Face au grand assaut de la sottise contemporaine, certains rares auteurs décriés nous apprennent quand même pas mal de choses et on les consulte avec intérêt. Le mot plaisir serait sans doute excessif, car il évoque une préoccupation commune, qui relève hélas plutôt de la douleur, s'agissant du déclin de la France. Leurs adversaires, autruches ne voulant pas voir la réalité ou cherchant à la maquiller, ont inventé à ce sujet le terme de "déclinisme". Le suffixe semble suggérer qu'ils sont des partisans du phénomène, ou, au moins des spécialistes se complaisant dans leur observation.
Encore ce 8 septembre Nicolas Baverez, l'un des plus percutants d'entre eux intervenait ainsi sur Radio Classique pour y développer des analyses économiques qui paraissent fort justes, dénonçant les erreurs dans lesquelles à nouveau s'engouffre à nouveau notre lamentable président.
On se demande pourquoi, cependant, cet intervenant, trop rare et si pertinent dans les domaines économiques et juridiques qu'il connaît si bien, et qui exerce en ville, si ma mémoire est bonne, la profession d'avocat à la cour, est présenté pour "historien". Rien dans son propos ne s'attache pourtant à la connaissance proprement "historique".
De cette discipline, au rebours des sciences expérimentales, de cette "science des faits qui ne répètent pas" disait Paul Valéry, les enseignements mériteraient d'être tirés. À partir des événements du passé, quand on les a explorés, avec prudence sans doute car ils ne réapparaissent jamais vraiment à l'identique, on peut retirer d'importantes leçons.
De manière discrète mais forte elle nous écarte de ce que Milton Friedman appelle le "modèle naïf", lequel nous incite à croire que "ce qui s'est passé récemment se reproduira constamment". Trop de gens parlant des faits économiques sous l'influence de ce modèle naïf, le regard historique se révèle indispensable.
Sous le regard de l'Histoire, le déclin de la France remonte bien avant l'avènement de gens comme Giscard, Chirac ou Hollande, si négatifs que soient leurs bilans.
Ainsi a-t-on évoqué ces jours derniers, autour du 1er septembre, au gré du 300e centenaire de la mort de Louis XIV (1638-1715), son règne interminable et monumental, le plus long de l'Histoire, au cours duquel le royaume s'est agrandi de territoires "d'étranger effectif" semant hélas le germe des antagonismes futurs.
Or, si l'on peut à bon droit considérer le XVIIe siècle comme le Grand Siècle de la France, on ne doit pas oublier qu'il a connu trois règnes et deux régences, et que les grands auteurs littéraires doivent au moins autant aux temps de Louis XIII et de Mazarin qu'à cette période de lent déclin où la Cour fut installée et le pouvoir centralisé à Versailles, officiellement à partir de 1682.
La grande continuité de l'époque tient certes au régime monarchique. Sans celui-ci, sans la maison de Bourbon, l'éclosion d'une forte civilisation française n'aurait sans doute pas été possible. Mais plutôt que par les souverains eux-mêmes elle fut impulsée par une suite quasi providentielle des grands ministres : successivement Sully, (de 1596 à 1611), puis Richelieu (de 1624 à 1642) puis Mazarin (de 1642 à 1661) puis Colbert (de 1661 à 1683).
Le gouvernement personnel de Louis XIV n'est brillant que pendant 22 ans, grâce à la gestion de Colbert, ce qui fait décrier au stupide duc de Saint-Simon, seulement talentueux en littérature ce qu'il appelle un "règne de vile bourgeoisie". Colbert mourant en 1683, l'entente avec l'Angleterre étant rompue à partir de 1688, par le soutien de la France aux prétendants stuartistes, aucun budget du royaume ne sera plus en équilibre pendant 30 ans. Le roi ne l'ignore pas en 1715 qui reconnaît lui-même avoir"trop aimé la guerre et les bâtiments".
Si l'on compare les deux royaumes de France et d'Angleterre, cette dernière connut aussi une véritable catastrophe en 1776 avec sa défaite face aux colonies insurgées d'Amérique. La situation de ses finances est à ce moment devenue désastreuse. Contrairement à une idée reçue, le Royaume Uni était alors plus endetté que la France de Louis XVI. (1)⇓
On ne doit pas tenir pour fortuite la publication, en cette même année 1776, de "La Richesse des nations" par Adam Smith car c'est bien la doctrine et la forme de pensée qu'inaugure ce livre qui assurera sur 20 ans la reconstruction de la puissance britannique. La principale force qui permettra la victoire sur Napoléon, le triomphe de Wellington était surnommée d'abord la "cavalerie de Saint-Georges" qui financera les coalitions.
Cette notion est évidemment détestée par nos bons esprits, vérité délibérément tenue pour odieuse dans un pays comme la France. (1)⇓
Cela n'empêche que, de tout temps, les peuples sensés moissonnent avant que leurs armées ne partent en campagne.
Chancelier de l'échiquier en 1782 à l'âge de 23 ans puis principal ministre après l'élection en 1783, William Pitt le Jeune se récalami de la doctrine d'Adam Smith. Il voulait la paix et n'entra dans la guerre européenne, déclenchée par les révolutionnaires français, qu'en janvier 1793, après qu'a été connue à Londres la mort de Louis XVI. Il est lui-même mort en 1806, trop tôt donc pour voir la victoire anglaise de 1815, à la préparation de laquelle il avait tant contribué.
Car c'est d'abord la richesse des nations qui, n'en épaisse aux lecteurs de Saint-Simon, et à beaucoup d'artistes et de spirituels que j'ai tant aimés, que j'aime encore d'ailleurs, ce sont bien les "ères de vile bourgeoisie" qui assurent la puissance, la liberté et le bonheur des peuples. Telle est du moins ma conviction.
JG Malliarakis
Apostilles
- Lire à ce sujet Florin Aftalion "L'Économie de la révolution française" coll. Pluriel/Hachette, réédité aux Belles Letttes ce qui infirme largement la thèse de l'endettement de l'Ancien Régime comme cause essentielle de la révolution française.⇑
- où l'on retient Marignan pour la date significative du règne de François Ier au lieu de s'intéresser aux innombrables conséquences de la bataille, moins glorieuse, de Pavie.⇑