Quelques jours seulement après les attentats sanglants (et séismiques sur le plan médiatique partout dans le monde), la horde d'intellectuels stipendiés depuis trente ans en Occident (en particulier en France et en Allemagne) a fait fumer la plume pour recadrer le débat sortant des braises toutes chaudes du Bataclan et de ses environs. Sans surprise, Finkielkraut a ouvert le bal avec le cosmopolite fier de lui, Edgar Morin, et tous les autres que nous ne connaissons que trop bien (Jurgen Habermas, Bruno Latour, Marek Halter...) tous certifiés conformes, tous issus du même creuset, partageant tous les mêmes origines et qui se partagent le monde des idées comme les chirurgiens esthétiques les nez et seins à remodeler. L'objectif est multiple : ratisser l'ensemble de la clientèle, en vendant en passant un maximum d'articles, de tribunes, de livres, de conseils d'initiés, pour lui transmettre l'essentiel de la pensée qu'elle doit digérer et adopter afin que le monde poursuive son évolution comme le souhaitent leurs amis et commanditaires.
L'astuce consiste à proposer à la clientèle trompée par les artifices rhétoriques des discours de nos intellectuels, une même grande vision du monde, une même ligne directrice et le même horizon. C'est un cirque où font mine de se chamailler les professionnels de la doxa sur des points secondaires mais qui défendent tous le même grand projet et désignent chacun leur tour ou en chœur dans les moments de crise le même ennemi. Un Finkielkraut va déguiser cette pensée profonde avec une broderie sur l'identité, sur la France des cafés en noir et blanc.
Les postures patriotardes et dérisoires de Sarkozy et de Hollande
À ce propos, l'on peut considérer la nouvelle « France de toujours » de Sarkozy l'Américain qui imprègne son nouveau discours pré-électoral et de l’après-attentat comme un habillage emprunté à la terminologie finkielkrautienne. Du marketing, toujours du marketing pour émouvoir le Français qui persiste à croire à ce qu'il veut croire devant son poste de télévision ou l'écran de son cinéma. Finkie et Sarko jouent la partition "Nostalgie" pour séduire la France fatiguée, émue, anxieuse : Amélie Poulain à portée de main avec les agitateurs républicains ! Après toutes ces émotions, le sang des innocents qui empêche bobonne de dormir et de retrouver sa vie "d'avant", il lui faut sa madeleine de Proust. Mais les belles paroles, les signaux affectifs ne sont que fioritures comme en témoigne toute l'histoire politique française depuis 70 ans, et ce n'est pas rien. L'amour surjoué pour « la France de toujours », ça marche sur le plan électoral ; c'est la seule chose qui compte et qui est comptée. Un Sarko qui rejoue la partition du droitier décomplexé pourfendant l'héritage nauséabond de Mai-68 et la pusillanimité d'un pays qui a badiné avec les valeurs républicaines (sic).
Dernière épithète qui en dit long sur l'ineptie de son discours, du moins sur son ambivalence et, assurément, sur l'hypocrisie du personnage comme sur celle de tous les politicards éhontés. Un élément de son allocution (tenue à Schiltigheim, près de Strasbourg, le 25 novembre) illustre toute cette mascarade. Un aveu de la malfaisance essentielle du régime républicain. Prônant pour l'instant, par décence, dira-t-on, l'union nationale, Sarko légitime, en creux, la lutte incessante entre les partis et même les mauvais coups, les traquenards partisans, bref la guerre intestine, la guerre intranationale permanente. « Quand la France est attaquée, a-t-il déclaré, quand les Français sont menacés, il ne saurait être question de partis, de camps, d'ambitions personnelles. » Cet imbécile ne peut-il pas comprendre que ce sont ces ambitions personnelles, cet orgueil, cette vénalité, ces partis, cette compétition électorale, ces égoïsmes acceptés comme tels et comme des valeurs républicaines qui constituent la grande source de tous nos maux ? La légitimité d'un État, fruit d'un régime politique spécifique, ne réside-t-elle pas dans sa volonté permanente de protéger ses citoyens et dans l'efficacité de ses actions ? Or, et nous l'avons signifié dans RIVAROL il y a deux semaines, un État qui ne protège pas de l’ennemi extérieur ou intérieur la Nation, est un Etat illégitime, un parasite dont la fonction réelle devient plus évidente aux yeux du peuple enfin meurtri : celle de servir les intérêts de l'Autre, de l'Etranger. Tant que la pente de la décadence reste régulière, tant que le peuple s'engourdit sans trop souffrir, le parasitisme de l'Etat se poursuit et s'accentue tranquillement, mais lorsque le sang se répand et que le choc est violent, le peuple ahuri exige soudainement une sécurité dont il ne jouit plus depuis des lustres.
