Pour ses adversaires, la cause est entendue : le programme politique du Front national est « une arnaque », comme dit Manuel Valls. Mais l’argument d’autorité est un peu trop commode.
Le programme économique frontiste peut être critiqué, mais pas caricaturé, surtout au regard des résultats économiques que nous vaut plus d'un quart de siècle de gestion libéralo-socialiste placée sous tutelle bruxelloise. Après tout, de quelle réussite les donneurs de leçons de l'UMP et du PS peuvent-ils se prévaloir ? D'un chômage de masse frappant au moins 10 % de la population active ? De la disparition de notre tissu de PMI et de PME ? De la crise de notre agriculture ? De budgets déficitaires depuis plus de 40 ans ? D'une dette publique qui dépasse 2 000 milliards d'euros ? De la perte de notre souveraineté économique et du contrôle de notre propre monnaie ? Ceux qui balaient d'un revers de main le programme économique du FN ne sont pas les mieux placés pour le faire.
Ledit programme est bâti sur les concepts de « patriotisme économique » et de « protectionnisme intelligent ». Comme l'explique Jean-Yves Le Gallou sur le site de Polémia, il est possible d'y distinguer trois axes « la remise en cause du libre-échangisme mondial, la sortie de l'euro, la lutte contre "l'austérité" ».
Concernant le premier axe - la remise en cause du libre-échangisme mondial -, les rédacteurs du programme opposent à l’ « ultra-libéralisme » mondialisé le recours au « protectionnisme intelligent », dont les prémices figurent dans la Charte de La Havane, signée en 1948 par une cinquantaine d'Etats. Cette Charte visait à développer la coopération entre les États membres, les engageait à ne pas se trouver en situation d'excédent ou de déficit de leur balancé commerciale sur le moyen-long terme, interdisait le dumping, autorisait le contrôle des mouvements de capitaux par les États, favorisait l'adoption par les pays signataires de normes de travail équitables. En somme, elle voulait établir les conditions d'un commerce extérieur pacifié en évitant l'hégémonie d'une puissance sur les autres. Les États-Unis firent obstacle à sa ratification pour conforter la prépondérance du dollar acquise à Bretton Woods - outil de leur propre hégémonie.
Par ailleurs, le Front national fut le premier grand parti à dénoncer le Tafta, désastreux traité transatlantique que Sarkozy, puis Hollande, avaient donné mandat aux eurocrates bruxellois de négocier pour la France (après avoir poussé en 2014 à accélérer les négociations, le président socialiste en demanda l'arrêt en 2016...).
Quant au deuxième axe - la sortie de l'euro monnaie unique -, il conditionne la réalisation de l'ensemble du programme, puisqu'il doit permettre à la France de retrouver sa souveraineté monétaire, et la possibilité de dévaluer pour relancer la croissance et réindustrialiser. Dans le même but, serait abolie la loi du 3 janvier 1973, qui a interdit à l'État d'emprunter sans intérêt auprès de la Banque de France (par exemple pour financer de grands travaux), pour le plus grand bénéfice des marchés financiers et des banques qui, eux, perçoivent des intérêts - ce qui alimente la dette publique.
Le troisième axe concerne la lutte contre l'austérité et paraît relever d'une certaine utopie lorsque Marine Le Pen envisage, par exemple, de revenir à la retraite à 60 ans. Toutefois, le recours aux politiques d'austérité appliquées dans certains pays européens sous les pressions de Bruxelles et de la BCE n'a guère été probant.
Au bout du compte, ces propositions sont-elles absurdes ? « En vérité, la crédibilité et le réalisme d'un programme sont jaugés au regard de la doxa dominante. S'éloigner du politiquement correct et de l'économiquement correct passe forcément pour "peu crédible" », observe Jean-Yves Le Gallou sur Polémia. Pourtant, en 2011, Alain Cotta et Christian Saint-Etienne, économistes qui n'appartiennent pas au Front national, s'accordaient à reconnaître, dans Monde&Vie (1) qu' « une monnaie est toujours le reflet d'un État et d'une souveraineté », qu'aujourd'hui, « le vrai conflit idéologique oppose les tenants de la poursuite d'un néo-libéralisme mondialisé et financiarisé, à ceux du retour au capitalisme d'État » ; et qu'avant même la politique de l'euro fort, celle du franc fort, voulue en 1993 par le directeur du Trésor Jean-Claude Trichet (appelé plus tard à diriger la Banque centrale européenne…)fut « à l'origine de toutes nos difficultés actuelles ».
Si l'on peut discuter certains aspects du programme économique du FN, il n'en pose pas moins de vraies questions, auxquelles ses concurrents ne pourront pas se contenter de répondre par le mépris.
Jean-Pierre Nomen Monde&Vie 12 janvier 2017
1) Monde&Vie n°851