En 1983, le jeune rouennais Emmanuel Ratier, passionné de journalisme, et installé à Paris, était entré à l'hebdomadaire Valeurs Actuelles, alors dirigé par le sénateur Raymond Bourgine. Il y accomplissait le stage de deux années, exigé pour être considéré comme titulaire à part entière de la carte professionnelle. Il eut l'occasion de me rencontrer, afin de l'appuyer pour une démarche, aux fins d'un entretien de presse, avec un homme politique du moment.
En principe, il n'avait pas besoin de moi. Mais le politicien qu'on lui demandait de rencontrer refusait tout contact avec Valeurs Actuelles, en raison de profondes divergences l'opposant à R. Bourgine. Charles Pasqua, récalcitrant à l'interview, était alors président du groupe RPR au Sénat, où Raymond Bourgine siégeait également. Le contexte de l'époque, deux mois après la prise de pouvoir par F. Mitterrand et les socialo-communistes, était tendu, la droite commençait à relever la tête. Militant nationaliste jusque-là, je m'étais rapproché du RPR, après une longue hésitation, me disant que « la guerre (d'Algérie) était finie ». Je me doutais que C. Pasqua avait joué un rôle trouble du côté des barbouzes, tout en ne disposant pas d'informations très précises. Néanmoins, je participais à certaines actions contre la gauche, encouragées par ses soins.
Emmanuel le savait. Il m'informa de la difficulté à obtenir un rendez-vous de la part du "président", comme on qualifiait C. Pasqua à l'époque. Au cours de notre échange de propos, je montrais au stagiaire de VA. une brochure posée sur mon bureau, je l'ouvris et lui indiquais une page concernant la France, et plus spécialement la Provence. Il s'agissait d'un document officiel nord-américain, édité par le Congrès des Etats-Unis, traitant du trafic mondial de drogue, que je m'étais procuré à Washington. On s'y intéressait à la drogue produite au Liban, entrant en Europe par Marseille, où elle était transformée dans un laboratoire spécialisé de la banlieue. A ce sujet, une firme locale de spiritueux était mentionnée, ainsi qu'un de ses anciens dirigeants, directeur export, au début des années 1960. Il s'agissait de C. Pasqua, alors directeur export de Ricard.
Sa fidélité s’appelait courage
Peu après, en insistant auprès de familiers du "président", je parvins à obtenir l'interview recherchée, qui se déroula sans problèmes. Je ne pensais plus à l'article projeté, lorsque, au début de l’après-midi, le téléphone sonna. Un ami me conseilla fortement de prendre connaissance du numéro venant de paraître de VA., sans plus de précisions. Etonné, je me rendis au plus proche kiosque. Feuilletant la publication, je fus estomaqué. Accompagnant l'entretien, des éléments biographiques du "président" l’accompagnaient. Dont le passage du rapport américain que j'avais autorisé Emmanuel à photocopier.
La colère du sénateur RPR fut homérique. Je fus sévèrement tancé pour avoir sollicité la réception d'Emmanuel. C. Pasqua expédia une lettre à R. Bourgine, exigeant le renvoi d'Emmanuel. Le numéro suivant de VA. publia la missive du responsable RPR, avec un commentaire du directeur de VA., au nom de la liberté de la presse. Et Emmanuel figura aussitôt dans l'ours de la publication, comme les rédacteurs de longue date, honneur exceptionnel pour un stagiaire.
A cette occasion, j'avais découvert le courage moral et physique d'Emmanuel Ratier, dont j'eus d'autres preuves par la suite. Il avait défié un personnage entouré d'individus aux procédés extra-légaux, souvent percutants, sans une hésitation. Jamais il ne céda à l'intimidation. Ces deux dernières années, sa librairie avait été attaquée par deux fois par une bande d'extrême-gauche, bien connue de la police parisienne. Imperturbable, il avait poursuivi son combat, comme durant toute sa vie. Je tiens à le souligner, car les commentateurs de l'idéologie dominante le présentent maintenant en individu timoré, édulcorant ses textes, afin de ne pas être classé par eux comme "extrémiste" Emmanuel n'a jamais transigé avec la vérité, le devoir d'information et de militantisme intransigeant a toujours été sacré pour lui.
Nicolas Tandler Rivarol 3 mars 2015