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[Revue de presse] Questions internationales #79 et 80: Le réveil des frontières, des lignes en mouvement

2897454109.gifLa revue Questions internationales, éditée par la Documentation française propose un double numéro pour les mois de mai à août 2016 autour d'un sujet aussi important qu'épineux : les frontières. C'est en tout cas un sujet essentiel, la planète comptant 252 000km de frontières internationales terrestres d'après Michel Foucher, géographe, ancien ambassadeur et titulaire de la chaire de géopolitique appliquée au Collège d'étude mondiale.

Le présent numéro est d'emblée à intégrer dans toute bonne bibliothèque tant il est vivifiant et loin de la propagande mainstream du petit milieu journalistique parisien et des réseaux qui financent les No Borders. Le dossier se structure autour de quatre grands thèmes : « De l'utilité des frontières », « Frontières et lignes liquides », « Quelques questions frontalières dans le monde » et « Définir et défendre les frontières en Europe ». A ces grands thèmes, la revue adjoint d'autres sujets dans sa rubrique « Question européenne », dont un article sur l'islam politique, une rubrique « Regards sur le monde » qui traite entre autre des défis sécuritaires et humanitaires en Jordanie et enfin une rubrique qui ne manquera pas d'intéresser certains de nos lecteurs avec « Les questions internationales à l'écran » autour de deux articles, « James Bond, géopolitique et cartographie » et « Franchir les frontières européennes au cinéma ».

C'est donc un double numéro d'une très grande richesse et qui est marqué par un grand sérieux et une grande rigueur scientifique.

A propos de l'islam politique, l'article « L'islam politique existe-t-il en Europe ? » (p.149 à 153), les auteurs, Samir Amghar et Khadiyatoulah Fall proposent une contribution autour des Frères Musulmans. Nous y apprenons par exemple la proximité de Marwan Muhammad, directeur exécutif du Collectif contre l'islamophobie en France, avec l'Open Society Institute de Georges Soros comme nous en avons parlé dans un précédent article.1 Ce qui pourrait accréditer la thèse d'une proximité entre l'entourage d'Hillary Clinton et les Frères Musulmans.

Quant aux frontières, notion qui se distingue de celle de ligne, nous retiendrons quelques éléments  importants qui seront utiles à nos lecteurs.

D'après le rédacteur en chef de la revue, Serge Sur qui est également docteur en droit et agrégé de droit public, auteur d'un très grand nombre d'ouvrages et d'articles traitant de questions d'actualité, des relations internationales et de géopolitique « le terme vise toute forme de séparation entre des espaces et, de façon métaphorique, tout type de coupure, spatiale ou non, y compris dans le royaume de l'imaginaire. » (p.4). Il ajoute dans cet article introductif intitulé « Lignes et frontières, tout bouge » : « Au sens plus restreint, celui du droit international, la frontière est une ligne, juridiquement construite, qui sépare deux ou plusieurs États souverains, ou un État d'un espace international ; ce qui est le cas de la mer territoriale. C'est dire qu'elle est intimement liée à l'existence de l’État et qu'il n'y a pas de frontière sans État. » (p.4). De fait que « Derrière la remise en cause de la frontière, sa cache celle de l’État et plus spécialement de l’État-nation. » (p.5). Remise en cause idéologique – l'auteur de l'article use du terme - appuyée par des constructions continentales (de type Union européenne), par la mondialisation et par la dynamique technologique (nous penserons spontanément au numérique).

Pour Michel Foucher, dans son article « A quoi servent les frontières ? », « Les frontières internationales sont un périmètre de l'exercice de la souveraineté des Etats qui composent le système international et l'un des paramètres de l'identité des nations.[…] Un monde sans frontière ne serait pas vivable. » (p. 14)

Quant à Paul Klötgen, maître de conférence à la faculté de droit, sciences économiques et gestion à l'université de Lorraine, il rappelle que « la notion de frontière est juridique. Le droit définit les frontières – lignes, zones, réseaux, groupes … - de manière souple et évolutive. […] elles [les frontières] délimitent – plus qu'un espace de souveraineté – un espace de juridiction au sein duquel pourra être dit – et imposé – ce qui est juste, droit et écarté ce qui ne l'est pas. » (p. 22).

Autre approche intéressante, celle de Laetitia Perrier Bruslé, maître de conférences en géographie, membre du PRODIG (Pôle de recherche pour l'organisation et la diffusion de l'information géographique) à l'université de Lorraine. Son article, « La frontière comme construction sociale » motive son approche en précisant que « La frontière n'est pas une ligne intangible dans le temps et dans l'espace. Elle est aussi une construction sociale, modelée par les discours et les pratiques d'une pluralité d'acteurs, de l'Etat aux habitants de la frontière. » (p.51). Par exemple dans les discours qui définissent l'identité et l'altérité. « La frontière et l'identité sont dans une relation de co-production permanente, la première traçant les contours de la seconde, qui elle-même renforce la première. Elles sont reliées comme la poule l'est à l’œuf sans qu'on puisse dire laquelle précède l'autre. C'est dans le registre des représentations que se noue la symbiose, ce qui a été maintes fois souligné à propos de la construction de l'édifice Etat-nation-territoire. » (p. 52). Des éléments liés aux représentations, des barrières mentales, peuvent donc s'ajouter aux frontières juridiques des États. On reconnaît l'héritage de la géographie des représentations, en particulier la géographie des représentations mentales pour le cas présent, qui doit beaucoup à La région, espace vécu,d'Armand Frémont, paru en 1976.

