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Mais à qui profite donc l'antisémitisme imputé à Charles Maurras ?

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On aurait bien du mal à dénombrer tout ce qui s'est dit et écrit sur l'antisémitisme de Charles Maurras en l’année de son cent-cinquantenaire. Et de façon trop systématique pour être pensé et véridique.

Il a été beaucoup moins question de sa philosophie, sa politique, son esthétique, son œuvre littéraire, sa poésie. Et de cette soif d'enracinement qui anime les révoltes d'aujourd'hui et fut à l'origine de son entrée en politique. Au fond, malveillance, ignorance et paresse d'esprit se sont conjuguées pour qu'il en soit ainsi. A la surface des opinions l'antisémitisme a prévalu. 

On ne sache pas que jamais Maurras ni aucun de ses disciples, ni aucun des membres de l'Action française, hier et aujourd’hui, aient eu quelque jour l'intention de faire le moindre mal physique ou autre à un quelconque Juif, justement parce qu'il eût été juif. 

Ce que l'on nomme l'antisémitisme de Maurras, que l'on met bien à tort et tout à fait abusivement, au centre de sa vie, de sa pensée et de sa politique, s'apparente en fait à son anti-protestantisme, à son anti-romantisme, à son anti-germanisme, etc. Cet antisémitisme philosophique et politique est parfaitement étranger et parfaitement innocent du sort tragique fait aux Juifs dans les années 30 et 40, par de tout autres acteurs de l'Histoire. Que Maurras et l'Action française avaient du reste toujours combattus.  

Pour quelles raisons profondes Maurras s'opposait-il au romantisme, ou plutôt à un certain romantisme, au germanisme, au protestantisme, au sémitisme, liés, selon lui, par un fond commun contraire au génie national ? C'est là une suite de grands sujets qui mériteraient des études sérieusement menées et qui ne peuvent l'être qu'à partir d'un ensemble de solides connaissances philosophiques, littéraires et historiques et dans une absolue liberté d'esprit. Notre propos ici est plus modeste. Il n'est que de pointer une injustice et d'en dire les ressorts.  

De fait, les événements dramatiques des années 30 et 40 ont investi le vieil « antisémitisme » fin XIXe - début XXe siècle d'une résonance nouvelle et d'un sens inédit éminemment tragiques qui, sans-doute, rendent le terme inemployable aujourd'hui, sans pour autant le disqualifier en soi-même. Car est-il ou non permis de critiquer une tradition politique, littéraire, philosophique ou religieuse, que l'on estime contraire ou simplement étrangère à la tradition à laquelle soi-même on appartient et que l'on considère menacée ? Ceux - fût-ce la communauté juive - qui prétendraient imposer un tel interdit, une telle restriction â la liberté de discussion et de pensée, feraient preuve, selon l'expression employée naguère par le président Mitterrand en de  pareilles circonstances, d'une prétention excessive. Et ceux qui s'y soumettraient abdiqueraient tout simplement leur  liberté de penser, discuter, controverser. 

Antisémite autour des années 1900, au sens que le mot avait alors, Maurras ne fut jamais privé de solides amitiés juives, ni de la liberté de discussion, de controverse ou de polémique, ni des plus cordiales relations, dans le monde et dans la vie intellectuelle française, avec les Juifs les plus illustres de son temps. Proust, Kessel, Halévy*, par exemple. Ils ne prétendaient pas alors à cette sorte de sacralisation ou de sanctuarisation de leurs personnes et de leur cause qu'ils considèrent leur être due aujourd'hui et qui de facto leur est en quelque sorte reconnue.  C'était avant les drames des années 30 et 40 et bien avant le nouvel antisémitisme actuel, agressif et violent, qui ne se loge plus guère que dans les milieux islamistes et d'ultragauche. Maurras pratiquait la polémique en termes qui furent parfois violents, selon le style du temps. Aujourd'hui, on agresse, on torture et on tue. 

Alors pourquoi cette réduction pavlovienne de Maurras à son antisémitisme, abusivement confondu avec celui qui prévalut au cœur des années noires ? Alors que sa pensée couvre tant d'autres sujets et domaines essentiels ? Et que la question juive n'y est pas centrale ? Peut-être tout simplement comme utile et commode bouc-émissaire, comme l'antisémite expiatoire à qui l'on fait endosser, porter le chapeau d'un antisémitisme qui fut en réalité celui de toute une époque, toute une société et d'une multitude de personnalités de droite, de gauche ou d'extrême-gauche dont il serait aisé mais gênant pour les intéressés ou leurs successeurs de dresser la liste innombrable. Maurras pour occulter leurs écrits et leurs paroles ? Conjurer leurs hontes et plus encore leur crainte qu'un certain passé collectif, le leur, ne remonte à la surface de la mémoire publique ? Maurras seul responsable, seul désigné pour endosser, prendre sur lui, et occulter cette réalité ? Chargé de tous les péchés d'Israël pour en dédouaner tant et tant d'autres ?  

Ce n'est pas là qu'une hypothèse. C'est le fait. Ne soyons pas dupes. Et sachons que nous n'avons aucune raison de rougir des maîtres que nous nous sommes choisis ni de plier leur héritage aux impératifs catégoriques de la doxa. Si ces lignes ont une raison d’être, dans le contexte actuel si différent de celui évoqué ici,  c’est pour cette conclusion.   

* Le cas Daniel Halévy est exemplaire.

2515189878.jpgHéritier d'une lignée de grands intellectuels français juifs - son père, Ludovic Halévy avait été académicien français, son frère ainé Élie fut un philosophe célèbre en son temps - Daniel Halèvy avait pour Maurras une amitié et une admiration qui ne se démentirent jamais. Dans Un siècle une vie, Jean Guitton en a dit ceci : « Il avait un culte pour Charles Maurras, qui était pour lui le type de l'athlète portant le poids d'un univers en décadence. ». Halévy qui est l'auteur d'ouvrages majeurs (La fin des notables, Essai sur l'accélération de l'Histoire, etc.) mourut en 1962, dix ans après Maurras, dans des dispositions d'esprit et de cœur inchangées à son endroit. Ajoutons au titre biographique que la mère de Daniel Halévy était une Breguet (les horlogers et avionneurs) et que ni son maurrassisme profond ni sa fidélité à la personne de Pétain ne l'écartèrent des élites dominantes de son temps. Il fut le beau-père de Louis Joxe, résistant et ministre du général De Gaulle, et le grand-père de Pierre Joxe, le président du Conseil Constitutionnel.   

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