Ok

En poursuivant votre navigation sur ce site, vous acceptez l'utilisation de cookies. Ces derniers assurent le bon fonctionnement de nos services. En savoir plus.

Quand les gens parlent de "droits de l'homme", j'ai toujours plus ou moins l'impression qu'ils font du second degré

Après la crise de la veille, une certaine bénévolence flottait autour des tables du petit déjeuner. Josette et René avaient l'air en pleine forme ; par contre, les écologistes jurassiens étaient dans un état lamentable, je m'en aperçus dès leur arrivée clopinante. Les prolétaires de la génération précédente, qui apprécient sans complexe le confort moderne lorsqu'il se présente, se montrent en cas d'inconfort avéré beaucoup plus résistants que leurs enfants, ceux-ci dussent-ils afficher des positions "écologistes". Éric et Sylvie n'avaient pas fermé l’œil de la nuit ; Sylvie, de plus, était littéralement couverte de cloques rouges.
     "Oui, les moustiques m'ont pas ratée, confirma-t-elle avec amertume.
     - J'ai une crème apaisante, si vous voulez. Elle est très efficace ; je peux aller la chercher.
     - Oui je veux bien c'est gentil ; mais on d'abord prendre un café." 
     Le café était dégueulasse, très clair, presque imbuvable ; de ce point de vue là, au moins, on était aux normes américaines. Ils avaient l'air bien cons, ce jeune couple, ça me faisait presque de la peine de voir leur "paradis écologique" se fissurer sous leurs yeux ; mais je sentais que tout allait me faire de la peine, aujourd'hui. Je regardai à nouveau vers le sud. "Je crois que c'est très beau, la Birmanie", dis-je à mi-voix, plutôt pour moi-même. Sylvie confirma avec sérieux ; en effet c'était très beau, elle avait entendu dire la même chose ; cela dit, elle s'interdisait d'aller en Birmanie. Ce n'était pas possible d'aller au maintien d'une dictature pareille. Oui, oui, pensai-je ; les devises. "Les droits de l'homme, c'est important !" s'exclama-t-elle, presque avec désespoir. Quand les gens parlent de "droits de l'homme", j'ai toujours plus ou moins l'impression qu'ils font du second degré ; mais ce n'était pas le cas, je ne crois pas, pas en l'occurrence.
     "Personnellement, j'ai cessé d'aller en Espagne après la mort de Franco", intervint Robert en s'asseyant à notre table. Je ne l'avais pas vu arriver, celui-là. Il avait l'air en pleine forme, toutes ses capacités de nuisance reconstituées. Il nous apprit qu'il s'était couché ivre mort, et avait par conséquent très bien dormi. Il avait failli plusieurs fois se foutre dans la rivière en rejoignant son bungalow ; mais finalement, cela ne s'était pas produit. "Inch Allah", conclut-il d'une voix sonore.
Michel Houellebecq, Plateforme

Les commentaires sont fermés.