« Le déclin de l’Occident », selon la conception de son auteur, est reconnaissable à deux caractéristiques importantes : en premier lieu, le développement pathologique de tout ce qui est activisme ; en second lieu le mépris des valeurs de la connaissance intérieure et de la contemplation.
Par connaissance, ce critique n’entend pas rationalisme, intellectualisme ou jeux prétentieux de lettrés ; par contemplation, il n’entend pas séparation du monde, renoncement ou détachement monacal mal compris. Bien au contraire, connaissance intérieure et contemplation représentent les formes les plus normales et les mieux appropriés de la participation de l’homme à la réalité supranaturelle, suprahumaine et suprarationnelle. En dépit de cet éclaircissement, à la base de cette conception, il y a une prémisse inacceptable pour nous. Car il est tacitement sous-entendu que toute action dans le domaine matériel est limitante et que la plus haute spiritualité n’est accessible que par des voies autres que l’action.
Ce point de vue est influencé par une conception de la vie, essentiellement étrangère à l’esprit aryen, pourtant si profondément enraciné dans le mode de penser de l’Occident christianisé qu’on le retrouve jusque dans la conception impériale dantesque. L’opposition entre action et contemplation était totalement inconnue des anciens Aryens. Action et contemplation n’étaient pas conçues comme les deux termes d’une opposition. Elles désignaient seulement deux voies distinctes pour la même réalisation spirituelle. En d’autres mots, on pensait que l’homme pouvait dépasser le conditionnement individuel et participer à la réalité supranaturelle non seulement à travers la contemplation, mais aussi à travers l’action.
Si nous partons de ce point de vue, il faut évaluer d’une manière différente le caractère de progressive déchéance de la civilisation occidentale. La tradition de l’action, typique des races ariano-occidentales, a cependant progressivement déviée. Ainsi l’Occident moderne en est-il arrivé à ne plus connaître ni considérer qu’une action sécularisée et matérialisée, sans aucun point de contact transcendantal ─ une action désacralisée qui devait fatalement dégénérer en agitation et passion pour se résoudre dans l’action pour l’action ; ou bien une action uniquement liée à des effets conditionnés par le temps. Certes, une action conçue dans ces termes ne peut avoir pour pendant, dans le monde moderne, les valeurs ascétiques et authentiquement conteplatives, mais seulement une culture fumeuse et un credo terne et conventionnel. Tel est notre point de repère pour aborder la situation.
Si seulement le mot d’ordre de tout mouvement de renouveau est : « revenir aux sources », alors il est indispensable de reprendre conscience de la conception aryenne primordiale de l’action. Cette conception doit « agir », transformer et évoquer dans l’homme nouveau de bonne race des forces vitales. Et c’est justement dans la pensée du monde aryen primordial que nous voulons, aujourd’hui, faire un bref excursus, afin de remettre en lumière certains éléments fondamentaux de notre tradition commune, et en particulier le sens du combat, de la guerre et de la victoire.
Bien entendu pour l’antique guerrier aryen la guerre correspondait à une lutte éternelle entre les forces métaphysiques. D’un côté il y avait le principe olympien de la lumière, la réalité ouranienne et solaire ; de l’autre, la violence brute, l’élément titanico-tellurique, barbare au sens classique, féminin-démoniaque. Le thème de ce combat métaphysique revient sous mille formes dans toutes les traditions d’origine aryenne. Tout combat, au sens matériel, était toujours vécu avec la conscience plus ou moins grande qu’il n’était qu’un épisode de cette antithèse. Or, de même que l’aryanité se considérait comme la milice du principe olympien, de même les anciens Aryens éprouvaient le besoin de ramener à ce point de vue la légitimation ou la consécration suprême du droit au pouvoir et de la conception impériale, mettant ainsi en évidence leur caractère antiséculier.
Dans l’image du monde traditionnel toute réalité devenait symbole. C’était valable pour la guerre, même du point de vue subjectif et intérieur. Ainsi guerre et voie du divin pouvaient se fondre en une seule et même entité.