Les régions frontalières sont d'ailleurs particulièrement au cœur des enjeux liés aux frontières et comme le note Christophe Sohn, géographe, chercheur au Luxembourg Institute of Socio-Economic Research (LISER) dans son article « La frontière : un atout dans un monde globalisé », les frontières conduisent à « une intensification de l'urbanisation des régions frontalières et l'émergence de nouvelles formes de coopération et d'interaction transfrontalière. » (p.37). En un mot, la frontière est désormais une ressource. Une ressource dont peuvent tirer profit les États dans un contexte de mondialisation, ce dont ne se privent pas les deux grandes géants du capitalisme : les Etats-Unis et la Chine. Qqu'on songe au phénomène, désormais ancien, des maquiladoras à la frontière entre les Etats-Unis et le Mexique. Ces considérations appuient le propos de Michel Foucher page 15 : « Limite, la frontière est un lieu d'interaction ».

C'est particulièrement l'article de ce dernier qui aura attiré mon attention, identifiant six lignes directrices dans la problématique frontalière contemporaine (la territorialisation des océans (ex : Arctique, Asie du sud-est), la persistance ou l'aggravation des tensions (Moyen-Orient, Afrique, …), le développement des pratiques de durcissement (Amérique du nord, Europe, Asie du sud), la poursuite de la délimitation (via par exemple la cour internationale de justice), la prégnance des questions migratoires et le désenclavement), quatre tendance à l’œuvre dans la longue durée (la réaffirmation des frontières internationales, terrestres et maritimes dans un monde d’États souverains, la permanence des enjeux de l'exercice des fonctions régaliennes de base, la remise en cause des statu quoterritoriaux par certains États et la multiplication des franchissements) ou encore quatre types de régimes de séparation frontalière (les barrières et murs installés dans les territoires disputés et ayant une fonction de sécurité et de délimitation pour mettre fin à une contentieux territorial (Line of control du Cachemire), les murs et barrières dans des territoires disputés être les États mais où persistent des tensions ethniques, démographiques ou politiques (Irlande du nord), les barrières issues d'un conflit militaire (ex : Chypre) et le durcissement d'un régime frontalier (exclaves de Ceuta et Melilla)).

L'auteur conclut son article de la meilleure façon qu'il soit :

« Objets géopolitiques par excellence – en tant que « du politique inscrit dans l'espace » -, les frontières servent à différencier le dedans du dehors et délimitent des appartenances. Le «  retour » des frontières – ouvertes mais maîtrisées – marque l'exigence du primat du politique et du symbolique sur le jeu déstructurant d'une globalisation économique sans limites.

Et si un monde réputé sans frontières advenait, il deviendrait bien vite un monde borné. On peut se demander si la destruction des limites n'a pas pour résultat l'émergence d'une multitude de bornes nouvelles. Peut-être est-ce parce qu'il ne supporte plus les limites que l'homme moderne ne cesse de s'inventer des bornes. Auquel cas, il ferait l'échange de bonnes frontières contre les mauvaises. » (p. 21).

Peut-on faire plus clair et plus limpide ? Michel Lussault avait déjà noté que la libre circulation des personnes avaient conduit à renforcer la gestion des flux dans certains lieux. La technique du queuing théorisée par les anglo-saxons dans les années 50 et le contrôle exercé sur les passagers aux aéroports en sont deux exemples2. En effet, comme l'indique Serge Sur dans son article introductif, la frontière apparaît souvent comme « contre-nature » alors que dans le même temps elle est un filtre avec une double dimension d'ouverture et de fermeture. La frontière est une protection (inviolabilité, intégrité et intangibilité – p. 9 et 10). La frontière est aussi gage de l'existence d'une identité, portant en elle l'image de l'enracinement, de la stabilité, de la pérennité de l’État. La disparition des frontières ne coïncide donc absolument pas avec une disparition des territoires, mais bien au contraire à la production de nouveaux territoires dont les limites peuvent échapper au droit. C'est aussi ce qui conduit à une dialectique entre la négation de la frontière et l'édification des murs. Le mur est un obstacle physique qui s'ajoute à un obstacle juridique, déjà existant, mais invisible. Face à une mondialisation productrice de territoires, les États peuvent avoir tendance à réaffirmer, par le mur, des territoires nationaux, aux frontières juridiquement reconnues par le droit international. État, nation et frontières vont ensemble comme on l'a dit. La France en est un parfait exemple puisque cette question de la frontière a pu conduire à la réalisation du pré-carré de Vauban, au mythe de l'hexagone ou à celui de la frontière rhénane.

« En ces vases clos [dessinés par les frontières], la nation fermente »3 et comme le rappelle le dossier, même les pays issus de la décolonisation se sont appropriés les frontières et ont tous leur drapeau, leur hymne ou leur fête nationale. L'article de Vincent Hiribarren, maître de conférence en histoire de l'Afrique contemporaine au King's College de Londres, « Les frontières en Afrique subsaharienne » (p. 82 à 88) permet d'ailleurs de nuancer les approches partisanes et les clichés sur les frontières en Afrique.

S'attachant aussi à traiter de nombreux autres sujets, dont le Donbass, la frontière russo-finlandaise, les frontières à l'heure d'internet, les frontières aériennes ou encore le nouveau découpage des océans, ce numéro est une très bonne remise à niveau et aussi une mise au point sur le sujet, loin des débats politiques et des clichés journalistiques.

Jean / C.N.C.

Notes :

1 L’œcuménisme contre la nation et les Européens (http://cerclenonconforme.hautetfort.com/archive/2016/08/0... )

2 L’Homme spatial. La construction sociale de l’espace humain (Seuil, 2007), De la lutte des classes à la lutte des places (Grasset, 2009) et L’Avènement du monde. Essai sur l’habitation humaine de la terre (Seuil, 2013).

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