Ces attentats atroces sont le révélateur de l'incurie d'un Etat qui n'en est plus un. II reste, en-deçà de ce spectre, une administration, des symboles vides mais l'Etat, lui, est dévitalisé et décérébré. Il est un zombi dirigé par des forces étrangères. Finkielkraut, de son côté, peut bien se rendre intéressant en osant affirmer que nous assistons avec le 13 novembre à un événement qui marque « la fin de la fin de l'Histoire » (on entendit la même chose aux États-Unis après le 11-Septembre), car pour ce qui est de l'Hexagone, rien ne change, rien n'a changé : il s'agit toujours de la même histoire qui l'a menée à sa fin. Le minuscule président Hollande lança à ce propos la même fadaise dans son discours du 27 novembre aux Invalides. Pour lui aussi, le 13 novembre signe la fin de la fin de l'histoire après la fin de la fin de l'histoire du 11-Septembre. Cela signifie-t-il que les Américains sont des précurseurs, des gens qui ont ouvert les yeux avant les Français, 14 ans avant les Français, qui ont compris près de 3 lustres avant les Français que l'histoire avait retrouvé le cours de son histoire en 2001 ?
Finkielkraut, nouvel héraut du renouveau historique
À l'instar de Glucksmann, Finkielkraut est simplement un agitateur néo-conservateur qui utilise des concepts philosophiques pour défendre une politique internationale rigoureusement atlantiste. Son prétendu patriotisme, son identité de Français des cafés enfumés de Gitane Maïs, ne pèsent pas bien lourds devant ses préoccupations internationales et communautaires. Glucksmann, quant à lui, avait défendu et soutenu Nicolas Sarkozy pour que ce dernier agisse en tant que sioniste là où ses maîtres lui ont en effet désigné les bonnes cibles, en Libye en particulier. Glucks n'a jamais été le laudateur d'un Sarko qui prétendait laver les banlieues (si ce n'est de ses membres antisémites) et qui disait souhaiter défendre une France riche de ses identités historiques.
Glucksmann aura, lui, raté cette grande fête de l’instrumentalisation patriotique consécutive aux attentats du Vendredi 13, et nous en entrevoyons les prémices avec les petits drapeaux tricolores agités et la Marseillaise braillée à tout-va ! Il y a quelque chose d'écœurant et d'inquiétant dans cette propagande. En premier lieu parce qu'elle est orchestrée par des antipatriotes notoires qui espèrent un soutien populaire dans le but de poursuivre tranquillement la participation forcée de notre pays (avec son argent, avec ses hommes, avec son sang) dans des opérations qui le ruinent au profit des parasites, bonimenteurs élus, et surtout de leurs commanditaires qui dirigent réellement la tête de notre pauvre nation par leurs biais. Bref on nous prépare une petite guerre patriotique, non parce que nos élites ont des ambitions françaises mais parce que l’épithète "patriotique" est la plus à même aujourd'hui de séduire la populace. La méthode charliesque ayant fait pschitt une fois l'émotion passée, le thème de la liberté d'expression n'ayant pas mobilisé le bon peuple, "on" se dit peut-être que le patriotisme pourrait mobiliser davantage, notamment de nouveaux soldats excités à l'idée de canarder du barbu dans une zone semi-désertique pour sauver la France comme les petits Etats-Uniens l'étaient au lendemain du 11-Septembre à l'idée de zigouiller de l'Afghan puis de l'Irakien innocent pour défendre l’Amérique.
La France de plus en plus engagée dans a cause néo-conservatrice
On ne peut évidemment comparer la situation française à celle qu'ont connue les États-Unis d'Amérique à ce moment-là (il existe une différence d'intensité remarquable) mais il est évident que la France est de plus en plus engagée, à sa mesure, dans la cause néo-conservatrice et le patriotisme bling bling est l'un des tréteaux de son succès ou du moins de son acceptation relative chez nous. Ainsi, l'on comprend que l'assertion de François Hollande sur les deux fins de la fin de l'histoire (les yeux se dessilleraient successivement devant la fin de la fin de l'histoire qui est bel et bien unique ou apparaît enfin comme unique pour les esprits clairvoyants. L'avènement de la fin de la fin, c'était bien le 11-Septembre, concluent-ils ainsi) n'est pas une maladresse mais l'expression d'un alignement complet, politique, intellectuel et moral sur la ligne néocon. C'est la revanche de Finkielkraut ! Non celle de la nation qui ne connaît pas qu'un seul ennemi, mais celle d'un État confédéré si l'on peut encore utiliser cette expression "historique" maurrassienne. Il y a quelques jours était publiée une nième interview de Finki, une interview croisée (avec un second couteau de notre Intelligentsia) comme notre philosophe en fait tous les deux jours dans le média de son choix. Là, dans la revue Challenges, l'auteur de La seule exactitude, homme que l'on pourrait qualifier de juif pessimiste, a croisé le fer avec son ami Alain Minc, écrivain mondialiste sans complexe que l'on pourrait qualifier de juif optimiste. Leur distinction idéologique est simplement, en effet, une affaire de tempérament. Comme Alain Minc, Finkie affirme que « par la multiplication des attentats, l’État islamique veut provoquer des réactions violentes et déclencher une guerre civile en France ». Minc ne croit pas en l'efficacité de cette méthode terroriste, ni à la guerre civile d'une manière générale. Finkielkraut, lui, s'inquiète. « Ce serait tomber dans le piège qu'il (Daech) nous tend que d'incriminer l'ensemble des musulmans de France. Il ne faut pas se lasser de le répéter (car il a peur de la contagion, laisse-t-il penser) : nombre d'entre eux se sentent pris en otages par les terroristes du califat. » Et l'intellectuel tourmenté de désigner le mal : « Mais notre ennemi, ce n'est pas seulement l'Etat islamique, c'est l'islamisme, et l'on ne réglera pas à Raqqa le problème posé par Molenbeek, Roubaix ou les quartiers nord de Marseille. » Ce n'est pas suffisamment clair ?
