Ce n'est pas le moindre des paradoxes. Tandis qu'une partie de la gauche s'apprête à voter la censure contre un gouvernement socialiste accusé de "dérive néolibérale", la chute (improbable) de l'exécutif ouvrirait un boulevard à une droite elle-même engagée dans une surenchère dérégulatrice en vue de 2017.
Est-ce un effet primaire ou la fin d'un tabou dans une famille politique de tradition étatiste? Toujours est-il que même le très modéré Alain Juppé, qui dévoile ce mercredi son livre-programme consacré à l'économie 5 ans pour l'emploi (Ed. JC Lattès), préconise une thérapie de choc économique à faire passer la loi El Khomri pour le programme du Front populaire.
Refonte du droit du travail, baisse des dépenses de 85 milliards sur le quinquennat, suppression de l'ISF, sortie des 35 heures avec "référence du travail à 39 heures", retraite à 65 ans, zéro charges sur le SMIC, plafonnement des minima sociaux, suppression de 250.000 postes de fonctionnaire, du tiers payant généralisé, du compte pénibilité... S'il se défend de vouloir "casser la baraque" comme son rival François Fillon, c'est bien un grand soir libéral que préconise le favori de la primaire.
Unanimité à droite pour un printemps libéral
Alain Juppé est loin d'être un cas à part. Parmi la douzaine de candidats engagés dans la primaire qui désignera le champion de la droite en 2017, presque tous militent pour des réformes profondes du modèle social français. La suppression de l'impôt de solidarité sur la fortune, jadis jugée hautement impopulaire, fait désormais quasiment l'unanimité. Tout comme le report de l'âge légal de départ à la retraite, autre réforme socialement très délicate.
Dans cette course au moins-disant social, l'ancien premier ministre François Fillon fait incontestablement figure de pionnier. En se revendiquant de la britannique Margaret Thatcher, le député de Paris a accaparé le créneau de la "rupture" sur le plan fiscal et budgétaire. Et imposé sa ligne ultra-réformatrice à une droite qui n'a guère plus que le libéralisme économique comme seul dénominateur commun.
D'autres vont plus loin encore. Inspiré par les Républicains américains, le député Hervé Mariton prône pèle-mêle la suppression du logement socialet la fin de l'impôt progressif à la française qu'il souhaite remplacer par une "flat tax", un impôt proportionnel jugé profondément inégalitaire. Bruno Le Maire préconise de supprimer la fonction publique territoriale.
Tout en ironisant sur le "libéralisme de papa" de ses adversaires, Nathalie Kosciusko-Morizet défend quant à elle un libéralisme économique et sociétal, plaidant en faveur d'une "ère postsalariale".
Vers le retour des grandes grèves de 1995?
Cette surenchère libérale a une vertu: celle de parler au coeur de l'électorat appelé à se déplacer lors de la primaire des Républicains de septembre prochain. Elle a aussi un vice: celui de rompre avec la tradition colbertiste voulue par le général de Gaulle, au risque de braquer une partie des Français entre les deux tours de l'élection présidentielle.
Le Front national l'a bien compris. "Choisir Marine Le Pen, choisir le Front National, c’est rompre avec les mandats Sarkozy-Hollande, rompre avec un système ultralibéral, laxiste, et francophobe, arrivé à bout de souffle", plaide inlassablement le parti d'extrême droite en annexant cette stratégie économique à la politique d'austérité imposée à ses yeux par la Commission européenne.
Les derniers gaullistes sociaux ne sont pas loin de penser la même chose. Critiquant une "une course à l'échalote pour savoir lequel sera le plus thatchérien, le plus schrödérien, le plus ultra-libéral", le député LR des Yvelines Henri Guaino, qui n'a toujours pas exclu de se présenter à la primaire, met en garde sa famille politique: "Oui, il faut de la liberté mais la liberté c'est pas l’idéologie néolibérale telle qu'on la subit depuis une trentaine d'années".
Autre interrogation: comment la droite fera-t-elle adopter en 2017 un programme aussi ambitieux alors que la modeste loi El Khomri se heurte toujours à un virulent mouvement social? Evoquant les grandes grèves de 1995 qui avait plombé son passage à Matignon, Alain Juppé estime que "la société française est mûre pour évoluer". A condition de "dire la vérité avant", insiste le maire de Bordeaux, manière d'épingler les campagnes très à gauche de Jacques Chirac puis de François Hollande qui ont pu nourrir la déception.
Pour faire passer l'amère pilule des réformes, Alain Juppé comme François Fillon rappellent qu'elles ont vocation à rétablir le plein-emploi d'ici la fin du prochain quinquennat. Mais plusieurs candidats préconisent tout de même de faire adopter leurs réformes dès le début de leur mandat sans passer par le Parlement, en prenant une série d'ordonnances. Signe que la droite n'est pas totalement sereine quant à la facilité d'administrer son remède de cheval à un pays en pleine ébullition.
Geoffroy Clavel Le HuffPost :: lien
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