Alexandre Latsa, journaliste, analyste, écrivain et consultant français vivant à Moscou.
Il est de bon ton, dans la bien-pensance européenne et particulièrement française, de dénigrer la Russie. Il est vrai que ce pays, dans sa politique intérieure en infraction totale avec le politiquement correct des 28 européens, se démarque complètement de celles menées par ces derniers.
On le voit tous les jours avec les commentaires accompagnant l’arrivée, pas toujours désirée du grand public, des « migrants » appelés par les journalistes en cour sur un ton très protecteur« réfugiés ». Le Point, sous la plume de Michel Colomès, vient de se signaler en développant l’antienne de la « pitoyable » démographie russe (1).
Alexandre Latsa, contributeur régulier de Polémia et grand connaisseur de la Russie et de son peuple, pour vivre à Moscou depuis de nombreuses années, répond à l’hebdomadaire. On trouvera en notes toutes les références nécessaires à son argumentation.
Polémia
La question de la démographie russe a durant la dernière décennie été l’une des thématiques les plus fréquemment associées à l’effondrement inévitable de la Russie, un effondrement prophétiquement annoncé en 2001 par un Américain vivant et travaillant en Russie (2).
Par inertie et sans doute surtout par manque de recherches sérieuses et documentées, la thèse de l’effondrement démographique du pays s’est répandue au sein du mainstream médiatique et au sein des différents instituts d’analyse stratégiques, hormis l’IRIS qui a publié en 2011 une note d’analyse prévisionnelle à contre-courant mais qui avec le temps s’avère totalement juste (3).
Le catastrophisme accompagnant l’évolution démographique russe a pourtant de façon incompréhensible continué alors même que dès l’année 2000, le nombre de naissances ré-augmentait et que dès 2005 le nombre de décès diminuait.
Le lancement en 2005 d’une grande politique composée d’un volet financier (versements d’allocations importantes) et moral (promotion de la famille traditionnelle et incitation forte à faire des enfants) achevait le renversement de la situation démographique du pays au-delà de toutes les prévisions les plus optimistes.
En conséquence la baisse continue des avortements et du nombre de décès pour causes extérieures (alcools, suicides, accidents de la circulation…) ainsi que la diminution de la mortalité infantile traduisaient l’amélioration des infrastructures médicales et par conséquent la rapide normalisation de la situation sanitaire et démographique du pays. Une normalisation qui n’a visiblement échappé qu’aux « experts » et autres « spécialistes ».
Dans ce contexte, l’article publié dans Le Point ce 27/08/2015 et intitulé : « La Russie un ours dangereux mais malade » semble être extrait de la presse française de 2003 ou 2004 et traduit surtout la forte méconnaissance par l’auteur du sujet qu’il aborde. Celui-ci nous indique en effet que :
- la population de la Russie se monte à 143,5 millions d’habitants mais diminue à une allure record (…) Et devrait diminuer de moitié au cours de la prochaine génération (!) (…) Mais atteindre 80 millions vers 2050 ;
- la hausse constante de la mortalité due à l’alcoolisme et la diminution dramatique des naissances sont provoquées par le manque de confiance des Russes dans l’avenir ;
- l’espérance de vie en Russie est tombée à 63 ans.
La réalité est en fait toute autre et les lecteurs intéressés peuvent trouver de nombreuses analyses documentées à ce sujet ici (4).
Concrètement :
- la population de la fédération de Russie ne se monte pas à 143,5 millions d’habitants, ce qui était sa population en 2013, mais à 146,3 millions d’habitants au 1er janvier 2015 ;
- la population totale de la Russie ne diminue plus depuis 2009 où elle avait atteint 141,9 millions d’habitants. Au contraire elle augmente depuis 2009 et depuis 2012 la population augmente même naturellement et sans l’immigration, le nombre de naissances étant désormais supérieur à celui des décès ;
- la mortalité n’est pas en hausse mais en baisse puisque le nombre de décès annuel est passé de 2,37 millions en 2004 à 1,91 millions en 2014 ;
- la Russie ne connait pas un effondrement des naissances mais au contraire une incroyable hausse puisque le nombre de naissances est passé de 1,2 millions en 1999 à 1,94 millions en 2014. Dans le même temps le taux de fécondité est lui passé de 1,1 à 1,75 enfant par femme soit un taux supérieur à celui de l’Union européenne ;
- la hausse des naissances est précisément survenue durant les années Poutine, traduisant tant l’amélioration du niveau de vie mais aussi des infrastructures que le retour de la morale et de la confiance des Russes dans l’avenir ;
- l’espérance de vie n’est pas de 63 ans mais de 71 ans pour 2015 ;
- l’auteur de l’article semble être le seul à imaginer que la population puisse diminuer de 50% sur une génération pour malgré tout se maintenir à 80 millions en 2050, c’est totalement incohérent.
En réalité les prévisions démographiques les plus sérieuses et qui sont consultables envisagent à ce jour une population allant de 147 à 152 millions d’habitants en 2031 (5).
Quant à l’alcoolisme, problème historique grave en Russie, les indicateurs sont cependant plutôt positifs sur la longue durée. La mortalité par empoisonnement lié à l’alcool est passé de 37,8/ 100.000 en 1994 à 6,5/ 100.000 en 2014 tandis que suicides et homicides connaissaient la même tendance, comme on peut le constater ici (6). Malgré tout la consommation d’alcool joue un rôle direct dans de nombreuses autres causes de décès que sont les homicides, les suicides, les accidents de circulation ou encore les décès pour causes de maladies cardio-vasculaires.
En résumé la situation démographique de la Russie, si elle pouvait laisser imaginer le pire à la fin des années 90, s’est très rapidement normalisée et stabilisée au cours de la dernière décennie comme les lecteurs de Stratpol ont pu s’en rendre compte dans cet article (7) publié en octobre 2014 et qui retrace l’évolution démographique incroyable du pays de la sortie de l’URSS à nos jours.
Une évolution démographique dont contrairement à ce que Le Point prétend, le président Vladimir Poutine se vante régulièrement en confirmant que la bataille démographique est la principale des batailles et le principal succès des autorités russes.
Alexandre Latsa, 28/08/2015
Notes de la rédaction :
(1) « La Russie, un ours dangereux, mais malade » Michel Colomès, Le Point.fr, 27/08/2015
(2) « Russia is finished »
(3) « Déclin démographique russe : la solution sera dans la croissance » Alexandre Latsa – septembre 2011.
(4) « Où en est la démographie russe à la mi-2015 ? »
(5) « Statistiques »
(6) « Evolution des facteurs de mortalité en Russie de 1990 à 2014 »
(7) « Regard sur la démographie de la fédération de Russie » par Alexandre Latsa
http://www.polemia.com/la-russie-un-ours-malade-selon-le-point-de-alexandre-latsa/