Nul n’ignore les témoignages significatifs que nous offrent les traditions nordico-germaniques. Toutefois il convient de signaler que ces traditions, telles qu’elles nous sont parvenues, sont fragmentaires et mélangés, ou ne représentent que la matérialisation des plus hautes traditions aryennes primordiales, rabaissées souvent au niveau de superstitions populaires Ce qui ne nous empêchera pas d’en fixer certains motifs.
Avant tout, il ne faut pas oublier que le Walhalla est le siège de l’immortalité céleste, réservé principalement aux héros morts sur le champ de bataille. Le seigneur de ces lieux, Odin-Wotan, est présenté dans la Ynglingasaga comme celui qui, par son sacrifice symbolique à l’Arbre cosmique Ygdrasil, a indiqué la voie aux guerriers, voie qui conduit au lieu divin où fleurit la vie immortelle. Car, selon cette traduction, nul sacrifice ou culte n’est aussi agréable au dieu suprême, nul ne reçoit de plus riches récompenses dans l’autre monde, que celui qui s’offre en mourant sur le champ de bataille. Mais il y a plus : derrière l’obscure représentation populaire du Wildes Heer se cache cette signification : grâce aux guerriers, qui tombant offrent un sacrifice à Odin, s’augmente la troupe de ceux dont ce dieu a besoin pour l’ultime combat contre le ragna-rökkr, le fatal « obscurcissement du divin », qui depuis les temps les plus reculés pèse, menaçant, sur le monde. Jusqu’ici le motif aryen de la lutte métaphysique est clairement mis en lumière. Dans l’Edda d’ailleurs il est dit : « Pour aussi grand que puisse être le nombre des héros rassemblés dans le Walhalla, il n’y en aura jamais assez quand le Loup se précipitera ». Le Loup représente ici l’image des forces obscures et sauvages qu’Odin, dans le monde des Ases, avait réussi à enchaîner et à soumettre.
La conception aryano-iranienne de Mithra, le « guerrier sans sommeil » qui, à la tête des Fravashi et de ses fidèles, livre bataille aux ennemis du Dieu aryen de la lumière, est tout à fait analogue. Nous parlerons un peu plus loin des Fravashi et comparerons leur ressemblance avec les Walkyries de la tradition nordique. D’autre part, nous voudrions encore éclairer le sens de « guerre sainte », à travers d’autres témoignages concordants.
Il ne faudra pas s’étonner si nous nous référons surtout à la tradition islamique. La tradition islamique est ici à la place de la tradition aryano-iranienne. L’idée de « guerre sainte » ─ du moins en ce qui concerne les éléments que nous examinons ici ─ fut transmise aux tribus arabes par la civilisation perse : elle était donc la renaissance tardive d’un héritage aryen primordial, et, à ce point de vue, on peut l’utiliser.
Ceci dit, on distingue dans cette tradition, deux « guerres saintes » : la « grande » et la « petite guerre sainte ». Cette distinction se fonde sur un hadîth du Prophète qui au retour d’une expédition guerrière affirma : « Nous sommes revenus de la petite guerre sainte à la grande guerre sainte ». Dans un tel contexte la grande guerre sainte appartient à l’ordre spirituel. La petite guerre sainte n’est que le combat physique, matériel, la guerre faite dans le monde extérieur. La grande guerre sainte est la lutte de l’homme contre les ennemis qu’il porte en soi-même. Et pour être plus précis, c’est la lutte dans l’homme de l’élément supranaturel contre tout ce qui est instinct, lié à la passion, chaotique, sujet aux forces de la nature. C’est également l’idée qui apparaît dans l’antique traité de la sagesse guerrière, la Bhagavad Gîtâ : « L’ayant donc reconnu comme étant plus grand que la Raison et ayant harmonisé le Soi par le Soi Divin, ô puissamment armé, tue l’ennemi dans la forme du désir, difficile à surmonter ». Car pour accomplir l’œuvre intérieure de libération, la condition indispensable est d’anéantir l’ennemi, et définitivement.
