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Maurras ou les permanences d’un nationalisme français suite et fin

Certes, ce n’était là ni l’objet principal de l’ouvrage, ni la visée de l’auteur, mais il eût été bon de rappeler, afin de le resituer, comment les limites cet impact politique direct de Maurras sur la Révolution nationale se combinent aussi avec son importance intellectuelle au sein d’un mouvement plus général où il a compté. C’est ici que manque une analyse ad hoc de l’antisémitisme maurrassien au moment de Vichy. L’auteur se contente d’une rapide présentation du débat historiographique et glisse sur la place du maurrassisme dans l’antisémitisme vichyssois. Aussi rappelons-le ici nettement : que Maurras n’ait pas joué de rôle de conseiller au prince sous le vichysme et qu’il n’y ait pas d’influence directe et personnelle de sa part n’exclut pas les transferts indirects. La question fait l’objet d’un réel débat historiographique, depuis les premières analyses sur Vichy , présentées ici essentiellement par des renvois bibliographiques. Pour reprendre l’un des ouvrages de Laurent Joly, cité du reste dans les références bibliographiques de ce volume , la biographie consacrée à Xavier Vallat restitue bien l’influence de C. Maurras dans la formation de l’antisémitisme du Commissaire général aux questions juives de Vichy : « Le rôle de l’Action française dans le renforcement du préjugé antisémite de Xavier Vallat est indéniable. L’antisémitisme théorique et cérébral que Charles Maurras développe à partir de 1911 a l’avantage d’offrir, au jeune lecteur qu’est Xavier Vallat, les solutions politiques pour résoudre un problème qui est, pour lui, une évidence depuis longtemps » , qui ne saurait se résumer aux définitions simplistes  qu’en donnent les chefs d’accusation de son procès d’épuration et dont l’auteur entend se distancier, mais que l’on ne peut pas non plus résumer à la rhétorique maurrassienne tout aussi simpliste d’un « antisémitisme d’Etat » opposé à un « antisémitisme de peau » . L’auteur se contente ici de se référer une nouvelle fois aux travaux de Laurent Joly en rappelant pudiquement que « ces débats [sur la différence entre antisémitisme français et antisémitisme allemand] occultent cependant le contexte propre aux années 1940 et à l’Occupation dont Maurras ne prend manifestement pas la mesure ».
Le travail est sérieux, l’historien entend faire preuve de distance critique vis-à-vis de son objet  et se déprendre de toute forme de sympathie à son égard, malgré, çà et là, des formules méritant d’être plus nettes. Le style, enlevé, par endroits allusif, est parfois un peu trop rapide pour qui découvrirait Maurras pour la première fois. Malgré la distinction opératoire entre discours et action en politique sur l’ensemble de l’ouvrage , et qui donne de Maurras l’image d’un théoricien sur le politique plus que d’un homme de l’action politique, la disjonction opérée entre plan intellectuel et plan politique pour la période vichyste est trop rhétorique, l’objectif de l’auteur lui-même étant bien de ressaisir le Maurras historique dans sa totalité, sans choisir. S’il est de fait extrêmement intéressant de rappeler le symbole jugé au travers de Maurras lors de son procès, et ses distorsions par rapport au personnage historique, si le travail sur les représentations de Maurras gardées par la postérité est bien mené, une autre forme de sélectivité apparaît de la part de l’auteur dans les dernières lignes de l’ouvrage , rappelant, après avoir souligné les effets du « procès en immoralité » sur la mémoire de Maurras, la grandeur de l’homme de plume, comme s’il fallait toujours se justifier mémoriellement d’écrire sur Maurras, ou de sauver quelque chose de lui, qui n’a par ailleurs plus réellement d’efficacité dans le débat politique, hormis celle de l’anathème.
Ecrire aujourd’hui sur Maurras : quelle actualité pour le « Grand Maudit » ?
Ainsi, cette biographie académique est de bonne facture. On regrettera que l’auteur, qui mentionne que « les Archives nationales ont en dépôt un imposant fonds Charles Maurras [de] 29 mètres linéaires », en fasse peu usage, se concentrant, y compris pour la correspondance, sur les sources imprimées et les lettres éditées. Une bonne bibliographie fait le point sur le statut des sources primaires et secondaires. On notera les efforts d’intégration de sources moins connues et les incursions dans la production poétique de Maurras, visant à dégager, avec un succès inégal, un portrait littéraire, spirituel et psychanalytique de l’individu. La large place accordée aux citations fait la richesse de l’ouvrage, même si l’on éprouve un certain agacement lié au manque de référencement systématique des citations.
L’ouvrage est confronté à la double gageure d’un genre, la biographie – et le dosage toujours délicat entre la part faite à l’homme et à son contexte –, et d’un horizon d’attente, le lectorat visé. L’auteur est parfois rapide sur un certain nombre de petits groupements politiques ou sur certaines formations littéraires marquées par les nouvelles droites, dont la faible audience a fait perdre leur transparence pour le lecteur ou l’étudiant d’aujourd’hui . Par ailleurs, le refus de verser dans l’anecdote conduit parfois O. Dard à négliger des aspects concrets et quotidiens de l’histoire intellectuelle qu’il aurait fallu souligner, et notamment, les conditions financières et matérielles des entreprises éditoriales de Maurras, ainsi qu’un ordre de grandeur sur les tirages, comme pour l’audience de l’Action française, le nombre d’adhérents .
Mais la biographie de Maurras par Olivier Dard est également intéressante pour ce qu’elle représente dans le contexte éditorial de l’histoire universitaire aujourd’hui. Maurras, « le grand maudit » , le « label infamant »  condamné lors d’un « procès en immoralité » : soixante ans après sa mort, le chef de l’Action française fait figure d’oublié dans la vie politique française - malgré les recompositions récentes du nationalisme français - et Olivier Dard débute son ouvrage sur le constat de son emploi décontextualisé dans le discours politique, dans le débat opposant en Patrick Buisson et Nathalie Kosciusko-Morizet en 2011. En 2007, Nicolas Sarkozy, mentor de cette dernière et disciple du premier, invoquait au contraire l’héritage désormais consensuel de Jaurès, l’un des adversaires de Maurras.

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