Par Perico Légasse*
Qui, de Maurice Genevoix ou de Louis-Ferdinand Céline, aura le mieux traduit l’horreur de la tragédie ? Le mec bien ou le salaud ?
Le premier témoigne du cauchemar du poilu, le second raconte en quoi ce fut une saloperie. Genevoix ira au Panthéon pour Ceux de 14. Et ce n’est que justice. Céline demeurera celui de l’indignité. Idem. De Voyage au bout de la nuit, Bernanos dit qu’il est écrit dans une langue inouïe, « aussi loin que possible d’une reproduction servile du langage des misérables, mais fait justement pour exprimer le ce que le langage des misérables ne saura jamais exprimer ». D’autres textes gravés dans la boue des tranchées, ont aussi raconté, le Feu, d’Henri Barbusse, les Croix de bois, de Roland Dorgelès, le Grand troupeau, de Jean Giono, la Relève du matin d’Henry de Montherlant ou, bouleversant et moins connu, La Peur, de Gabriel Chevalier. Un siècle plus tard, les gorges se serrent en relisant. Le langage des misérables peine toujours autant à se faire entendre, mais, vêtus d’un autre uniforme, tenus par d’autres enjeux, les empires, eux, n’ont jamais désarmé. En avons-nous seulement retenu la leçon.
A ceux qui, sans cesse en quête d’un fascisme ou d’un bolchevisme nécessaires à leur persistance dans le déni de réalité, parlent de similitude avec les années 30, rappelons que la situation ressemble davantage à celle des années 10, avec des espaces vitaux à conquérir sous forme de marchés, au nom d’une globalisation fraîche et joyeuse et, surtout, des superpuissances qui ne cessent de se surarmer au cas où il faudrait contenir l’autre. Si nos élites étaient en phase avec leur époque, voire cohérentes avec leurs propos, c’est d’abord aux parangons actifs du nationalisme belliqueux que furent les maréchaux de 14-18 qu’il faudrait s’en prendre. C’est eux qui poussèrent au crime, eux qui se réjouirent du conflit, eux qui ne voyaient dans l’hécatombe que l’expression de leur génie. La France glorifie solennellement Joffre, Foch, Gallieni, Maunoury, Lyautey, Fayolle et Franchet d’Espèret, à coups de consécrations nationale, à coups de places et d’avenues, ainsi que la ribambelle de généraux à leurs ordres, Nivelle, Mangin, Maistre, assassins en képi, sans oublier l’Anglais French et l’Américain Pershing.
Considérant que telle devait être la manifestation de leur puissance nationale, ils envoyèrent des millions d’enfants de la patrie au massacre. Les poilus défendaient bien cette patrie, la terre de leurs pères, pour que leurs femmes et leurs gosses puissent y vivre en paix. Les maréchaux ne voyaient dans les vagues d’assaut lancées par dizaine de milliers, puis par centaines de milliers, que les performances d’une stratégie apprise à l’Ecole de guerre. Le seul qui rechignait à sacrifier des vies humaines fut le général Pétain, indignement appelé maréchal alors qu’il fut déchu de ce titre par la Haute Cour de justice en août 1945. Convaincu que la guerre allait être perdue et favorable à un armistice avec l’Allemagne en 1917, il ne voyait plus l’utilité des vagues d’assaut. C’est sur ce paradoxe que l’on en fit le héros de Verdun et, vingt-deux ans plus tard, le sauveur du pays. Sept bouchers sans scrupule et un futur traître fascisant. Tels sont ceux qui, auréolés de gloire, passèrent sous l’Arc de triomphe le 14 juillet 1919 lors du défilé de la victoire. Un million quatre cent mille jeunes hommes tombés au « champ d’honneur » pour flatter l’orgueil de ceux qui, aujourd’hui, seraient plus près du crime de guerre que du bâton de maréchal. L’hommage aux maréchaux du 10 novembre 2018 résonne comme un voyage au bout de la honte.