Rien ne va plus entre la France et l’Italie, ou tout du moins entre les deux gouvernements et, plus précisément encore, entre Emmanuel Macron et le duo Salvini-Di Maio. La France (fait rare) vient de rappeler son ambassadeur pour consultation. Ce n’est pas encore la guerre mais, dans l’échelle des mesures diplomatiques, en cas de litige entre deux pays, ce n’est pas rien. Ce n’est pas rien, d’autant que nous avons affaire à deux pays frontaliers, deux pays fondateurs et membres de l’Union européenne, deux pays membres de l’OTAN.
Qui a fait l’œuf, qui a fait la poule – ou le coq – dans cette brouille macro-romaine ? Difficile à dire mais les faits sont là. Et Emmanuel Macron – pour une fois ! – n’est peut-être pas le seul responsable. Nous ne remonterons pas à la guerre des Gaules mais, plus modestement, à celle que Nicolas Sarkozy fit en Libye en 2011 avec le coup de pouce qu’elle apporta à l’accélération du chaos migratoire dans le monde méditerranéen. Phénomène que l’Italie, malgré elle, dut subir, de par sa géographie, en première ligne, des années durant et seule. En septembre dernier, le ministre de la Défense italien Elisabetta Trenta (du Mouvement 5 étoiles) avait, du reste, pointé cette responsabilité française en déclarant : « Il est indéniable qu’aujourd’hui ce pays [la Libye] se retrouve dans cette situation parce que quelqu’un, en 2011, a privilégié ses intérêts. » Allusion on ne peut plus claire.
Et puis, évidemment, il y a eu ces échanges d’amabilités, de part et d’autre des Alpes, depuis que les « populistes » sont arrivés au pouvoir en Italie. Au cœur de cette brouille, la question migratoire. Le 21 juin dernier, depuis Quimper, Macron se lançait dans une « envolée de bois vert » qui désignait, entre autres, clairement, Salvini : « Vous les voyez monter, comme une lèpre, un peu partout en Europe, dans des pays où nous pensions que c’était impossible de les voir réapparaître. Et les amis voisins, ils disent le pire, et nous nous habituons ! » Salvini, qui n’a pas fait ses classes dans la diplomatie ou chez une dentellière, répondait, quelques jours après : « Si l’arrogance française pense transformer l’Italie en camp de réfugiés pour toute l’Europe, peut-être en versant quelques euros en pourboire, elle se fourvoie complètement. » Il ajoutait : « Nous sommes peut-être des populistes lépreux, mais moi, les leçons, je les prends de qui ouvre ses ports. Accueillez les milliers de migrants et après on en reparlera. » Et l’on pourrait citer encore bien d’autres échanges d’amabilités, au sabre ou à fleuret moucheté.
La question migratoire est évidemment au cœur de cette chamaillerie entre cousins latins. Mais, plus largement, ne doit-on pas y voir deux conceptions de l’Europe qui s’affrontent ? D’un côté, une vaste plate-forme d’échanges financiers et commerciaux, reliée au grand tout et n’importe quoi mondial, où les hommes sont finalement des consommateurs-producteurs interchangeables ? Ou bien une civilisation qui trouve ses racines à Rome et Athènes, constituée d’une mosaïque de nations millénaires ? Salvini ne lit peut-être pas Paul Valéry dans le texte comme Macron, mais il a sans doute l’intuition que les civilisations sont mortelles.
En tout cas, le rappel de notre ambassadeur à Rome est une manière, pour Emmanuel Macron, de mettre en scène, de se mettre en scène, à quatre mois des élections européennes, dans ce combat de titans qu’il souhaite voir s’engager en Europe contre les populistes et où il serait le héros du camp du bien. Visiblement, les prises de position pro-gilets jaunes, tant de Salvini que de Di Maio, ont agacé Paris qui ne digère pas cette ingérence. Il est vrai qu’Emmanuel Macron s’y connaît en ce domaine. Ne déclarait-il pas, en janvier dernier, que l’Italie « mérite des dirigeants à la hauteur » ? À l’heure où sont écrites ces lignes, Salvini et Di Maio se disent prêts à rencontrer Macron. Tragédie ou comédie que tout cela ? « Comediante ! » « Tragediente ! » disait le pape Pie VII de Napoléon. Que disent nos deux Italiens de notre Président ?