Dans le cadre d’une tradition héroïque, la petite guerre sainte ─ la guerre en tant que lutte extérieure ─ n’est que la voie qui permet, précisément, de réaliser la grande guerre sainte. C’est pour cette raison que « guerre sainte » et « voie de Dieu » sont souvent synonymes. « Que ceux qui sacrifient la vie du monde à la vie future se rangent sous les étendards du Seigneur, et soit qu’ils succombent en combattant ─ c’est-à-dire pour la guerre sainte ─ soit qu’ils sortent victorieux du combat, ils recevront une récompense glorieuse ». Plus loin dans la sourate du Combat : « … La récompense de ceux qui mourront en combattant pour la foi ne périra point. Dieu sera leur guide ; il rectifiera leur intention. Il les introduira dans le jardin de délices dont il leur a fait la peinture ». Il est question ici de la mort physique pendant la guerre ; la mors triumphalis (la « mort victorieuse ») qui trouve une correspondance parfaite dans les traditions classiques. Cette doctrine peut aussi recevoir une interprétation symbolique. Celui qui a su vivre dans la « petite guerre » une « grande guerre sainte » a créé en soi une force qui lui permet d’affronter la crise de la mort. Mais, même sans avoir connu la mort physique, il est possible, à travers l’ascèse de l’action et de la lutte, d’expérimenter la mort, d’être intérieurement victorieux et de réaliser un « plus-que-la-vie ». En effet, ésotériquement, « Paradis », « Royaume des Cieux » et autres expressions analogues ne sont que des symboles et des représentations, forgés pour le peuple, d’états transcendants d’illuminations sur un plan plus élevé de vie ou de mort.
A partir de ces considérations nous chercherons les mêmes significations que nous allons trouver sous le manteau du christianisme dont la tradition héroïco-occidentale fut obligée de couvrir les croisades pour se manifester extérieurement. Car, beaucoup plus qu’on ne le croit en général, dans l’idéologie des croisades, la libération du Temple, la conquête de la « Terre sainte » avaient des points communs avec la tradition nordico-aryenne qui se réfère à la cité mystique d’Asgard, à la lointaine terre des Ases et des héros où la mort n’a aucun pouvoir sur les habitants qui y jouissent d’une vie immortelle et d’une paix supranaturelle. La guerre sainte se présentait comme une guerre totalement spirituelle, au point que les prédicateurs pouvaient, à la lettre, la comparer à une « purification comme le feu du purgatoire avant la mort elle-même ». « Quelle gloire plus grande pour vous que de sortir couronné des lauriers de la bataille. Mais combien est plus grande la gloire de conquérir sur le champ de bataille une couronne immortelle », affirmait Bernard de Clairvaux aux Templiers. La « gloire absolue » ─ identique à celle que les théologiens attribuent à Dieu dans les cieux (in excelsis deo) ─ était également ordonné au croisé. Sur ce fond, s’élevait la « Jérusalem sainte » : ville de la terre et cité céleste, et la croisade devenait une élévation qui conduisait réellement à l’immortalité.
Les hauts et les bas militaires des croisades provoquèrent d’abord émerveillement, confusion et firent même vaciller la foi, mais par la suite elles n’eurent d’autres effets que de purifier de tout résidu matérialiste l’idée de la guerre sainte. Le résultat désastreux d’une croisade fut comparé à la vertu persécutée par l’infortune dont la valeur ne peut être jugée et récompensée qu’en fonction d’une vie non-terrestre.
