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L’islam est multiple, mais il y a aussi une forme d’unité idéologique de l’islam

6a00d83451619c69e2022ad35d25d2200c-200wi.pngOdon Lafontaine, spécialiste de l'islam (lire Le Grand secret de l'islam), a été longuement interrogé par Franck Abed. Extrait :

"En Europe, beaucoup ont tendance à parler de l’islam comme si celui-ci n’était formé que d’un bloc, alors qu’en réalité il est multiple (chiisme et sunnisme, dont les différentes écoles juridiques de ce dernier, nouveaux courants réformistes, traditionnalistes, salafistes, « islam des lumières », soufisme etc.). D’où vient cette simplification outrancière ? De fait, ne participe-t-elle pas à une méconnaissance de l’islam ou des islams ? Concrètement, comment appréhender ou combattre un phénomène méconnu voire inconnu ?

C’est là un des sujets traités au fond dans mon dernier livre, La Laïcité, mère porteuse de l’islam ? (3). J’y renvoie les lecteurs pour des explications complètes.

Très grossièrement on pourrait penser que les flux d’immigration musulmane ayant été à peu près homogènes jusqu’à présent, cela a pu nourrir cette idée chez certains Occidentaux d’un islam unifié. Forcément, les Français n’ont vu principalement de l’islam que celui des Maghrébins malékites de leurs colonies d’Afrique du Nord, les Allemands celui des Turcs hanafites et les Anglais celui des Indo-Pakistanais, Egyptiens et Irakiens, hanafites également. Les vagues plus récentes d’immigration montrent cependant combien l’islam est beaucoup plus divers que cela.

On pourrait aussi identifier certains facteurs identitaires et historiques chez les Européens qui leur ont fait voir l’islam comme un bloc unifié. L’identité européenne s’est en partie construite par son opposition aux musulmans et à l’islam : l’opposition doctrinale et totale entre islam et christianisme, la guerre d’expansion conduite par l’islam très tôt en Europe, la coupure avec la partie de l’empire romain d’Orient prise par l’islam, puis sa perte totale, les entreprises de reconquista de l’Espagne ou de la Terre Sainte, l’alliance des puissances européennes pour résister aux coups de boutoir des Ottomans, la piraterie et les razzias barbaresques, etc. ont longtemps forgé une image du musulman comme ennemi juré de l’Occident et de l’islam comme hérésie absolue. La colonisation et la soumission de la quasi-totalité des « terres d’islam » à une Europe triomphante ont relativisé cette perception, introduisant davantage de complexité. Le développement de l’antichristianisme occidental à partir du XVIIIe siècle a par ailleurs inoculé une dimension idéologique nouvelle dans la perception de l’islam et « du musulman » : c’est durant ces périodes que certains historiens ou philosophes, comme Voltaire ou Guillaume Libri ont commencé de construire une histoire fantasmée et reconstruite de l’islam comme pendant à l’histoire chrétienne de l’Europe que l’on cherchait ainsi à dévaloriser (la chimère du paradis perdu de l’Andalousie, par exemple, havre de paix et de tolérance dans une Europe alors en proie à la sauvage barbarie des âges obscurs). De là commencèrent d’émerger des figures idéologiques « du musulman » à partir desquelles le XXe siècle a imposé les siennes. Depuis les années 1950, la figure « du musulman » a en effet été présentée comme celle du nouveau révolutionnaire selon la grille d’analyse marxiste, ou plutôt progressiste : « le musulman » en lutte contre l’oppression impérialiste (les moudjahidine du FLN), « le musulman » construisant dans son pays une voie de développement alternative au capitalisme (Ben Bella recevant Che Gevara à Alger), « le musulman » immigré en Europe comme outil de destruction du monde occidental d’avant, de ses traditions, de ses racines, de sa religion, de son identité (des intouchables « potes » de SOS Racisme aux « migrants » régénérateurs de Georges Soros et Jacques Attali, en passant par les « kids de Bondy » encensés par France Inter et Télérama pour leur contribution heureuse au multiculte, chaque génération se construit son « musulman de service »). Cette vision « du musulman » relève du fantasme idéologique, passant par pertes et profits la complexité de l’histoire, de l’islam et les réalités vécues par les personnes.

Car oui, l’islam est multiple, traversé par des logiques parfois antagonistes, des dynamiques historiques, culturelles, nationales, nationalistes, des courants religieux, des influences extérieures, et désormais des dynamiques issues de l’enracinement de l’islam dans les pays européens… Face à une telle diversité, on pourrait ainsi céder à la facilité de refuser d’y comprendre quoi que ce soit, ou à celle de se contenter de schémas idéologiques. Je pense cependant que, notamment grâce à l’étude historique profonde et à l’analyse des idées, on peut déterminer une certaine cohérence, une forme d’unité à tous « les islams » : c’est cette même conviction que l’islam serait la solution au mal (les définitions de l’islam et du mal pouvant cependant varier… la chose est complexe !). L’islam étant principalement une idéologie, comme j’ai pu le souligner et montrer déjà maintes fois au fil de nos échanges, on peut comprendre cette diversité par l’analogie avec d’autres idéologies, comme le mouvement socialo-communiste : bolchéviques et menchéviques, léninistes, stalinistes, trotskistes, maoistes, khmers, juche, révolutionnaires, réformistes, nationalistes, internationalistes… Tous différents, mais tous unis derrière la poursuite du même rêve de libération de l’humanité.

L’identité islamique, la solidarité entre musulmans de toutes obédiences dans l’adversité et le sentiment d’appartenance à une même communauté se révèlent cependant lorsque le projet de l’islam lui-même est en jeu, lorsqu’il s’agit de se battre contre le Mal, lorsque, par exemple, l’islam est menacé, lorsqu’il y va de son projet messianiste». C’est ainsi que tous les pays musulmans, par-delà leurs différences, se sont associés au sein de l’OCI (Organisation de la Coopération Islamique, qui regroupe les chefs d’Etat des 57 pays musulmans). L’OCI constitue de fait la première autorité de l’islam, tout à fait capable de parler d’une seule voix et d’agir en commun pour le bien de l’islam, au nom de son expansion, comme je l’ai déjà souligné dans nos échanges. On trouve des exemples de cette solidarité dans le front commun face à « l’islamophobie ». On connait l’officine qui s’est positionnée sur ce créneau en France, le CCIF et ses accointances salafistes. Il est facile de constater qu’elle travaille à la communautarisation des musulmans contre la société civile traditionnelle française. Elle est donc objectivement un agent de fractionnement, de dissolution de cette société civile, un agent de chaos, lequel chaos ne servira ni l’islam ni la France… Ce constat est à la portée de tous, avec ou sans les révélations de Wikileaks. Hé bien, j’ai toujours été étonné de constater l’audience du CCIF chez les musulmans les plus « modérés », les musulmans les plus français et se revendiquant de la France, alors même qu’ils devraient le voir comme leur pire ennemi.

Alors oui, bien sûr, l’islam est multiple, mais il y a aussi une forme d’unité idéologique de l’islam qui peut justifier cette perception d’un « bloc » musulman. Perception que renforcent encore les idéologies progressistes occidentales lorsqu’elles assimilent les musulmans à la figure « du musulman », c’est-à-dire du « musulman de service », du musulman mis au service du schéma idéologique progressiste."

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