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Jupiter et les Gaulois Par Natacha Polony

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La géographie macronienne est une discipline complexe. Elle permet, le lundi, devant des ambassadeurs, d’affirmer que « les identités profondes des peuples ont resurgi, avec leurs imaginaires historiques », et d’affirmer le mercredi que « le vrai Danois n’existe pas, il est déjà Européen » et que « c’est pareil pour les Français » mais que, malgré tout, ce « peuple luthérien », qui donc existe, est ouvert aux réformes et « n’est pas exactement le Gaulois réfractaire au changement », qui lui-même existe. On s’y perd un peu. On aura en revanche bien compris que cette géographie distingue précisément le territoire national du reste du monde, où il est possible et plaisant de récriminer contre les « fainéants », les « réfractaires » et tous ceux qui ont le mauvais goût de ne pas s’esbaudir devant le « nouveau monde ».

La géographie est aléatoire, mais l’histoire ne l’est pas moins. « Le Gaulois », donc, serait « réfractaire » aux réformes, aux changements. Cri du cœur du trader qui rêve de rebâtir Wall Street sur les ruines d’Alésia. Les Gaulois latinisés bâtirent la civilisation gallo- romaine dans laquelle s’enracinent les gloires de la France. Ils le purent grâce à l’instauration par Auguste de cette Pax Romana qui garantissait que l’État jouait son rôle et protégeait les habitants de l’Empire. Peu de peuples se tournèrent vers l’avenir en rompant avec leurs archaïsmes avec autant de célérité que les Gaulois. En revanche, quand s’effondrèrent l’État et les structures sociales et politiques, quand la loi de la jungle redevint la règle, les Gaulois furent un peu réfractaires, comme tout les peuples de l’Empire, à son effondrement. Le changement vers la barbarie n’a curieusement pas l’heur de plaire aux peuples.

Un peu d’histoire, encore. Ne sont-ce pas les Danois, ces Danois tellement ouverts au « nouveau monde », qui ont, les premiers, refusé par référendum le traité de Maastricht ? C’est sans doute la raison pour laquelle ils ont pour devise la couronne et non l’euro... Peut-être avaient-ils tout simplement anticipé ce que le désormais ex-ministre de la Transition écologique constatait en annonçant sa démission : l’orthodoxie budgétaire européenne interdit tout véritable investissement.

On aura compris que les considérations jupitériennes sur l’essence des peuples n’avaient pour but que d’offrir une diversion médiatique à l’effondrement de son édifice politique. Diversion sur le fond et sur la forme. Sur la forme, en servant aux médias une de ces phrases délicieusement caricaturales qui agitent aussitôt les foules. Sur le fond, surtout, en se posant comme le guide entraînant le troupeau ignorant vers les lendemains glorieux du nouveau monde, l’homme du changement, pour faire oublier que la démission de Nicolas Hulot prouve la stricte conformité du macronisme avec tout ce qui s’est fait avant lui.

La défaite de Nicolas Hulot était écrite. Mais contrairement au message martelé par les bons soldats de La République en marche, il n’est absolument pas ce maximaliste, cet idéaliste radical qui font l’essence de la politique. Il est au contraire de ceux qui pensent que chaque petite victoire vaut la peine, et qu’à tout prendre, si l’on a emporté quelques arbitrages, ce sera toujours ça de gagné. Mais justement, il n’a rien emporté (Notre-Dame-des-Landes relève de considérations d’ordre public et non de souci écologique). Derrière les discours lyriques et les vidéos racoleuses, rien. Ou plutôt, tout pour les intérêts en place. La grande distribution, qui pourra continuer à bétonner les sols et faire baisser les prix payés aux producteurs, Total, qui pourra importer 300 000 tonnes d’huile de palme par an, la FNSEA, qui pourra continuer à prôner un modèle d’agriculture totalement obsolète et mortifère, les multinationales en général, qui pourront s’appuyer sur les traités de libre-échange signés par l’Union européenne pour importer à bas coût des produits ne respectant aucune norme sociale ou environnementale en ruinant nos agriculteurs et nos PME...

Jupiter moquant les Gaulois réfractaires veut faire croire qu’il incarne le changement quand il est le pur produit d’un système passéiste qui refuse toute réflexion sur les circuits courts, la relocalisation des économies, la reconstitution de bassins d’emploi et de vie par la régulation des échanges, et la mise en place de modes de culture prenant en compte les dernières recherches sur la permaculture et la lutte contre l’érosion des sols.

Le rôle d’un homme d’État est de porter une vision s’appuyant sur la connaissance du passé et l’analyse du présent pour inventer l’avenir, un avenir qui réponde aux véritables aspirations des peuples. Les Gaulois, comme les autres, veulent retrouver la maîtrise de leur vie.

(source : Figaro 1er septembre 2018)

http://synthesenationale.hautetfort.com/

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