Christian Bouchet : Cher Sylvain Roussillon, pourriez-vous nous expliquer ce que fut la Génération Maurras, dans quelles circonstances se créa-t-elle et qui en furent ses participants ?
Sylvain Roussillon : Le terme Génération Maurras est une appellation générique, qui a été utilisée a posteriori pour identifier la flambée militante qu’à connu le mouvement d’Action française (RN – Restauration nationale) de la fin des années 1980 jusqu’en 1992.
La mort de Pierre Juhel, le fondateur de la RN, a semblé sonner la fin du mouvement d’Action française. Pour beaucoup, son successeur, Guy Steinbach, fait d’avantage figure d’exécuteur testamentaire que de successeur. La RN ne s’est en effet toujours pas relevée des blessures infligées par les différentes scissions et départs qui ont rythmé la vie du courant maurrassien depuis une dizaine d’années : la majorité des étudiants et plusieurs personnalités avec la Nouvelle Action française de Bertrand Renouvin, les activistes parisiens et provençaux notamment qui, en réaction, créent avec Bernard Lugan, un éphémère Comité royaliste pour un ordre nouveau qui ira précisément se fondre au sein du mouvement Ordre nouveau, la quasi-totalité des sections et fédérations de province fédérées par Guy Rérolle au sein de la Fédération des unions royalistes de France et, juste après le décès de Juhel, une ultime scission, née en Normandie, entraîne le départ de quelques dizaines de « néo-légitimistes » qui fonderont la Garde blanche.
L’université d’été 1982 de l’AF, le Camp Maxime Real del Sarte, est une catastrophe sur le plan de la faiblesse des effectifs mobilisés (une dizaine de militants) et le mouvement semble alors à l’agonie.
Pourtant, des embryons de sections fonctionnent à Rouen, Bordeaux, Besançon et à Rennes autour de Jean-Philippe Chauvin. Par ailleurs, la RN reçoit le ralliement du Mouvement royaliste français un mouvement né des débris de la FURF et d’une dissidence des amis de Renouvin, le COPCOR. Le principal apport du MRF consistant en son groupe étudiant de Paris II-Assas, le Cercle Jacques Bainville.
C’est dans ces conditions qu’une section voit le jour en 1983 à Dijon. Lycéen à l’époque, j’en fus le fondateur et le promoteur, rassemblant péniblement des individualités et des énergies éparses. Notre force fut très probablement à l’époque d’avoir été presque complètement coupés des instance nationales et de tout autre groupe. Cet isolement nous autorisa un développement original, tant sur le plan intellectuel que sur celui des pratiques politiques. Isolés et sans moyens, nous fûmes obligés de trouver seuls les ressources humaines, matérielles, financières et militantes qui nous manquaient. Laissés sans consigne du « national », sans instruction, sans directive, et assez peu désireux d’en recevoir il faut l’avouer, nous avons mis en pratique un empirisme organisateur à notre sauce.
En l’absence d’un journal étudiant, nous avons ainsi pu créer le nôtre dès 1984,Le Feu-Follet. Certes nous y développions des thématiques maurrassiennes et d’AF, mais nous découvrions ensemble Evola, Guénon, von Salomon, Junger, Niekish, José-Antonio, Sorel, le cercle Proudhon, Gramsci, les situationnistes…
Doté d’un local que nous financions grâce à une cotisation volontaire récupérée auprès des lycéens et étudiants qui bossaient durant leurs vacances, disposant de notre propre matériel d’impression, sponsorisés parfois par quelques anciens qui appréciaient manifestement cette indépendance, nous n’avons pas tardé à engranger les succès. Les grèves étudiantes et lycéennes qui éclatèrent en 1987 notamment, nous pûmes constater les progrès réalisés en quelques années : aucun des trois plus grands lycées de Dijon, Carnot et Montchapet (publics) et Notre-Dame, ne rejoignit le mouvement. La gauche fut défaite en fac de Droit, en Médecine et, après un sévère affrontement physique, en Pharma. Nous nous payâmes même le luxe de contre-attaquer en Lettres. Lors des élections universitaires qui suivirent immédiatement ces incidents les listes Action française étudiante enlevaient plus de 20% des suffrages en fac, avec des pointes en Droit, Médecine, Pharma et Histoire et même un étonnant 2,76% (compte tenu de l’étiquette et du profil de la spécialité) en Psycho…
Je me souviens d’un article de Libé paru à l’époque dans un style « focus sur la province » et donnant la parole au responsable du club de la LDH à Carnot expliquant, désabusé, que dans ce lycée, le « débat politique se réduisait désormais à un affrontement entre les militants de l’AF et du FN, et dont les premiers sortaient toujours gagnants ». Il faut d’ailleurs souligner que c’est cette même année 1987 que nous lançâmes un journal d’AF spécifiquement lycéen,Insurrection, sorte de fanzine mensuel dont le tirage oscillait entre 500 et 1.500 exemplaires. Notre implantation dans les lycées s’en trouva sans conteste renforcée. Au début de l’année 1988, l’UNEF-ID et les trotskistes lambertistes qui la dirigeaient vinrent négocier une trêve avec nous.
Année du « Millénaire Capétien », 1987 fut aussi pour notre section l’année où nous sortîmes définitivement de notre isolement protecteur mais réducteur. L’un des nôtre, et non le moindre, Nicolas Portier fut en effet nommé au poste de Secrétaire général étudiant. Il s’entoura assez rapidement d’une équipe issue de sa section d’origine, Guytos (pseudo) au Service d’ordre, Marie-Françoise Poisier aux moyens logistiques, moi-même chargé de mettre en place une structure spécifiquement lycéenne, l’Action française lycéenne (AFL). Le Feu-Follet fut promu au rang de journal national des étudiants d’AF tandis qu’Insurrection se voyait réservé le même sort, avec une variante, puisque le journal lycéen disposa de près d’une dizaine d’éditions locales. Le groupe dijonnais pu travailler en s’appuyant sur les éléments les plus dynamiques qui existaient en Ile-de-France, le CJB de Paris II-Assas, la section de la Sorbonne, celle du XXème arrondissement, et bientôt Versailles.