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Claude Seignolle, le réenchanteur

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Claude Seignolle est mort le 13 juillet, Il venait d’avoir 101 ans le 25 juin dernier ! Folkloriste, conteur et enchanteur, c’était un des plus beaux vieillards de France dont il connaissait toutes les patries et les parties secrètes. Mieux qu’historien : diseur de légendes. Olivier François lui avait rendu hommage l’année dernière dans notre dossier d’Éléments “La réponse polythéiste” numéro 167.

Maître de l’étrange, fantastiqueur en sabots, grand initié aux arcanes du Démon et de ses pompes, collecteur folkloriste disciple d’Arnold van Gennep, collectionneur de légendes et de menteries, brocanteur de superstitions et de chimères, barde et conteur de tous les pays de France, écrivain de race admiré et salué par Lawrence Durell, Blaise Cendrars, Thierry Maulnier, Pierre Mac-Orlan et Hubert Juin, Claude Seignolle avait eu 100 ans le 25 juin dernier. Cet anniversaire a été célébré plus que discrètement par la presse nationale ou généralement passé sous silence. N’en soyons pas étonnés car cela fait bien longtemps que les journaux de l’Hexagone ne savent plus reconnaître les vraies grandeurs. Ils n’admirent désormais que les talents moyens, les talents comme-il-faut, les mous et les tièdes, les fruits désinfectés et sans saveur.Maître de l’étrange, fantastiqueur en sabots, grand initié aux arcanes du Démon et de ses pompes, collecteur folkloriste disciple d’Arnold van Gennep, collectionneur de légendes et de menteries, brocanteur de superstitions et de chimères, barde et conteur de tous les pays de France, écrivain de race admiré et salué par Lawrence Durell, Blaise Cendrars, Thierry Maulnier, Pierre Mac-Orlan et Hubert Juin, Claude Seignolle a eu 100 ans le 25 juin dernier. Cet anniversaire a été célébré plus que discrètement par la presse nationale ou généralement passé sous silence. N’en soyons pas étonnés car cela fait bien longtemps que les journaux de l’Hexagone ne savent plus reconnaître les vraies grandeurs. Ils n’admirent désormais que les talents moyens, les talents comme-il-faut, les mous et les tièdes, les fruits désinfectés et sans saveur. L’œuvre de Claude Seignolle est certainement trop forte – ainsi que les alcools de certaines distilleries clandestines – pour les admirateurs des fémelins de la littérature contemporaine. On y respire l’air vif d’un monde très ancien, de cette vieille civilisation qui a précédé la grande mue industrielle ; on y sent des odeurs de landes et de marais, de bois et de ruisseaux, des muscs paysans, des fumets de plantes et de bêtes sauvages. Les loups y dévorent toujours les agneaux et les jolies bergères ; les animaux n’y sont pas trente millions d’amis, mais parfois les gardiens de secrets immémoriaux, des intercesseurs vers ce qui est en deçà ou au-delà de l’humain. On y entend aussi des musiques que le brouhaha moderne a aujourd’hui recouvert, les symphonies que jouait la nature quand elle était toujours cosmos ou création divine, les chants des dieux et des fées, les cris des démons et des faunes ; et de plus simples chansons paysannes, ces refrains entonnés par les peuples de la glèbe et de la faux pour conjurer le sort, s’accorder la faveur des astres, maudire leurs ennemis, louer le retour des saisons et bénir la fécondité des femmes.

[Recueillir les derniers feux d’une civilisation]

