Lorsque les historiens écriront sur notre époque et sur son histoire sociale, peut-être remarqueront-ils que la première manifestation sur la voie publique contre l'élévation de l'âge légal de la retraite à 67 ans, en France, a été le fait de quelques monarchistes sociaux, non loin de l'église Saint-Germain-des-Près, au milieu de l'hiver 2011 : je faisais partie de ces quelques uns, distribuant les tracts du Groupe d'Action Royaliste, et interpellant les passants, malheureusement dans une certaine indifférence... Sans doute n'est-il jamais bon d'avoir raison trop tôt et de jouer les Cassandre, peu populaires car trop souvent vus comme des oiseaux de malheur alors qu'il s'agit, justement, de l'annoncer pour mieux l'éviter. Mais nous lisions la presse économique et nous savions écouter les radios, et celles-ci nous expliquaient, en janvier 2011, que l'Allemagne souhaitait imposer, avec le concours de la Commission européenne, ce plancher de 67 ans. C'est aussi ce que confirmera l'année suivante le ministre allemand des Finances, M. Wolfgang Schäuble, après l'élection de M. François Hollande, quand il expliquera, avec sa rudesse habituelle, que la décision du nouveau président de revenir à la retraite à 60 ans (ce qui ne fut que partiellement fait, d'ailleurs) n'était « pas conforme aux choix européens »...
Cette mesure de la retraite à 67 ans s'imposa ainsi en 2012 en Pologne : c'est le premier ministre d'alors, M. Donald Tusk, européiste convaincu et aujourd'hui reconduit comme président du Conseil européen, qui se chargea de la faire adopter par les parlementaires polonais. La même mesure s'appliqua aussi, l'année suivante, aux Pays-Bas, mais aussi, même si la date de son application complète est plus tardive, en Espagne et, bien sûr, en Allemagne, même si une retraite anticipée est possible dès 63 ans (mais avec décote de 7%), et en Grèce où elle sera totalement effective dès 2022...
Ainsi, ce qui semblait improbable et qui, lorsque nous l'évoquions dans les rues de Paris en 2011, nous valait des haussements d'épaules et des moqueries, s'est répandu comme une traînée de poudre libérale et européiste... En France même, c'est bien l'âge de 67 ans qui, pour ma génération et celles qui suivent, est celui de la « pleine retraite » : or, dans un pays où les études sont souvent longues, il n'est pas facile d'obtenir le nombre de trimestres requis pour avoir tous ses droits à la retraite pleine et entière avant 65 ans, voire beaucoup plus...
Mais, à l'automne dernier, le nouveau gouvernement conservateur de Pologne, souvent taxé d'europhobe, a tenu sa promesse de détricoter la loi présentée par M. Tusk quelques années auparavant, et a ramené l'âge légal de la retraite à 65 ans pour les hommes et à 60 ans pour les femmes, au grand dam de la Commission européenne qui y a vu, à travers quelques uns de ses membres, une « remise en cause des engagements européens de la Pologne » dans le contrôle des déficits. Mais la même baisse de l'âge légal de départ à la retraite pourrait bientôt intervenir aux Pays-Bas malgré les mises en garde des experts libéraux qui y voient une mesure « irréaliste » et « beaucoup trop coûteuse », comme cette spécialiste interrogée dans les colonnes du Figaro économie ce samedi 11 mars 2017. Ce sont les populistes, les socialistes et le mouvement des retraités « 50Plus » qui proposent cet aménagement plus favorable aux salariés, à rebours du gouvernement sortant formé de libéraux et de travaillistes, « fidèle » à la philosophie actuelle de l'Union européenne.
Et la France, là-dedans ? M. Fillon était, semble-t-il, favorable quand il était premier ministre de M. Sarkozy à un alignement des pays de l'UE sur les souhaits de l'Allemagne, même si, aujourd'hui, il parle de 65 plutôt que de 67 ans comme âge légal de départ à la retraite. Mais, si les candidats restent aujourd'hui plutôt discrets sur cette épineuse question des retraites, l'Union européenne, par la voix de la Commission européenne, l'est beaucoup moins : l'appel aux réformes « urgentes », toujours au nom du respect des déficits publics et de l'intégration à la mondialisation, inclut cette élévation de l'âge légal de la retraite : après les élections présidentielle et législatives, M. Moscovici se chargera de le rappeler aux heureux élus, sans, évidemment, tenir compte des populations directement concernées, comme on l'a vu et le voit toujours dans le cas de la Grèce et des Grecs. On pourrait paraphraser Lénine, dont M. Moscovici fut, en d'autres temps, le chantre, pour signifier cette attitude des Européens de Bruxelles : « le peuple, pourquoi faire ? »...
Il est bien possible, et fort probable, qu'une nouvelle réforme des retraites soit présentée dans la foulée des élections, quoique l'on en dise aujourd'hui dans certains états-majors politiques : si M. Fillon ne cache pas, lui, ses ambitions en ce domaine, M. Macron est moins disert, mais sa volonté de « coller » à l'Europe de Bruxelles pourrait rapidement mener à une nouvelle tentative d'élever l'âge légal, même s'il propose aussi des alternatives ou des formes adoucies à cette réforme voulue par la Commission...
Les affiches royalistes de 2011 contre la retraite à 67 ans n'ont jamais cessé d'être d'actualité : Cassandre ne se décourage pas !
Post-scriptum : une précision s'impose, pour éviter tout malentendu : il ne s'agit pas d'imposer à tous ceux qui veulent travailler au-delà de la soixantaine de s’arrêter d'exercer leur profession, mais de défendre l'idée que l'âge légal de départ à la retraite doit être raisonnable pour permettre à tous de profiter d'une vie agréable au-delà même de la vie professionnelle, si tel est le souhait exprimé des personnes concernées, tout simplement !