Un enseignement identique se trouve dans le célèbre texte indo-aryen ─ la Bhagavad-Gîtâ ─ mais élevé à des hauteurs métaphysiques. La compassion et les sentiments humanitaires qui paralysent le guerrier Arjuna et l’empêchent d’attaquer l’ennemi, sont jugés par le Dieu « honteux découragement indigne d’un Aryen et fermant les portes du ciel ». Le Dieu ajoute : « Tué, tu obtiendras le ciel ; victorieux, tu jouiras de la terre. Relève-toi donc, ô fils de Kunti, résolu à combattre ». La disposition intérieure qui peut transmuter la petite guerre en grande guerre est clairement décrite par le dieu : « Me consacrant toutes les actions, et concentrant toutes les pensées sur le Soi suprême, libre de tout espoir et d’égoïsme, guéri de la fièvre de la fièvre mentale, jette-toi dans le combat. » Quant à la pureté de cette action, elle aussi est mise en valeur : elle doit être désirée pour elle-même, au-delà de toute fin matérielle, de toute passion, de toute impulsion humaine : « Ayant reconnu comme égaux le plaisir et la souffrance, le gain et la perte, la victoire et la défaite, prépare-toi pour le combat ; ainsi tu ne commetras pas de péché ».
Base métaphysique que le dieu éclaire par la différence qui existe entre spiritualité absolue ─ et comme telle indestructible ─ et élément corporel et humain n’ayant qu’une existence illusoire. D’une part il y a la révélation du caractère d’irréalité métaphysique de ce que l’on peut perdre comme vie et corps mortel, ou dont la perte peut-être conditionnante pour les autres, de l’autre Arjuna est conduit à l’expérience de la manifestation du divin, puissance bouleversante dans un absolu irrésistible. Devant la grandeur de cette force, toute forme conditionnée d’existence apparaît comme une négation. Là où cette négation est activement niée, c’est-à-dire, où toute forme conditionnée d’existence est prise d’assaut ou détruite, cette force atteint des manifestations terrifiantes. On peut ainsi saisir l’énergie capable de réaliser la transformation héroïque de l’individu. Dans la mesure où le guerrier peut agir dans la pureté et l’absolu, il brise les chaînes de l’humain, évoque le divin en tant que force métaphysique, attire cette force active sur lui, trouve en elle illumination et libération. Dans un autre texte, de la même tradition, il est dit : « La vie comme un arc ; l’âme comme une flèche ; l’esprit absolu comme cible à atteindre. S’unir à cet esprit, comme la flèche décochée se plante dans la cible ».
Si nous savons découvrir ici la forme la plus haute de la réalisation spirituelle du combat et de l’héroïsme, alors il est significatif qu’un tel enseignement soit offert par la Bahgavad-Gîtâ, en tant qu’héritage aryano-solaire primordial. En effet, il fut donné par le « Soleil » au premier législateur des Aryens, Manou, et conservé par une dynastie de rois sacrés. Perdu au cours des siècles, cet enseignement fut à nouveau révélé par la divinité, non à un sacerdote, mais à un représentant de la noblesse guerrière, Arjuna.
Ceci nous permet de comprendre la signification la plus profonde d’un autre groupe de traditions classiques et nordiques. Il ne faut pas oublier que, dans ces traditions, certaines images symboliques précises reviennent fréquemment. Ce sont les images de l’âme comme démon, double, génie et analogues ; l’image des présences dionysiaques et de la déesse de la mort, enfin celle d’une déesse de la victoire qui se confond souvent avec une déesse de la guerre.
Pour bien saisir ces rapports, il faut avant tout préciser la conception de l’âme comme démon, génie ou double. C’est une force latente dans les profondeurs qui est, pour ainsi dire, la vie de la vie, dans la mesure où elle guide généralement les évènements corporels et spirituels où la conscience normale n’entre pas et qui conditionnent cependant au maximum l’existence contingente et le destin de l’individu. Entre cette entité et les forces mystiques de la race et du sang, il existe un lien très étroit. Ainsi, par exemple, le démon apparaît sous de nombreux aspects semblables aux Lares, les entités mystiques d’une race ou d’une lignée, dont Macrobe disait : « …que les Pénates sont les dieux par lesquels nous respirons, par lesquels nous avons un corps, par lesquels nous possédons la raison ». On peut dire qu’il existe entre le démon et la conscience normale un rapport comparable à celui qui existe entre principe individualisant et individualisé.
À suivre