Prétendre que les Français elles Juifs sont dans le même bateau !
La prose de Finkielkraut est plus limpide quand on la met en perspective avec les propos qu'il a tenus le 18 novembre lors d'une conférence au sein de la Synagogue du IXe arrondissement de Paris en compagnie de son copain faussaire, le rabbin cow-boy Gilles Bernheim, devant 500 personnes triées sur le volet et super sécurisées. Pour Alain Finkielkraut, « Juifs et Français » (une distinction opérée par le site sioniste L'Arche qui a fait un petit papier sur ces deux vedettes de la communauté et leur discours à la Victoire) sont désormais dans le même bateau : ils doivent faire face à la renaissance de la judéophobie et à une francophobie de plus en plus agressive à l’intérieur même du pays. Le guetteur inquiet conclut : « Je crains que les Juifs un jour n’aient plus leur place. » C'est du moins ce qu il redoute « si on entrait dans une société post-nationale sous le règne de la diversité et de l’égalité » Il faut toujours écouter Tonton Alain lorsqu’il professe en comité restreint, c’est très instructif.
La démonisation de la cause palestinienne et la sacralisation de l’entité sioniste
L'Arche et le Fonds Social Juif Unifié (qui est lié au CRIF d'une manière étroite) sont des structures qui relaient la parole autorisée. Membre néo-conservateur de L'Oratoire (créé après le 11-Septembre, tiens, tiens !) et du B'nai B'rith, ancien président de la commission d'études politiques du CRIF (dont il est une importante figure), Jacques Tamero vient de publier une longue tribune dans le Figaro intitulée Le Djihad, un crime contre l'humanité ? Un papier guerrier qui précise peut-être les propos d'un Finkielkrâut. « Depuis le 11-Septembre 2001 l'islam radical a déclaré la guerre au monde. Depuis Daniel Pearl, combien faudra-t-il d'autres journalistes assassinés, d'autres têtes coupées pour que les juristes qualifient les crimes de cette barbarie ? Combien d'autres mécréants, combien d'autres infidèles, combien de "croisés" et combien de juifs vont être assassinés au nom de l'islam ? Combien d'autres adolescents israéliens vont être assassinés pour que l'on comprenne qu'il s'agit d'une barbarie identique ? Les uns font ça au couteau, les autres à la kalachnikov. Les uns découpent, les autres se font exploser dans des arrêts de bus ou des cafés. Les uns sont plus artisanaux tandis que les autres sont plus modernes. Pourtant les uns envoient sur Facebook les images de leurs performances alors que les autres cherchent à les dissimuler et pourchassent les journalistes qui pourraient en témoigner. Les uns sont les disciples du nouveau Calife de l’État islamique en Irak et au Levant, les autres sont disciples du Hamas. » Ou quand la démonisation absolue de l'islamisme, voire de l'Islam, ne sert que les intérêts de Tel Aviv et vise à délégitimer et à diaboliser la cause palestinienne. Avec Tamero, il faudrait criminaliser les revendications politiques défendues par des acteurs islamistes. Toutes revendications liées d'ailleurs selon lui au Djihad qu'il faut dès maintenant considérer comme « un crime contre l'Humanité ».
« Le djihad (tel qu'il est invoqué et pratiqué par certains groupes islamistes) s'inscrit dans cette définition pénale du crime contre l'humanité. Inscrire le djihad dans la catégorie des crimes contre l'humanité constituerait déjà un fort coup de semonce contre tous ceux qui habillent leurs crimes du masque d'une différence culturelle. Aucune religion ne saurait se prétendre telle si elle devait servir d'alibi de la barbarie a estimé le président Obama. Le dire haut et fort, au nom de principes universels, permettrait de foire un tri entre ceux qui partagent cette idée d'un universel commun pour une humanité commune et ceux qui refusent cette idée d'une communauté humaine acceptant des règles obéissant à des lois universelles. » Cette mauvaise foi a toujours été particulièrement nauséabonde. Surtout, cette instrumentalisation des droits de l'homme, de l'universalisme, de l'humanisme. Surtout lorsqu'elle est le fait de fanatiques tribaux prêts à légitimer toutes les violences pour glorifier une entité colonisatrice et criminelle. Le toupet, la malhonnêteté intellectuelle, les pièges dialectiques, la sidération, le chantage à l'humanisme, les mensonges qui font tant de mal sont décidément les stigmates de leur république comme de leur entité.
François-Xavier Rochette. Rivarol du 3 décembre 2015