Claude Seignolle n’est pas un écrivain bucolique comme ces petits maîtres du XVIIIe siècle français, ces poudrés qui rêvaient d’un monde policé, réconcilié et aménagé, d’un grand jardin taillé au cordeau destiné aux marquises en rose et aux abbés de cour. Le royaume seignollesque n’est pas le cauchemar climatisé du Grand Architecte. Le bien et le mal n’y sont pas ces entités abstraites qui inspirent aux philosophes et aux théologiens modernistes les froides spéculations des sommes et des traités. Claude Seignolle enseigne, à rebours, une sorte de pensée sauvage, une « manière d’être », notait Hubert Juin dans une préface à La Malvenue, qui semble « posée de biais pas rapport à l’Histoire » et qui se joue des catégories religieuses et philosophiques classiques, ces carcans spirituels imposés aux peuples européens par les absolutismes cléricaux et politiques. Satanisme paysan et carnavalesque, catholicisme populaire d’avant la réforme tridentine, survivances païennes, animisme et petites religions locales s’affrontent ou se conjuguent pour la joie et l’inquiétude des lecteurs. L’univers retrouve enfin ses ambigüités, ses rythmes et ses alternances. À nouveau le sang et la sève coulent à travers les veines et les racines du monde. À nouveau la nuit est une nuit de mystères, d’angoisses ou de rêves, une nuit qui n’est pas polluée par « les affichages célestes » de la société marchande. À nouveau la lune est une puissance qui fait battre les entrailles, inspire les amants et incite aux chasses les plus sauvages. La lecture de Claude Seignolle est une aventure plus dépaysante que toutes les explorations spatiales car elle nous restitue des dimensions du ciel et de la terre que nous avions perdues. Claude Seignolle a 100 ans, mais nous pourrions parfois en douter. Cet écrivain est moins vétuste et empoussiéré que la plupart des romanciers contemporains. Sa langue est drue, son imagination vive, et ses livres envoutent immédiatement. Ouvrir les pages des ses romans et de ses recueils de contes ne donne pas l’impression d’entrer dans une serre ou dans un petit salon propret où le maître des lieux présente avec parcimonie des plantes artificielles ou de petits meubles cirés qui font sans doute le bonheur des musées, mais ne touchent ni l’âme ni le cœur ni l’esprit. Au contraire c’est beau, c’est grand, c’est généreux, Seignolle ! Cela ressemble davantage à la noce de Brueghel l’Ancien qu’aux agapes petites-bourgeoises. Et il ne déçoit jamais, il a compris ses lecteurs et ne trahit pas leurs espérances. Il leur offre toujours les sortilèges de cet esprit d’enfance qui réenchante le monde ou le défait avec une ironie cinglante, et ouvre des perspectives – de terreur ou de joie – auxquelles l’esprit habitué des adultes est souvent définitivement fermé. Seignolle a 100 ans mais il est plus jeune que tous les trentenaires, les quarantenaires, les quinquagénaires, les sexagénaires – ne parlons pas des sexygénaires –, les septuagénaires, les octogénaires et les nonagénaires réunis. Jeune centenaire, Seignolle pourrait d’ailleurs aussi bien être un très jeune bicentenaire ou tricentenaire, voire être né il y a mille ou trois mille ans. Pour ma part, je l’imagine assez jeune barde d’une tribu gauloise d’avant la conquête romaine, sorcier du Haut Moyen Âge résistant à la christianisation, gueux des croisades populaires, errant de la Sainte Russie, trafiquant de poisons et de philtres d’amour dans la Chine des Mings, colporteur traversant les pays du royaume de France au milieu du XVIIIe siècle, clochard céleste et trimardier… Seignolle en a gardé la très haute sagesse et la très sage fantaisie. Mais d’où vient ce sacré bonhomme, me direz-vous ? Cent ans, c’est une vie que l’on peut saisir à vue d’homme, n’est-ce pas ? Il est parfois fastidieux de retracer précisément la vie des écrivains. Le genre biographique échappe souvent à l’essentiel en se perdant dans des détails, des dates, des faits qui se veulent révélateurs, mais occultent l’esprit et le sens réel d’une destinée. Aussi certains secrets ne doivent pas être percés, jetés en pâture à la curiosité mauvaise du public. Seignolle doit évidemment d’abord se rencontrer dans son œuvre, mais nous révélerons pourtant deux moments de son existence, deux expériences de son enfance et de sa jeunesse, qui sont fondateurs de sa singulière sensibilité. Car le futur quêteur d’histoires et de légendes a senti très tôt le frisson du mystère et décidé de son destin.
[Une enfance sorcière]

Voici ce qu’écrit maître Seignolle dans Une enfance sorcière, un de ses rares récits vraiment autobiographiques : « C’est à Périgueux, dans un Périgord truffé du passé le plus ancien, celui des civilisations longtemps dites antédiluviennes que ma mère me porta en ventre, de septembre 1916 au 25 juin 1917. Chaque jour de sa croissante grossesse, elle se livra à de vaillants exercices pédestres, car elle n’a jamais su tenir en place, et promena le docile fœtus que j’étais, l’imprégnant d’ambiances extérieures qui décidèrent de mes goûts futurs, tant il est vrai qu’un embryon subit non seulement l’héritage chromosomique mais encore les influences, le milieu et les humeurs d’autrui. Et l’on comprendra le sort de ma destinée lorsqu’on saura que ma mère avait de hautes prédilections, puisqu’elle parcourait avec ivresse les ruines des arènes romaines et pétrocoriennes, les jardins des musées encombrés de stèles funéraires gauloises, de gisants médiévaux, ou qu’elle allait à Chancelade, un site où l’on avait découvert le crâne d’un des hommes les plus vieux du monde… J’affirme que ce fut là que je pris les premiers frissons de mystère et le virus de la pierre. » L’enfance de Claude Seignolle est en effet imprégnée de mystère et nourrie par les légendes et les chimères qui hantent encore un pays peu touché par la modernité en ce début du XXe siècle. Les vieilles peurs et les plus antiques croyances sont toujours présentes dans le cœur et l’esprit de paysans qui n’ont pas encore été complètement assimilés. On rencontre toujours, au détour des chemins, des « encloueurs de vipères, des forgerons magiciens qui guérissent les enfants convulsionnaires en faisant mine de leur écraser le ventre ou la poitrine d’un coup de masse », de « vieilles goitreuses qui racontent des prodiges, y croyant ferme, mettant les noms de leurs parents à des personnages surnaturels et donnant l’impression d’être elles-mêmes d’anciennes princesses malchanceuses et déchues ; des femmes qui portent sur elles des Abraxas… destinés à retourner les mauvais sorts ». Et la campagne bourdonne encore de la rumeur des superstitions, des histoires de possession, de fées et de sources sacrées, d’hommes changés en loup et de « chasses volantes ». Tout cela enflamme évidemment l’imagination d’un enfant qui préfère certainement ce monde sauvage et fantastique à l’enseignement rationaliste et sans joie des sinistres instituteurs de la République. Claude Seignolle eut la chance de connaître cette enfance sorcière. Il a bu aux sources encore vives d’une grande culture populaire.

