Le scandale est levé par l’hebdomadaire Minute dans son numéro daté d’aujourd’hui : l’Assemblée nationale ne respecte pas le Code du travail et les assistants parlementaires des députés qui vont être battus aux élections législatives sont inquiets pour leur avenir. Vont-ils devoir aller aux prud’hommes ? Voici, exceptionnellement, l’intégralité de cet article.
C’est une de ces histoires absurdes, comme seule la France peut en inventer. A l’Assemblée nationale, le lieu où l’on écrit et vote les lois, on ne respecte pas la loi ! Ce sont 1 200 collaborateurs parlementaires qui vont en faire les frais…
Collaborateur parlementaire : dans les couloirs de l’Assemblée, on dit un « collab’ ». Le grand public les a découverts avec Pénélope Fillon. Dans la réalité, les salaires sont moins confortables, les bureaux parisiens des députés et leurs permanences parlementaires moins agréables que le manoir de Beaucé et le travail du « collab’ », plus fastidieux et, surtout… plus réel.
Juridiquement, ces collaborateurs parlementaires – dont la liste est intégralement disponible sur le site de l’Assemblée – sont employés directement par le député. Celui-ci peut donc être comparé à un chef d’entreprise, responsable d’une petite PME. Chaque député a son numéro de Siret, paye ses charges patronales et salariales, etc. Une comparaison qui en fait hurler certains. Ainsi, pour Marie-Françoise Clergeau, député socialiste nantaise, questeur de l’Assemblée – et donc responsable des services administratifs –, « le député-employeur n’est pas considéré comme une entreprise soumise aux mêmes règles du Code du travail ». Elle-même emploie quatre collaborateurs, dont… sa fille.
Député battu, collab’ au chômedu
Quoiqu’il en soit, et parce qu’on ne devient pas député pour faire de la paperasse, la quasi-totalité d’entre eux a signé, en début de mandat, une délégation de gestion aux services de l’Assemblée nationale. Une facilité dont ils auraient eu tort de se priver. Résultat, ce sont ces services administratifs de l’Assemblée qui payent les petites mains des députés. Jusqu’ici, tout va bien. C’est après que ça se gâte, à la fin du mandat.
En effet, c’est bête à dire mais un mandat électif dépend… des élections, donc des électeurs. Et les élections, on peut les perdre. Résultat, si le député sortant n’est pas réélu ou ne se représente pas, il doit donc licencier son collaborateur parlementaire. Là où ça se complique, c’est pour déterminer le motif du licenciement…
Pour l’intersyndicale (de la CGT à la CFTC) des assistants parlementaires – reçue par Myriam El Khomri, quand celle-ci était encore ministre du Travail –, le motif du licenciement est évidemment économique. L’entreprise « député » ferme : le licenciement est donc économique.
Mais pour les services de l’Assemblée, le motif du licenciement est forcément… personnel. Pire, il semble être interdit de licencier un collaborateur pour motif économique.
Résultat, le nouveau chômeur voit donc son indemnité passer de 75 % à 57 % de son salaire brut ! Une paille… qui ne tient pas devant les prud’hommes.
Pour les prud’hommes, l’Assemblée a tort !
Comble de cette affaire, la jurisprudence dit exactement l’inverse de ce que prétendent les services de l’Assemblée nationale. Julien Aubert, député LR du Vaucluse, en a fait les frais. Fin 2016, il licencie une de ses collaboratrices, suite à la fermeture de sa permanence d’Apt. Sur les conseils des services de l’Assemblée, le député évoque alors un licenciement pour motif personnel. La dame ne l’accepte pas, va aux prud’hommes d’Avignon et obtient son licenciement économique. Pour les juges, les services de l’Assemblée ont tort ! Ce qui ne fait pas le meilleur effet quand on sait que les députés sont sensés écrire et voter la loi.
Reste qu’aujourd’hui, les collaborateurs parlementaires licenciés dans un mois ne savent toujours pas à quelle sauce ils vont être mangés…
D’un côté, on imagine mal les milliers de collab’ laissés sur le carreau attaquer leurs patrons respectifs aux prud’hommes. Qui plus est dans ce monde politique, où tout est une affaire de réseaux, de copinage, voire même de famille… De l’autre, on ne voit pas non plus comment l’Assemblée nationale va pouvoir continuer longtemps à s’asseoir ainsi sur le droit du travail.
Dura lex, sed lex. Ce n’est pas à un député qu’on va apprendre cela.
L. H.
Article paru dans Minute n° 2824 daté du 31 mai 2017