Dans les doléances exprimées par les Français au cours du grand débat (cf. l’enquête IFOP/JDDparue ce dimanche), celles concernant les impôts prédominent : suppression de la TVA sur les produits de première nécessité, de la redevance audiovisuelle, retour de l’ISF. Mais il ne faut pas se tromper sur ce que cela signifie.
En effet, il y a plusieurs lectures de l’impôt. L’une, évidemment, c’est son efficacité économique : comment faire pour hâter le retour des comptes de la nation à l’équilibre ? L’autre est la lecture politique : quelle est, à travers l’impôt, la philosophie de l’État par rapport à la justice, économique ou sociale ?
Cette question est fort importante parce que, derrière elle, deux visions opposées du rôle de l’État se font jour. Dans un cas, une vision technocratique : ce qui compte, c’est d’abord de réparer les structures. C’est l’attitude d’un nouveau patron débarquant dans une entreprise en difficulté et redressant les comptes « à la hache » en taillant dans les effectifs sans faiblesse. Peu importe que le personnel se plaigne, l’important est de sauver l’entreprise et, pour cela, « on ne fait pas d’omelette sans casser des œufs ».
L’autre, c’est la vision sociale : le principe, c’est que l’entreprise est faite par les hommes et pour les hommes, et pas seulement pour les actionnaires, et qu’on ne la sauvera pas en cassant le moteur psychologique, la motivation de ceux qui la font marcher. Si les comptes sont redressés, mais que le personnel est gravement démotivé, tôt ou tard, l’entreprise a des chances de péricliter.
Dans l’histoire des redressements spectaculaires d’entreprises ont existé les deux méthodes, mais c’est la deuxième, certainement, qui a donné les résultats les meilleurs et les plus durables.
Dans le cas d’une nation, en particulier d’une démocratie comme la France, les choses sont différentes. D’abord parce que ce sont les Français qui se sentent les actionnaires, par leur vote, de la nouvelle « Direction ». Et non seulement ceux qui ont voté pour elle, mais aussi tous les autres, tant il est vrai que si le vote majoritaire est une convention, l’État reste celui de tous les Français. Si un nombre important d’entre eux a l’impression qu’on les sacrifie sur l’autel d’impératifs technocratiques, le sentiment d’injustice est d’autant plus fort. Ensuite, parce qu’une nation n’est pas une entreprise. Lorsqu’une entreprise « dégage » du personnel, elle transforme simplement un coût privé en un coût public, puisqu’elle remet à la charge de la nation les personnes dont elle ne veut plus. L’opération est donc « tout bénef » pour elle : profits privatisés et charges mutualisées. Pour la nation, on ne « dégage » personne. Tous les « dégagés » restent dans « l’entreprise ».
On voit donc que la question de l’impôt est beaucoup plus politique et symbolique que technocratique ou économique. Si on lit correctement le sondage, à travers les mesures désirées par les Français, c’est cela, qu’ils expriment : une demande très forte de justice sociale. Evidemment, peu d’entre eux ont les compétences pour juger de l’efficacité économique des mesures qu’ils préconisent. Pour autant, ils ne se trompent pas de lecture, comme on leur en fait souvent grief pour cause d’incompétence. Lorsqu’ils disent, à travers leurs propositions, que c’est bien l’économique qui doit servir le social et non pas le contraire, ils ont la bonne approche. « Vous ne ferez pas la nation sans nous », disent-ils. La question qu’ils posent à leur gouvernement, à travers leurs doléances fiscales, c’est « Qu’allez-vous faire pour refaire l’unité perdue ? »
C’est bien à cette question, et pas à une autre, que le gouvernement, à travers les mesures qu’il prendra, va devoir en premier lieu répondre. Ne pas inverser les priorités, sans pour autant oublier l’économique : toute la difficulté sera là.