsipras. Lire ICI ce que nous avons écrit. Syriza joue la division néo-souverainiste, Tsipras a un rôle différent.