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Aude de Kerros : l’Art contemporain, « un double hold-up sémantique »

Le graveur et essayiste Aude de Kerros a bien voulu partager avec NOVOpress quelques réflexions issues de son dernier ouvrage « L’imposture de l’Art Contemporain ». Un entretien d’une grande richesse que nous publions en trois parties.

NOVO : votre dernier livre « L’imposture de l’Art Contemporain » semble dénoncer une tromperie, ou réside l’imposture ? De quel ordre est-elle ?
A. de Kerros : Le mot « imposture » signifie tromperie, ce qui se fait passer pour ce qu’il n’est pas — et le mot « utopie » veut dire : construction imaginaire ou conception qui paraît irréalisable — si l’on en croit le « Larousse »
L’appellation « Art contemporain » est le résultat d’un double hold-up sémantique : il ne désigne pas « l’Art », c’est-à-dire le langage non verbal, délivrant un sens au-delà des mots par l’accomplissement de la forme, de la matière, de la couleur. Il désigne une procédure conceptuelle dont le but est la critique ou la déconstruction d’une œuvre déjà existante ou d’un contexte. Par ailleurs, I’AC n’est pas comme son nom l’indique « tout l’art d’aujourd’hui », mais uniquement un de ses courants : le conceptualisme.

l_imposture_de_l_art_contemporain.jpgL’imposture de l’Art contemporain – Une utopie financière
Editions Eyrolles

Il n’y a rien de commun entre les deux pratiques. L’Art s’évalue d’après des critères esthétiques et de correspondance de la forme et du fond. L’AC se juge selon des critères moraux, d’efficacité, d’utilité. En effet, la très morale finalité de l’AC est de tendre un piège au « regardeur » afin de le déstabiliser et le remettre en question, pour son bien. En détruisant toute certitude, il se veut facteur de paix et de renouvellement permanent. L’humanitarisme de ce dogme, enseigné dans les écoles dès le jardin d’enfants, cache les autres « applications » et utilités financières, monétaires plus triviales.

NOVO : Vous expliquez bien dans votre livre comment se fabrique la valeur de l’Art Contemporain, que vous désignez sous l’acronyme AC, pour ne pas le confondre avec « tout l’art d’aujourd’hui ». Sa valeur se fixe-t-elle sur un vrai marché ? Sommes-nous devant une nouvelle forme de création monétaire, permettant le recyclage d’argent clandestin ?
A. de Kerros : L’art conceptuel, apparu avant la guerre de 14, recyclé en arme de la guerre froide culturelle au cours des années 60, imposé comme seul « contemporain » au cours des années 70, devient en l’an 2000, après la chute du mur de Berlin, un outil de la globalisation en devenant un « financial art ».

Les œuvres sont devenues sérielles, avec des produits d’appel haut de gamme pouvant atteindre des cotes astronomiques, déclinées en marchandise industrielle aux quantités et formats divers, adaptés à tous les budgets. L’arbitraire des réseaux de collectionneurs qui en fabriquent la valeur remplace les critères et repères intelligibles de la valeur artistique.
Nous sommes désormais devant un AC devenu un produit à la fois financier et monétaire, très maîtrisé et sécurisé par ses détenteurs, peu nombreux, mais collectionnant en réseau fermé et fixant eux-mêmes les prix d’œuvres souvent sérielles. Ils battent monnaie ! Ils sont les créateurs et maîtres d’une liquidité adaptée à la globalisation, hors législation financière, fisc et douanes. C’est une virtuosité financière ! Un chef d’œuvre de petite monnaie, d’argent de poche pour une hyper classe qui ne raisonne qu’économiquement, au-delà des identités, religions, et nations

Quel rapport avec les Arts plastiques ? Aucun, mais en revanche la nature conceptuelle de l’AC, permet les applications que vous évoquez. En effet, l’énoncé discursif de l’œuvre suffit à son existence. Une « pièce » d’AC se matérialise et se dématérialise quand on veut et où on veut. Le contrat d’achat suffit à prouver son existence. On comprendra la proximité qu’entretient ce nouveau type de monnaie avec d’autres modalités fiduciaires… l’avantage d’exception de l’AC réside en ce qu’il ne dépend d’aucun État, ne connaît aucune frontière.

NOVO : L’hyper-visibilité de ces produits qui résulte de plans marketing et de com., occulte les nombreux autres visages — « cachés » — de la création d’aujourd’hui, aussi divers que méconnus.
A. de Kerros : La censure de fait que produisent la com et le marketing en occultant tout ce qui n’entre pas dans ce cadre et plus subtile, mais infiniment plus pernicieuse et fatale que celle jadis pratiquée par le dictateur ou même le Prince. Ils donnaient à l’artiste, au moins le prestige de la résistance et celui-ci pouvait se réfugier dans des lieux plus cléments. L’AC occupe tout l’espace visible et audible par le scandale, l’évènement, la transgression le spectacle hallucinant du très haut marché, il sidère. Une œuvre qui ne repose pas sur ces méthodes de marketing n’accède pas à la visibilité. L’artiste à l’inspiration non conceptuelle n’a pas de recours à d’autres modes d’évaluation et de reconnaissance. Il se trouve exclu du marché.
Économiquement d’ailleurs son travail à la main, d’œuvres uniques, de faible production, rend son travail non exploitable et non rentable, sans utilité ni lieu. Tel un lettré chinois, il peint, après avoir accompli un travail nourricier, créé pour lui-même et quelques amis. Il est invisible libre.

http://fr.novopress.info/199323/aude-de-kerros-lart-contemporain-un-double-hold-up-semantique/#more-199323

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