De Thomas Flichy de La Neuville :
"Les Etats-Unis viennent d’opérer trois actions militaires spectaculaires. Il s’agit en premier lieu d’une frappe effectuée le 7 avril sur la base syrienne de Sha’irat par 59 missiles de croisière, en second lieu de l’envoi du porte-avion Carl Vinson, accompagné de son escadre navale vers les eaux de Corée du Nord, et en troisième lieu du largage d’une bombe de type Moab en Afghanistan. Ces actions ont laissé penser que le président Trump opérait un virement à 180° de sa politique étrangère. En réalité, la base de Sha’irat fonctionnait à nouveau normalement un jour après l’attaque. Quant à l’escadre américaine, elle effectuait des manœuvres conjointes avec la Corée du sud depuis le 1er mars dernier. Ceci nous montre qu’il est parfois hasardeux de confondre les actions de communication militaire avec les véritables revirements stratégiques.
Quelles sont donc les raisons de ces deux actions de communication, sans grand effet sur les équilibres géopolitiques du monde ? Il faut bien comprendre que le véritable front pour le président Trump n’est ni au Levant ni en Extrême-Orient mais bien à l’intérieur de la Maison Blanche. Le nouveau président a été élu malgré l’opposition de l’ensemble de l’appareil d’Etat, qui prédisait avec une grande constance sa défaite à venir dans les sondages. Il doit aujourd’hui s’emparer des leviers de commande des Etats-Unis malgré l’hostilité du pouvoir judiciaire, médiatique, et financier. Or ses soutiens fiables - qui ont déserté depuis longtemps les sphères de l’intelligence politique et culturelle pour se livrer aux activités mercantiles – sont trop peu nombreux pour pouvoir occuper les postes à responsabilité. Ceci explique en partie la militarisation de la haute administration. Le président a donc été élu, mais ne disposant pas de la masse critique de cadres compétents, il est paralysé.
Pour le président, le temps est compté, puisque les mid-term elections auront lieu le 6 novembre 2018. Il sait que les présidents des Etats-Unis qui ont affronté avant lui la Federal reserve n’y ont pas survécu. Il s’agit d’Abraham Lincoln et de John Kennedy. Il lui faut donc donner des gages à ses adversaires. Il a dû accepter le renvoi de ses amis proches le général Flynn puis Steve Bannon. Il sait surtout que la seule façon de s’emparer du pouvoir tout en donnant des gages à ses adversaires néo-conservateurs qui ont pensé et mis en œuvre le chaos constructeur au cours de la dernière décennie, consiste à lancer des offensives militaires ou bien à faire mine de le faire. Le complexe militaro-industriel demandait des guerres maîtrisées pour écouler ses productions avec régularité. Donald Trump vient de le leurrer avec un brin de malice. Quelques heures après que les missiles de croisière eussent été tirés sur des hangars vides, l’adversaire, ébloui par les feux, ouvrait un large bec et laissait tomber sa proie. Le juge fédéral Neil Gorsuch – fidèle du président – était en effet adoubé par le Sénat. C’est la plus grande victoire intérieure de Donald Trump depuis le 20 janvier. Le corbeau honteux et confus jura, mais un peu tard qu’on ne l’y prendrai plus."