Bernard Plouvier
Il y a toujours eu des humoristes pour contester le bien-fondé des théories médicales - ils avaient raison, mais oubliaient qu’une théorie, toute transitoire et imparfaite soit-elle, fait avancer la science biologique et l’art médical - et pour grogner, parfois en les appliquant, à l’encontre des prescriptions de leur praticien personnel… ‘’Molière’’ et ‘’Voltaire’’ restent inégalables dans ce registre.
De nos jours, naturopathes, magnétiseurs et métallo-thérapeutes, vendeurs d’orviétan - gelées, eau de jouvence, produits végétaux réputés ou non « Bio » et autres merveilles toutes présentées comme autant de remèdes miraculeux pour une foule de maux et pour tout public (« militaires et bonnes d’enfants », comme disait ma maman) -, membres aussi excités que convaincus d’associations (qui, toutes ont un journal, voire des produits à vendre), prouvent par A + B que la médecine moderne est non seulement coûteuse, mais aussi nulle (ou presque) et surtout dangereuse.
On nous apprend que « la liste des médicaments aux effets secondaires dangereux ne cesse de s’allonger », que les vaccins sont nuisibles, que les antibiotiques sont un poison écologique, que « les hôpitaux sont des véritables nids à microbes », que « la médecine moderne ne se préoccupe même plus d’écouter les patients » etc… Bref, les dirigeants d’un tas de merveilleuses associations assurent le public qu’elles « osent dire la vérité… sur la faillite de la médecine ».
Bien entendu, nul parmi ces doctes détenteurs de La VÉRITÉ (ils en ont de la chance !) n’a étudié la médecine, non pas en faculté (ce n’est pas là qu’on l’apprend, même s’il faut y passer pour obtenir son diplôme), mais par la pratique hospitalière au moins durant l’internat, puis par l’exercice de cette très dure profession pendant plusieurs décennies.
Il est pourtant une évidence « oubliée » par nos Diafoirus de la contestation : si l’Afrique est devenue un boulet démographique (en plus de l’être aux plans économique, politique et religieux, par l’islam), c’est parce que la médecine moderne (hygiène, obstétrique, vaccinations, antibactériens, antiviraux et antiparasitaires) apportée par le colonisateur blanc a, durant le XXe siècle, transformé les conditions de vie de ce continent à la traîne. De même, l’augmentation de l’espérance de vie, en pays de technicité occidentale, est en très grande partie à mettre au crédit de cette médecine qui semble en « faillite » à ces inexperts.
Tout médicament efficace (c’est-à-dire porteur d’un principe actif, à la différence du Placebo, utilisé pour les hystériques et les hypocondriaques) a, par définition, de nombreux effets, certains étant jugés bénéfiques (l’effet primaire ou thérapeutique) et d’autres qui sont indésirables (les effets secondaires). Tout l’art & la science du médecin sont de savoir respecter les contre-indications (sauf cas exceptionnel et quasi-désespéré, pour soulager des souffrances terminales), de doser au mieux et de dépister à temps les effets délétères, surtout en cas d’utilisation chronique.
Il est évident qu’il est bon également d’avoir des connaissances historiques… bien plus que de vanter des « remèdes ancestraux », rarement comparables en efficacité aux médicaments modernes : l’époque des remèdes de grand-mère était celle où une femme sur cinq mourait en couches et où l’espérance de vie moyenne, en Europe, ne dépassait pas 60 ans.
Des connaissances historiques auraient permis d’éviter les complications musculaires des vaccins. On a adopté, en Europe durant les années 1980, une méthode venue des USA – l’injection intramusculaire du vaccin – alors que de nombreuses études immunologiques, réalisées avant la Grande Guerre (eh, oui !), avaient démontré que l’injection sous-cutanée est plus efficace et moins dangereuse que toute autre voie d’introduction… avoir répété cela dans quelques congrès a valu à l’auteur de ces lignes une réputation d’abruti.
Ce n’est pas le vaccin qu’il faut critiquer et moins encore les « antibiotiques » ou les antidépresseurs, ou quel que médicament que ce soit, mais des erreurs de prescription ou de prise, des retards à l’élaboration du diagnostic (et 41 années d’expérience hospitalière m’ont fait accuser in petto bien plus souvent le malade ou son entourage que les « chers confrères », évidemment faillibles, comme tout un chacun).
Prétendre que la médecine est en faillite parce que « se multiplient arthrose, cancer, diabète, dépression, allergies, viroses » etc. (pour un catalogue quasi-exhaustif, y compris les pseudo-maladies à la mode comme la « Fibromyalgie », on est prié de se reporter à son journal féminin ou contestataire préféré) est pure imbécillité. Deux minutes de réflexion suffisent pour comprendre que le vieillissement de la population, les conditions abrutissantes de vie, l’amélioration des moyens de diagnostic, les voyages exotiques et les brassages de populations, joints à une sexualité débridée et non protégée, expliquent cette augmentation.
La « vérité » sur les infections nosocomiales (ce qui signifie : hospitalières) est probablement trop simple pour être diffusée par les media. 90% d’entre elles proviennent des propres germes du patient (et généralement, il s’agit d’un sujet fragilisé par une ou plusieurs maladies, une hygiène douteuse ou des comportements addictifs : alcool, tabac, stupéfiants) et seulement 10% sont véhiculées par le personnel – ce qui est intolérable, c’est certain.
Il est évident que le comportement des médecins, infirmières, kinésithérapeutes et autres soignants (sans même parler du personnel administratif) laisse parfois à désirer… on aimerait savoir quelle profession est irréprochable : peut-être nos honorables politiciens, journalistes et autres directeurs de conscience !
Il est évident qu’il reste d’immenses progrès à faire, tant en diagnostic qu’en thérapeutique, en éducation des malades et surtout de leurs familles. En revenir aux « thérapeutiques d’antan », c’est surtout s’exposer aux végétaux et minéraux hypertoxiques. Un Avicenne, tant vanté par certains, fut, en son temps, l’équivalent d’un serial killer par la dangerosité extrême de ses remèdes ; fort heureusement pour sa pratique, cet homme, qui se vantait de connaître les secrets de la longévité et de « l’éternelle jeunesse », mourut à 57 ans, probablement pour avoir expérimenté un de ses remèdes miracles (ses élèves firent courir la rumeur d’une mort par empoisonnement : ils avaient raison… sur la cause).
La médecine contemporaine a fait un bond gigantesque : de 1970 à nos jours, elle a davantage progressé que durant les 5 000 années précédentes. Que certains êtres omniscients veuillent, en dépit de conseils éclairés, se soigner eux-mêmes, tant pis ! Il faut toutefois empêcher ces redoutables partisans de la Patamédecine de nuire à autrui. Le fanatisme antiscientifique a les mêmes caractéristiques que le fanatisme religieux ou politique : meurtrier, irréfléchi, inepte.
La conclusion est simple, n’importe qui a le droit de dénoncer les torts qu’on lui a faits, à condition que ces torts soient réels. La critique objective est non seulement licite, mais elle est indispensable au bon fonctionnement de n’importe quel métier. Peut-être faudrait-il toutefois ne pas jeter le bébé avec l’eau trouble du bain.