[Sa rencontre avec Arnold van Gennep]

La seconde matrice de l’œuvre de notre écrivain sorcier est la rencontre avec Arnold van Gennep (1873-1957), savant ethnologue et auteur d’un monumental Manuel de folklore français contemporain. En 1926, le père du petit Claude s’est décidé à monter à Paris pour se lancer dans le commerce du textile. Après trois ans passés dans la capitale, la famille s’est installée enfin à Chatenay-Malabry où le jeune Seignolle retrouve « un peu de la campagne » que l’exil parisien lui avait interdit. « À Chatenay, il y avait encore un reste de nature ; une campagne verdoyante farcie de noms évocateurs : Vallée-aux-Loups, rue du Loup pendu, voie de l’Homme mort. » L’adolescent voue à cette époque une passion pour les vieilles pierres et les objets antiques, virus de la pierre que lui a transmis sa mère. Les vestiges des civilisations disparues le fascinent. Dans les bois d’Aulnay, de Robinson ou de la Vallée de Chevreuse, il part en quête de statuettes, de monnaies romaines ou de silex mégalithiques. C’est en assistant aux conférences de la Société archéologique de France que Claude Seignolle va rencontrer Arnold van Gennep. Une rencontre déterminante qui sera véritablement à l’origine de sa vocation de folkloriste et d’écrivain. « Van Gennep n’eut pas de peine à me démontrer que les cailloux historiques et préhistoriques pouvaient encore attendre ; par contre ce qui ne pouvait plus, c’étaient les vieux paysans illettrés qui mouraient à corbillard-que veux-tu en emportant leur pleine tête de traditions orales : je devais m’empresser de cueillir le contenu vivant de ces crânes-là au lieu d’attendre que la mort les ait pourris, me les laissant creux comme des tourteaux vides et sans utilité, dans les ossuaires. Il fallait faire vite, bondir sur eux tant qu’il y avait encore de ces vieillards bredouilleurs d’anciennes légendes, dictons ou sornettes, et les questionner avant leur mise en terre d’oubli. » Et c’est ainsi qu’un enfant périgourdin, grâce à l’impulsion d’un vieux savant, est devenu Claude Seignolle. Pendant plus de trente ans, il va garder le bâton de chercheur de coutumes paysannes, parcourant les provinces françaises pour recueillir les derniers feux d’une civilisation en voie de disparition. De cette quête du graal populaire naîtront des ouvrages aussi essentiels que Les Évangiles du Diable dans la tradition populaire, les volumes des Contes populaires et légendes des pays de France ainsi que de nombreux recueils de nouvelles et romans d’une inspiration plus personnelle – La Malvenue, Marie la louve, La morsure de Satan, Les chevaux de la nuit, Le rond des sorciers – où son talent d’écrivain s’est révélé et qui classent Seignolle parmi les grands rénovateurs du genre fantastique en France. Citons enfin un récit à part dans la bibliographie seignollienne, La gueule, une évocation hallucinée de la Seconde Guerre mondiale qui rappelle, par son ton et son regard, les pages les plus fortes du Kapput de Curzio Malaparte. Et c’est ainsi que Claude Seignolle est grand ! Le prétendu Roman national inspire aujourd’hui des parcs d’attractions où les jets de la Patrouille de France se mêlent aux poilus des tranchées de 14-18, aux Vikings et à la pucelle Jeanne, aux Chouans et aux gladiateurs. Certains journalistes disent que c’est une réjouissante expression de l’identité française. Pauvre identité française révisée par le spectacle qui oscille entre le chauvinisme et le kitch. Les historiens post-modernes, eux, s’empressent de réécrire notre histoire à la lumière des derniers « progrès » des genders et autres cultural studies. Et ils publient d’indigestes pensums où nos peuples sont absents ou calomniés. Claude Seignolle n’est certes pas un historien, c’est un écrivain et un enlumineur du verbe populaire. Mais il a sauvé de la condescendance de la postérité – selon l’expression de l’historien britannique d’Eward P. Thompson – les traditions, les croyances et les mythologies des peuples de France. Non pas le Peuple, cette idole en toc, mais la belle tapisserie bigarrée des peuples de France, de leurs pays et de leurs terres. En lisant les ouvrages de l’enchanteur Seignolle ne pouvons-nous pas retrouver aussi certains instincts, certaines formules de vie, de pensée et de conjurations que l’homme européen a trop vite oublié ? Archaïque est aujourd’hui une insulte. Mais ne devons-nous pas être archaïques face au ressentiment des réactionnaires et à l’insouciance béate et suicidaire des progressistes ? La révolution sera sorcière…

Olivier François

Tribune reprise dBlog éléments

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