Arnaud Guyot-Jeannin est l'auteur de Julius Evola (1997), Aux sources de l'erreur libérale (1999, avec Benjamin Guillemaind), Aux sources de la droite (2000), Aux sources de l'éternel féminin (2001), ouvrages parus aux éditions L'Âge d'homme. Il anime par ailleurs le Libre journal des enjeux actuels sur Radio courtoisie, et l'émission Nos chers vivants, consacrée au cinéma, sur TV Liberté.
Monde et Vie : Arnaud Guyot-Jeannin, pensez-vous que les notions de droite et de gauche aient encore un sens aujourd'hui?
Arnaud Guyot Jeannin : Non, elles n'en ont plus politiquement Marine Le Pen a eu la bonne idée de qualifier « UMPS », le rassemblement des forces alternantes du Système, soit la synthèse du PS et de l'UMP pour les deux premières formations politiques de gauche et de droite. La gauche montebourgeoise et ses « frondeurs » vilipendent l'eurolibéralisme financier, mais sacrifient à la logique de l’immigration, armée de réserve du Capital. De plus, cette gauche « frondeuse » représente une minorité dans l'appareil du PS ! De son côté, le gouvernement « socialiste » - qui ne mérite plus ce nom depuis son ralliement aux valeurs marchandes et au capitalisme de marché dès 1983 - n'illusionne plus les couches moyennes et populaires qui reportent maintenant leurs voix sur le Front national. Ce qui est tout de même une satisfaction !
Quant à la droite UMP, son discours est illisible. Alain Juppé, Nathalie Kosciusko-Morizet ou François Baroin sont des sociaux-démocrates libéraux (sans parler du reconverti libéral pur et dur François Fillon qui provient du gaullisme social séguiniste) se posent en s'opposant à l'aile droite de l'UMP - de ceux qu'il faut désormais appeler « Les Républicains » - incarnée par la droite sarkozyste sous influence buissonnière. Cette dernière peut se prévaloir de défendre les valeurs traditionnelles sur le plan sociétal (la famille, la nation, etc.), mais elle participe à leur destruction par son adhésion au capitalisme mondialisé sur le plan économico-social et a toujours mené une politique cosmopolite et progressiste, une fois en place au pouvoir. Voir 2007-2012 et le quinquennat du prestidigitateur agité Nicolas Sarkozy, apôtre de l'American way of life !
La libre circulation des biens, des capitaux, des services et des hommes contient sa propre cohérence interne au sein du sans-frontiérisme à l'échelle mondiale. La globalisation ne connaît pas les personnes, les communautés et les peuples, mais le taux de profit des multinationales du C AC 40 et autres grands groupes bancaires et financiers.
Si la gauche se caractérise par la foi dans le progrès, comment caractériser la droite ? Au fond, existe-t-elle ?
A. G-J. Elle se caractérise par sa foi dans la tradition, c'est-à-dire dans les racines de l'homme et la civilisation qui se perpétue à travers la transmission de celles-ci. Cette droite traditionaliste d'inspiration légitimiste sourire structurellement d'un déficit d'incarnation sur le plan politico-social de nos jours. Cependant ses valeurs sont toujours valables, plus que jamais elles répondent à la quête troublée des peuples volonté de donner un sens spirituel à sa vie dépressive, désir de préserver son identité ethnoculturelle à tous les échelons du pays contre les ravages du mélangisme anomique, aspiration à réduire les inégalités et à mettre en œuvre une vraie justice sociale contre le capitalisme absolu, à bâtir une Europe de la puissance face à une Europe des marchés à l'œuvre actuellement Retrouver cette « droite essentielle » dont a pu parler Stéphane Riais, demeure l'objectif final pour renouer avec les valeurs aristocratiques et populaires contre les valeurs bourgeoises de notre hyper-modernité parodique.
« Qui dit conservateur dit surtout conservateur de soi-même », a écrit Bernanos. L'homme de droite est-il forcément conservateur ? Et le conservatisme peut-il sauver ?
A. G-J Bernanos avait raison. « Conservateur » est un mot que je répugne à utiliser positivement parce qu'il signifie trop souvent, en France, la défense des intérêts privilégiés de classe les siens propres en l'occurrence. Comme le disait Thierry Maulnier, reprenant une boutade du duc d'Orléans « Conservateur, voilà un mot qui commence bien mal ». En Allemagne, le mot possède une connotation plus traditionaliste. Il vise à perpétuer l'héritage des ancêtres. Le conservatisme peut-être alors assorti du terme « révolutionnaire », dans la mesure ou le rejet du progrès économique et technico-industriel s’accompagne d'un socialisme enraciné et communautaire. Armin Mohler a justement dénommé « Révolution conservatrice », la mouvance des intellectuels Jeunes-Conservateurs, Nationaux-Révolutionnaires, etc., qui émergea après la Première Guerre mondiale outre Rhin, dont le soldatique Ernst Jûnger et l’économiste Werner Sombart représentent des exemple types.
Il est de plus en plus question dans le débat politique d'identité et d'enracinement Finalement, l'enjeu fondamental ne réside-t-il pas dans le choix entre le nouvel ordre mondial et l'enracinement ? Ces notions ne dépassent-elles pas l’habituel clivage gauche-droite ?
A. G-J Il nous faut renouer avec une anthropologie de droite ou traditionnelle fondée sur l'ordre classique et « la politique naturelle » si chère à Maurras, contre l'individualisme narcissique, l’indifférentisme et le matérialisme pratique. Faire communauté en tant que Personnes reliées ! En attendant, la réappropriation de son destin par le peuple doit conduire à l'alliance de toutes les forces politiques, sociales et intellectuelles qui veulent rompre avec le capitalisme prédateur engendrant la paupérisation, la précarité, les délocalisations et l'immigration. La civilisation du travail autonome et salarial aboutit à une asphyxie d'hommes exploités, stressés, déprimés. La société productiviste privilégie le profit sur la vie. Il faut inverser la tendance.
Propos recueillis par Eric Letty
monde&vie juillet 2015